Nicolas Cadène est le rapporteur de l’Observatoire de la laïcité, organisme présidé par Jean-Louis Bianco. Dans un tweet publié le 6 janvier dernier, il reproche à Élisabeth Badinter d’avoir « détruit » « un travail de pédagogie de trois ans sur la laïcité ». À ses yeux, la philosophe a eu le tort de dénoncer dans un entretien donné sur France Inter l’usage insupportable qui est fait de l’accusation d’« islamophobie » pour faire taire tous ceux qui voudraient critiquer de bonne foi une religion1.
On peut s’étonner que le rapporteur d’un organisme d’État (l’Observatoire de la laïcité dépend du Premier ministre) ait autant de temps à perdre en polémiquant sur les réseaux sociaux. Nicolas Cadène ne manque en tout cas pas d’audace, d’accuser Élisabeth Badinter de détruire un « travail de pédagogie de trois ans sur la laïcité », alors qu’elle en est, depuis trente ans, l’infatigable et courageux promoteur. Sans elle (et les quatre autres signataires, dont deux membres de l’UFAL, de la « Lettre ouverte à Lionel Jospin » publiée en 1989), la loi du 15 mars 2004 réglementant le port des signes religieux à l’école n’aurait sans doute jamais existé. Au fait, que doit la laïcité en France au travail de Nicolas Cadène ?
Mais le vrai problème n’est pas tant l’insigne maladresse de ce tweet que les positions que Nicolas Cadène et Jean-Louis Bianco défendent au sein de l’Observatoire et à l’extérieur. Nicolas Cadène demande « un vrai débat clair ». Or il l’est : rien de plus clair en effet que ce qui sépare Nicolas Cadène et Jean-Louis Bianco des militants laïques en général et d’Élisabeth Badinter en particulier. Jean-Louis Bianco considère que « la France n’a pas de problème avec sa laïcité » ; les militants laïques constatent qu’elle ne cesse d’être remise en cause (contestation, au nom de ses croyances, de certains enseignements ; demande d’horaires séparés pour les femmes et pour les hommes dans les piscines municipales ; refus que son épouse soit soignée par un médecin masculin à l’hôpital public, etc.). L’Observatoire s’accommode du statut concordataire de l’Alsace-Moselle ; les laïques demandent son abrogation. Nicolas Cadène se targue de n’avoir jamais été accusé d’« islamophobie », et pour cause : il a signé la même tribune que le Frère Musulman Nabil Ennasri et a reçu immédiatement après son tweet le soutien du très communautariste et très virulent Collectif Contre l’Islamophobie en France. Lequel considère la loi du 15 mars 2004 comme une loi raciste : Nicolas Cadène contribuerait grandement à « un vrai débat clair » en expliquant si oui on non il partage cette interprétation… Les laïques considèrent quant à eux que la critique des religions n’est pas une maladie ou une déviance, mais un droit fondamental. Mais l’opposition principale porte sur la conception de la laïcité, et de la République elle-même. L’Observatoire réduit la laïcité à la seule coexistence de communautés religieuses (limitées en général aux monothéismes) ; la République laïque, au contraire, s’aveugle volontairement sur les appartenances communautaires ; elle ne connaît que des citoyens.
Cette divergence dans la manière de concevoir la laïcité républicaine n’est pas nouvelle : elle remonte même à la Révolution ; elle a été tranchée par la Constitution. Oui, le moment est venu de la clarification politique. L’UFAL ne souhaite pas participer à une quelconque chasse aux sorcières. Elle demande simplement au Gouvernement de clarifier sa position en précisant s’il se reconnaît dans les positions des deux responsables de l’Observatoire de la laïcité. Autrement dit, de choisir entre l’œcuménisme et la laïcité.
- Citation : « On ferme le bec de toute discussion sur l’islam en particulier ou d’autres religions avec la condamnation absolue que personne ne supporte : “Vous êtes raciste ou vous êtes islamophobe, taisez-vous !” Et c’est cela que les gens ne supportent plus : la peur, pour des gens de bonne foi, qu’on puisse penser que vous êtes raciste ou anti-musulman fait que vous vous taisez. C’est la meilleure arme qu’on pouvait trouver à l’égard des gens de bonne foi. » [↩]