1. Etat des lieux
L’école va mal. Après trente ans de réformes, force est de constater qu’elle est devenue une institution faible.
Les promoteurs de la loi d’orientation de 1989 avaient pourtant promis des lendemains qui chantent: une école ouverte sur la vie, l’élève au centre du système scolaire, des enseignants soucieux de « pédagogie différenciée », telle était la panacée qui devait produire le miracle d’une école enfin démocratisée, une école d’où 80% d’une classe d’âge sortirait avec le baccalauréat en poche.
Cet enthousiasme a cédé la place au désarroi et aux plaintes : désarroi des citoyens, qui constatent que l’ « école à deux vitesses » est une réalité, et que plus de 150000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Inquiétude des parents qui, lorsqu’ils le peuvent, utilisent la stratégie du contournement de la carte scolaire. Désarroi des élèves, qui mesurent la dévaluation des diplômes aux difficultés auxquelles ils se heurtent lorsqu’ils cherchent à les faire valoir sur le marché du travail. Désarroi des étudiants, qui échouent massivement dès les premières années du supérieur. Désarroi des enseignants, qui constatent l’indigence de la culture générale des élèves, de la maîtrise de la langue (de l’orthographe et de la grammaire), leur incapacité à maîtriser les règles les plus simples de la logique, à analyser, à synthétiser, ou même à comprendre un énoncé. En 1997, le rapport de l’inspecteur général Ferrier tirait déjà la sonnette d’alarme: « Selon les années, ce sont entre 21 et 42% des élèves qui, au début du cycle III (entrée en CE2), paraissent ne pas maîtriser le niveau minimal des compétences dites de base en lecture ou en calcul ou dans les deux domaines. Ils sont entre 21% et 35% à l’entrée du collège ».
Les établissements sinistrés sont devenus légion. La violence et les actes d’incivilité se banalisent. A ces maux visibles par tous, il faut ajouter, du côté des professeurs, l’allongement invisible et la dénaturation de leurs services, la diminution drastique du nombre de postes aux concours. On aurait voulu préparer la marchandisation de l’école qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Car cet affaiblissement sans précédent de l’institution scolaire fait des heureux: les officines de soutien privé ramassent les dividendes et ne se sont jamais si bien portées.
Loin d’être bloquée ou ringarde, comme on le dit souvent, l’école subit le « bougisme ». Nous pouvons mesurer aujourd’hui les effets de la politique de réformes effrénées menée par les différents ministères, au nom de l’idéologie pédagogiste et celle du primat des discours rhétoriques sur l’apprentissage des savoirs élémentaires et sur celui des modes de raisonnement. Cette idéologie s’est emparée des principaux appareils (inspections, syndicats, IUFM, médias consacrés à l’école, etc.) et a très largement contribué à la dégradation de l’école. Sous les aspects les plus grossiers comme les plus subtils, les ministères successifs, dans une remarquable continuité, sont aujourd’hui parvenus à soumettre l’école aux exigences du « turbocapitalisme ».
Nous devons réagir.
2. Préambule
Les générations nouvelles sont héritières des aînés. Toutes les sociétés humaines ont besoin de la transmission d’un patrimoine. Par conséquent l’acte de transmission des savoirs et des savoir-faire, des croyances et des règles, est conservatoire. L’acte d’enseignement vise, en premier lieu, à la reproduction du même. Cependant les héritiers, toujours curieux, inventent. Tout le progrès humain s’explique par cette capacité du disciple à dépasser le maître. Instruire c’est donc libérer. Les pouvoirs, quant à eux, ont toujours souhaité contrôler les conditions de cette transmission du patrimoine. L’enjeu en est la reproduction des privilèges, la défense des intérêts acquis, en un mot la pérennité de l’ordre établi. C’est pourquoi les peuples sont maintenus dans l’ignorance, la crainte et la crédulité. Renversant l’ordre établi et déclarant le peuple souverain, les républicains se dressent contre tous les pouvoirs : sitôt la République fondée, ils doivent donc inlassablement la défendre.
