L’Humanité du jeudi 4 février publie trois articles simultanés sur la laïcité : destinés à préparer Un Agora du journal sur ce sujet1. Jean-Paul Scot, historien communiste, coupable de ne pas reconnaître le péché d’islamophobie, y est indirectement mais fermement recadré par l’apparatchik de service, Pierre Dharréville…
Rappelons que l’UFAL, qui défend une conception juridique rigoureuse de la laïcité, dénonce depuis toujours ses deux dérives contraires, qui s’alimentent mutuellement :
- l’ultra-laïcisme qui prétend éradiquer les religions de l’espace civil (où la liberté d’expression doit être la règle) ; le Front National en fait un usage exclusif et raciste contre « les musulmans » (au sens du colonialisme, qui assujettissait à l’islam tout Algérien ni Juif ni « Européen », qu’il fût ou non croyant).
- la laïcité « adjectivée » (ouverte, inclusive, etc.) ou mollassonne (l’Observatoire de la Laïcité), friande « d’accommodements raisonnables » avec les communautarismes religieux. « Laïques inclusifs » et Frères musulmans ((Il est utile de rappeler que les Frères musulmans ont pour objectif le rétablissement du califat…)) (UOIF, T. Ramadan, CCIF, etc.) dénoncent de concert la prétendue « islamophobie ».
Or, l’accusation d’islamophobie sert à faire taire les laïques. C’est ce qu’a rappelé Élisabeth Badinter sur France-Inter. Ses propos, que l’UFAL a soutenus, avec d’autres associations laïques, ont obligé chacun à se situer clairement : Badinter ou Bianco ? Deux lignes s’affrontent… jusqu’au sein du PCF !
Passons sur le premier des trois articles de L’Humanité, « Une condition de la liberté de jugement », d’Isabelle Saint-Martin. On en approuvera l’essentiel, dont le rappel que l’école apprend à « distinguer la science et la foi comme deux registres intellectuels différents ». Un seul regret : son couplet (superflu) sur les parents accompagnateurs de sorties scolaires, qui nous ressert les propos de la ministre de l’Éducation nationale… ignorant ce qu’a dit le Conseil d’Etat. Voyons plutôt ce qui se passe au PCF, de façon feutrée, mais violente sur le fond…
Jean-Paul-Scot est un ferme défenseur de la laïcité, que nous apprécions particulièrement à l’UFAL ((De lui, un indispensable ouvrage : L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle (Le Seuil, 2005) sur l’histoire de la loi de 1905)) . Son article, « Le respect mutuel, pas la guerre », mériterait d’être repris par nos médias ! On tiquera juste au passage sur sa dénonciation globale de ceux qui voudraient « interdire le port de signes religieux à l’université » : l’UFAL, avec plusieurs laïques, propose de bannir les signes religieux seulement « dans les lieux et situations d’enseignement et de recherche » (pas sur les campus, dans les restaurants, les cités,etc.). Débat à poursuivre…
A cette (mince) réserve près, Jean-Paul Scot a choisi clairement son camp, et il faut l’en louer. Il rejette « une stigmatisation des “laïcards” au nom de “l’islamophobie” ». On signe des deux mains quand il écrit : « Au nom de la lutte contre les discriminations et le racisme dont sont de plus en plus victimes des musulmans, nombre d’islamistes avérés et d’activistes compassionnels contestent toute critique de l’islam comme religion et de l’islamisme comme système théocratique totalitaire. » Elisabeth Badinter n’a pas dit autre chose.
On approuvera jusqu’à son tacle à « Manuel Valls, qui prétend défendre une “intransigeante laïcité” alors qu’il entend “recenser les besoins en lieux de culte” et “développer les établissements scolaires privés” musulmans ! » ((En fait, c’est plutôt Cazeneuve qui a dit ça, mais il fait bien partie du gouvernement Valls.)) . Ce rappel utile permet d’éviter le piège des stratégies politiciennes se servant de la laïcité (raison pour laquelle, notamment, l’UFAL n’a pas signé pour la démission de Jean-Louis Bianco !).
