L’UFAL fait rarement dans la critique cinéma mais je conseille vivement d’aller voir le film Merci Patron ! deFrançois Ruffin (aussi rédacteur en chef du journal Fakir). En cette période déprimante pour le mouvement social et les militants de gauche, ce film constitue une petite parenthèse encline à redonner un peu de motivation et d’énergie pour continuer les luttes. Au cœur de ce documentaire réalisé à la manière de Michael Moore, François Ruffin se fait le porte parole des Klur, un couple d’ouvriers licenciés par Bernard Arnault après 25 ans de labeur dans les entreprises textiles démantelées par l’homme le plus riche de France. Avec pour objectif de sauver Bernard Arnault de ses propres errements en le ramenant à l’humanité.
Au-delà de la mise en scène (non fictionnelle) et du dénouement incroyable de cette farce sociale qui va ridiculiser l’un des hommes les plus puissants de France et tous ses nervis, le film de Ruffin est avant tout remarquable par trois aspects :
- tout d’abord rendre visible pour une fois à l’écran la réalité du monde ouvrier dévasté des régions industrielles, sans pathos ni complaisance, cette France invisible et périphérique qui garde sa dignité malgré un budget de 3 euros par jour et une dette de 30 000 € et qui préférerait brûler sa maison que de la voir saisie par l’huissier (« comme dans la Petite Maison dans la prairie »). Cette France industrielle détruite en quelques années par le grand jeu capitaliste prédateur d’un magnat du textile de luxe qui a démantelé toute une région pour bâtir sa fortune personnelle. Cette France qu’ont abandonnée les partis de gauche traditionnelle, PS en tête. Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser que le spectre du Front National rôde derrière les Klur, mais pas seulement : on y voit des syndicalistes CGT authentiques et héroïques, une bonne-soeur rouge et remontée qui est la mémoire locale de l’ignominie Arnault et des solidarités ouvrières roboratives …
- ensuite voir la fébrilité de l’oligarchie et son hystérie face au moindre accroc qui risquerait de ternir son image. On sent bien là qu’il y a chez Arnault et son clan une véritable conscience de classe, celle qui faisait dire à Warren Buffet : « la lutte des classe existe et c’est notre classe, celle des riches, qui est en passe de la gagner » . Sauf que là, la réaction de l’homme le plus riche de France traduit une angoisse morale, celle du puissant qui prend conscience de l’énormité des abus de la classe dominante et qui se dit que ça pourrait mal tourner (n’oublions pas que Bernard Arnault avait demandé juste auparavant la nationalité belge pour payer moins d’impôts avant de se raviser). Celle qui a plus peur de la « minorité agissante » (le journal Fakir, les syndicalistes CGT …) que des médias mainstream sur lesquels ils ont la haute main.
- enfin rire un bon coup et sortir rasséréné par le ridicule dans lequel se vautre l’homme le plus riche de France, pris à son propre piège par des « petits » beaucoup moins bêtes qu’il ne pourrait le penser. D’autant que le grotesque de sa réaction en dit long sur la paranoïa obsidionale des membres de l’oligarchie capitaliste.
Bien sûr, on pourra reprocher beaucoup de choses à ce film et à François Ruffin. La caricature anti-patronale, l’absence d’analyse politique, le second degré (assumé) avec lequel il s’adresse aux protagonistes (« les pauvres à peine ils ont de l’argent il faut qu’ils le dépensent »), l’amateurisme cinématographique, le fait que derrière les Klur il y en a des centaines d’autres qui souffrent en silence ou encore que le film ne sera vu que par des bobos fréquentant les salles art & essais … Certes, mais en cette période de morosité extrême, sortir joyeux d’une minuscule victoire de la classe laborieuse face aux puissants qui foulent aux pieds les principes moraux et citoyens les plus élémentaires ne peut pas faire de mal. Au contraire, cela montre que le rire demeure une arme incroyablement efficace et roborative. Et qu’un grain de sable judicieusement orchestré, comme un menace de pourrir une AG d’actionnaire, peut faire gripper toute la machine. Et sur ce point, reconnaissons le cran et le talent de Françoise Ruffin.