Défendre la République c’est libérer les citoyens de l’ignorance – la pire des servitudes selon Condorcet – et de l’opinion. C’est pourquoi l’école publique laïque est la première institution de la République. Cette école vise un double objectif : la transmission des connaissances et l’exercice de la raison. Sourde au tapage mondain, protégée des pouvoirs, elle ne forme ni des croyants, ni des travailleurs, ni des consommateurs, ni des plaideurs, ni des prêcheurs. Elle élève, c’est-à-dire elle instruit le souverain. Telles sont les missions de principe de l’école républicaine : renoncer à ce double objectif c’est donc renoncer à l’émancipation, c’est ne plus vouloir la République.
Avec la citoyenneté et la laïcité – repères fondamentaux de la République auxquels nous sommes attachés par raison – l’école est donc le vecteur d’une politique authentiquement républicaine. Vivre et penser ensemble en républicains, c’est connaître les différences entre les personnes pour les dépasser juridiquement, afin de proscrire en droit toute discrimination ou inégalité de fait. Ainsi, la République ne peut reconnaître juridiquement que l’égalité en droits – jamais l’inégalité de fait des personnes – par le moyen de la loi de séparation stricte entre la sphère privée et la sphère publique.
C’est là l’unique fondement rationnel de la laïcité et de la citoyenneté : permettre la mise en commun des différences dans la neutralité juridique de l’espace public des institutions. C’est là l’esprit politique de la
République. C’est là le projet pédagogique de l’école comme institution.
Or les réformes de l’Education Nationale, en particulier celles de Legrand et de Meirieu, mais aussi celles qui les ont précédées, affaiblissent le principe républicain de séparation du public et du privé. La régionalisation du secondaire, et la professionnalisation de l’université installées d’un accord commun et dans la continuité entre les ministères qui se sont succédés, conformément au caractère libéral des traités de Maastricht et d’Amsterdam, signent la fin de la liberté de l’instruction républicaine du peuple souverain et l’assujettissement des individus aux intérêts marchands.
Parce que la société évolue, parce que l’école n’est pas la société mais tout au contraire son fondement, nous devons sans cesse ré – instituer l’école.
La loi scolaire du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école publique, est le fruit du combat persévérant des militants laïques et d’organisations, comme l’UFAL. Issue d’un vaste débat démocratique, cette loi laïque confirme que l’école de la République doit être préservée des pressions religieuses et communautaristes qui s’exercent sur elle. L’éducation doit restée Nationale, elle réinstitue l’école publique comme un lieu qui rassemble les élèves au-delà de leur appartenance ethnique, religieuse, politique ou sociale. Parce que le principe de laïcité est au fondement du modèle républicain, il doit prévaloir sur l’ensemble du territoire national. Aussi le statut d’exception de l’Alsace-Moselle, de la Guyane et de
Mayotte doit-il être abrogé.
3. Propositions
Proposition 1
L’école de la République se fonde sur le principe laïque de séparation de la sphère publique et de la sphère privée. La laïcité de l’école signifie que l’école est un lieu appartenant à la sphère publique, dévolu à l’enseignement des savoirs rationnels et à la formation de l’esprit critique.
L’école doit par conséquent rester indépendante des intérêts privés, des préférences communautaires, et des opinions.
Parce que l’école s’interdit de propager quelque croyance que ce soit, parce qu’elle n’est pas un lieu où l’on cherche à capter les esprits ou à obtenir une quelconque adhésion, mais, bien au contraire, où l’on convoque la pensée à une position critique, l’école est au service des humanités : elle privilégie la confrontation de la pensée à des oeuvres singulières, y compris religieuses. L’enseignement distancié de l’histoire des religions trouve sa place dans l’enseignement de l’histoire-géographie, du français et de la philosophie, notamment. Il n’y a donc pas lieu de lui adjoindre un « enseignement du fait religieux ».
Proposition 2
La fonction et la finalité de l’école ne sont pas « d’adapter » des individus à leur environnement économique immédiat mais de leur donner les connaissances culturelles, techniques et critiques suffisantes pour leur permettre non seulement de trouver un métier, mais aussi de progresser intellectuellement toute leur vie.
Proposition 3
Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de créer les services publics périnataux, périscolaires et de proximité, créateurs d’emplois.
Tout enfant a droit à une place de crèche avant l’âge de deux ans et à l’école maternelle dès l’âge de deux ans.
Il convient de créer, à l’école maternelle, des postes de puéricultrices et d’aides puéricultrices qui prendront en charge les enfants entre deux et trois ans, avant de les confier aux soins des instituteurs.