Mais l’incontournable Pierre Dharréville, « membre de l’exécutif national », responsable du secteur « République, démocratie et institutions » ((Lequel comprend un groupe au titre significatif : « Laïcité et croyants ». Les incroyants, soit 49% des Français selon l’étude Trajectoires et Origines de l’INED (2015) n’étant sans doute pas concernés par la laïcité… Plus un seul athée au PCF ?)), vient rappeler à la « ligne du Parti ». Son injonction « Assez de contresens » clôt le débat. Et de tancer Elisabeth Badinter (« On ne saurait être laïque et islamophobe »), pour soutenir clairement Jean-Louis Bianco, « sous la présidence [duquel]l’Observatoire a accompli un travail de pédagogie et d’apaisement utile » (sic !). Le PC appuie donc un social-démocrate hollandien ? C’est pour mieux s’en prendre à un social-libéral, Manuel Valls, qui aurait le tort de juger « infréquentables » certains des co-signataires de Jean-Louis Bianco sur la pétition « #NousSommesUnis ». Et pourtant… Dès novembre 2015, l’UFAL avait refusé de signer ce texte (par ailleurs niais et confus) aux côtés de Frères musulmans, ou du rappeur Médine (qui veut « crucifier les laïcards »). Unis, oui, mais pas à tout prix !
La laïcité, proclame doctement P. Dharréville, ce n’est pas « l’oukase de la République à l’égard de l’islam et des musulmans ». Vous avez bien lu : « oukase de la République ». Et noté la confusion entre l’islam (qu’il est permis de critiquer, voire de moquer) et les musulmans (que la République protège, comme tous les autres croyants) : nous sommes exactement dans la logique de la prétendue « islamophobie », anathème contre les laïques. C’est ce que démontre Jean-Paul Scot quelques lignes plus haut. Il y a encore des laïques au PCF, Dieu merci (!). Mais la divergence s’étale au grand jour.
Qui est donc le professeur Dharréville, qui tape sur les doigts d’Élisabeth Badinter pour ses « contresens à propos de la laïcité » ? Il nous a livré sa doctrine dans un ouvrage injustement méconnu (probablement parce que Jean Baubérot a déjà tout dit en matière de « laicité ouverte ») : « La laïcité n’est pas ce que vous croyez » ((Les éditions de l’Atelier, 2013)) . Citations : « La quête de sens des croyants participe du mouvement de la société. C’est pourquoi la République doit savoir en prendre le meilleur, non pas au nom de Dieu, mais au nom du bien commun, de l’intérêt général » (p. 88). La diversité doit faire société afin « d’entrer en dialogue pour produire du commun ». Autrement dit : ré-enchantons le monde par les religions, leur dialogue, leurs communautarismes. Tant pis pour les incroyants. Et par la même occasion, rebaptisons la République et la laïcité. Tant pis pour les citoyens.
Ancien responsable de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (ce qui pourrait être tout à son honneur), comme d’ailleurs Cécile Duflot, Pierre Dharréville ne s’est visiblement pas remis de l’abus d’opium du peuple. Pour se désintoxiquer, on lui conseille de fréquenter nos amis de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité ou de l’association Chrétiens pour une Eglise dégagée de l’Ecole confessionnelle –d’authentiques laïques qui revendiquent tranquillement leur foi, sans craindre de se faire traiter ni d’islamophobes, ni de cathophobes2 ! A quand une dénonciation vigoureuse par le PCF de « l’anti-laïcisme primaire » ?
- Le 18 février, Place du Colonel Fabien, avec Jean-Paul Scot et Régis Debray (inscriptions sur humanite.fr). [↩]
- Néologisme inventé par l’extrême-droite catholique, nos « amis » de Civitas notamment, à qui Bercy coupe les vivres fiscaux… [↩]