La République a fait un choix difficile mais sage et courageux : plutôt que faire de l’école un instrument pour agir sur les consciences et pour assurer sa pérennité, elle en a fait une institution qui garantit à chacun l’accès à la liberté de conscience.
Cette question fut l’objet d’un débat dès l’avènement de la République et a été définitivement tranchée au XIXe siècle en cohérence avec le déploiement de la laïcité scolaire. La laïcité proclame la liberté de conscience et l’école est le lieu d’éveil libre et critique de la conscience. En s’interdisant de capter les âmes, les professeurs sont seulement préoccupés de dispenser un enseignement affranchi de tout dogme.
La République n’exclut pas l’élitisme. Mais elle ne confond pas élite et oligarchie. Plus : la méritocratie républicaine permet de lutter contre la reproduction sociale. Le pseudo débat entre élitisme républicain et lutte contre la fracture scolaire n’est qu’une chimère inventée pour transformer l’institution qui permet de s’émanciper des tutelles communautaires, idéologiques et religieuses, afin de construire son autonomie morale et politique, en un rouage au service d’une oligarchie.
Ce numéro est aussi l’occasion de rappeler que la laïcité scolaire est le fruit de la laïcité-conviction, puisqu’elle précède la loi du 9 décembre 1905.
C’est aussi malheureusement l’occasion de déplorer que les plus importantes entorses à la laïcité sont commises dans le domaine scolaire, avec les lois Debré (1959), Guermeur (1977) et Carle (2009) qui détricotent consciencieusement la laïcité scolaire mise en place de 1882 à 1886 et proclamée dans le Préambule de la Constitution de 1946.
En parallèle à ces offensives sur le plan institutionnel et financier, l’UFAL dénonce depuis des années l’introduction du fait religieux dans les programmes et surtout l’affaiblissement progressif des contenus et des savoirs au profit d’une école de l’adaptabilité sociale, mouvement qui s’accélère avec les réformes entreprises durant le quinquennat en cours.
Pourtant, la destruction de l’école républicaine ne semble aujourd’hui choquer que les rares républicains sincères qui subsistent.
Pierre Bayle, philosophe protestant mort en exil en 1706, déclara que « le blasphème n’est scandaleux qu’aux yeux de celui qui vénère la réalité blasphémée ».
Trois siècles après, nous pourrions dire que la destruction de l’école républicaine n’est scandaleuse qu’aux yeux des quelques républicains qui la considèrent comme indispensable à l’épanouissement des principes républicains.
Si la conséquence n’était que la frustration de quelques-uns, les dégâts seraient limités. Mais nous sommes en train de nous rendre compte que les réformes qui affaiblissent le modèle républicain de l’instruction représentent aussi une menace qui pèse sur la cohésion de la République. Leurs initiateurs, les mêmes qui invoquent les valeurs républicaines à longueur de discours, sont coupables d’avoir oublié que l’école républicaine était non pas un supplément offert aux futurs citoyens mais une condition nécessaire au déploiement du modèle républicain.