Proposition 4
Les programmes et les horaires doivent être nationaux, condition nécessaire pour que le niveau d’un diplôme national soit le même sur tout le territoire national.
Proposition 5
L’Éducation Nationale doit effectuer un plan d’aménagement du territoire pour permettre le plus souvent possible à tout enfant, tout jeune, l’intégration dans une filière publique de son choix près de son domicile.
Les familles souhaitent souvent pour leurs enfants des débouchés professionnels proches, et donc des filières d’enseignement qui s’y rapportent ; cependant, les formations professionnelles ne doivent pas s’y borner. Il n’est en effet pas souhaitable que la mise en place des formations professionnelles se règle uniquement sur l’existence de bassins d’emplois (bassins industriels) qui deviennent, de fait, de plus en plus volatiles. Pour que ces formations ouvrent aux élèves le plus grand nombre de débouchés possibles, il faut renforcer la part de l’enseignement général dans l’enseignement professionnel.
Proposition 6
Le principe de sûreté, inscrit dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (article 2), s’applique de plein droit aux élèves fréquentant l’école publique, ainsi qu’aux personnels enseignants et non enseignants. Les établissements scolaires doivent être des lieux paisibles et sereins.
Les familles n’attendent pas de l’école qu’elle s’adapte discrètement aux situations de violence, mais que la relation pédagogique soit exempte de violence et que la vie scolaire ne se règle pas sur la loi du plus fort. Il revient aux chefs d’établissement et aux inspections de la vie scolaire d’assurer les conditions du bon fonctionnement des enseignements.
Proposition 7
Les intérêts commerciaux doivent être bannis de l’école : il faut abroger la circulaire du 28 mars 2001 dite
Code de bonne conduite des entreprises en milieu scolaire, et par conséquent annuler toutes les conventions signées par le ministère et les établissements scolaires dans ce sens.
Proposition 8
L’école publique seule doit bénéficier du financement des fonds publics : il faut abroger la loi Debré de 1959, l’accord Lang-Cloupet, les mesures récentes sur les obligations des communes vis-à-vis des écoles privées.
Proposition 9
Nous refusons la construction libérale et communautariste de l’école que nous imposent les gouvernements successifs de quelque couleur qu’ils soient, soumis qu’ils sont aux directives de l’Europe. Nous refusons notamment la stratégie de Lisbonne, ainsi que toutes les directives – européennes ou internationales- qui oeuvrent à la libéralisation de l’école.
Proposition 10
L’école de la République accueille et aide tous les enfants, qu’ils soient surdoués, en difficulté sociale ou handicapés physiques ou psychologiques, non dans des classes indifférenciées, mais dans des structures adaptées, et nous refusons donc la directive européenne à ce sujet et sa transposition en la loi Montchamp, dont nous demandons l’abrogation.
Proposition 11
Les effets des creux démographiques sur le nombre d’élèves ne doivent pas donner lieu à des coupes sombres budgétaires mais doivent être mis à profit par le ministère pour augmenter les moyens de remplacement des enseignants absents.
Proposition 12
Les familles n’attendent pas de l’école primaire et secondaire qu’elle soit un « lieu de vie », comme peut l’être la rue. L’école n’est pas non plus une seconde famille, ni une garderie, ni un centre de loisirs ou une caserne, mais un lieu d’étude et d’instruction. Elle ne doit pas être le simple miroir de la société existante, car il lui revient de transmettre un patrimoine et de former les citoyens de demain. Elle n’a pas pour vocation de s’adapter à la société, mais de permettre l’émancipation des individus. C’est la raison pour laquelle nous refusons le discours qui prône « l’ouverture » de l’école sur la vie. L’école n’a pas à être perméable aux modes, aux opinions, aux préjugés, ni aux évolutions du moment : elle doit se régler sur les savoirs et l’ordre des raisons, afin de rendre possible la construction d’une position critique.
Les familles doivent être informées de ce qui se fait à l’école où étudient leurs enfants, du travail qui y est accompli comme des difficultés auxquelles l’école est confrontée. Il revient à l’école de justifier auprès des familles ses exigences et de leur expliquer ses décisions. La défense et le renforcement de l’école publique, qui est le bien de tous, sont de la responsabilité conjointe des personnels et des familles laïques. La loi Jospin et la loi Fillon qui l’aggrave, doivent être abrogées. Une nouvelle loi laïque et républicaine doit être soumise à la représentation nationale.
Proposition 13
Il faut instaurer un Revenu Social à l’enfant et au jeune en lieu et place des allocations familiales. Ce revenu doit être versé aux parents jusqu’à ce que leur enfant ait atteint l’âge de 18 ans, puis au jeune jusqu’à l’obtention de son premier emploi stable.
Proposition 14
Chaque enfant et chaque adolescent a droit à un enseignement complet : formation personnelle et professionnelle. Il faut instaurer des passerelles entre les différentes voies d’enseignement, tout en diversifiant ces voies.
Proposition 15
Tout élève a droit, en cas de grande difficulté, à un cycle professionnel individualisé, organisé par le service public.
Proposition 16
L’Éducation Nationale doit appliquer la gratuité de l’enseignement jusqu’au secondaire y compris celle des manuels scolaires, des transports scolaires, des matériels pédagogiques, et des sorties pédagogiques (à condition que celles-ci ne soient pas prétexte au divertissement mais s’inscrivent dans un travail sérieux et consistant.
Proposition 17
Les priorités de l’école obligatoire sont la transmission des savoirs émancipateurs (philosophie, littérature, mathématiques, astronomie, histoire, langues anciennes et vivantes etc.), des savoir-faire, et de la responsabilité critique du comportement. Nous demandons la suppression des cours d’ECJS (Education
Civique, Juridique et Sociale) et la réintégration des heures qui leur sont actuellement consacrées dans les disciplines susceptibles d’envisager la question de la citoyenneté à la lumière des savoirs (français, histoire, philosophie).
Proposition 18
Dans l’état actuel des pratiques administratives, pour obliger le ministère à assurer tous les remplacements de personnels, il faut abroger la LOLF (Loi organique sur les lois de finances, du premier août 2001).
Proposition 19
L’école obligatoire est un organe central de la République. Touts les enseignants doivent relever du statut de la fonction publique de l’Etat. En conséquence, tous les emplois précaires, contractuels, territoriaux doivent être supprimés, et les enseignants recrutés par concours nationaux. La formation académique initiale et continue de tous les enseignants doit leur assurer une culture générale permettant leur compréhension mutuelle.
Proposition 20
L’élaboration des programmes d’enseignement doit être confiée à des organismes nationaux, compétents et travaillant en cohérence.
Proposition 21
La pédagogie, qui est l’art d’enseigner, implique l’engagement personnel de l’enseignant. Elle a pour but l’appropriation par l’élève des connaissances rationnelles, de la culture et des arts.
La pédagogie suppose la responsabilité du maître qui guide ses élèves dans la voie de l’autonomie et de l’émancipation. Elle est du côté de la liberté.
La pédagogie doit être soutenue contre le « pédagogisme » qui transforme les savoirs en instruments de contrôle idéologique et de normalisation sociale. Le pédagogisme n’est pas seulement une lubie de doctrinaires obtus et conformistes, persuadés de l’infaillibilité de leurs « méthodes ». Il est aussi un élément constitutif du libéralisme, qui soumet les individus à la logique de la rentabilité et aux nécessités du marché.
La pédagogie est réfractaire au pédagogisme comme la liberté au libéralisme.
Proposition 22
L’autoritarisme et la rigidité sont incompatibles avec la pédagogie. Les techniques musclées de ‘management par le stress’ dans les établissements scolaires doivent être dénoncées comme contre-productives et contraires aux exigences d’un enseignement de qualité. Toute forme de harcèlement moral des personnels doit être publiquement combattue.
Chaque enseignant est responsable de son enseignement face à son public, auprès des familles et devant les corps d’inspection. La nécessaire cohérence des programmes et l’indispensable coordination des enseignants reposent sur cette exigence. Parce que chaque enseignant est responsable de son enseignement, il ne saurait être soumis aux exigences d’un quelconque projet d’établissement.
Proposition 23
La formation continue des enseignants est une garantie de qualité de l’école publique. Elle doit être dispensée par des formateurs compétents, sur le temps de travail des enseignants qui doivent être automatiquement remplacés.
Des possibilités de reconversion professionnelle doivent être offertes aux enseignants, qu’ils rencontrent ou non des difficultés dans l’exercice de leur métier.