Le thème sur lequel les mouvements familiaux de l’UNAF étaient invités à intervenir cette année lors de l’Assemblée générale était « Comment mieux respecter les droits et la dignité des personnes vulnérables et de leurs familles ? ». Voici l’intervention faite par Christian Gaudray, Président de l’UFAL.
La vulnérabilité est un terme employé aussi bien pour décrire un état qu’une situation. Il est dès lors difficile de la mesurer et de l’objectiver, contrairement à la pauvreté, la précarité ou les inégalités. Vulnérabilité est synonyme de fragilité. Son emploi n’est pas neutre, il appelle l’empathie et la bienveillance mais il renvoie aussi à la responsabilité individuelle. Madame la Directrice générale a souligné lors de son intervention sur le sujet en Conférence nationale des mouvements l’explosion de l’emploi de ce terme depuis la fin des années 90, c’est à dire depuis que les politiques néolibérales sont entrées dans le dur et que les maltraitances par les acteurs institutionnels, médico-sociaux et bancaires sont au plus haut.
Le terme est aussi de plus en plus présent dans notre droit. Le code pénal aggrave les peines pour viols, violences et abus de faiblesse lorsque les victimes présentent une vulnérabilité « due à l’âge, une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse ». De même, toute distinction opérée entre des personnes physiques sur le fondement de leur vulnérabilité résultant « de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur constitue une discrimination ».
Dans un rapport récent de France Stratégie, les personnes vulnérables sont « les jeunes, les familles monoparentales, les chômeurs et les étrangers ».
Ces exemples montrent bien l’hétérogénéité des causes de vulnérabilité, qui empêche de fait toute étude comparative et rend difficile une évaluation chiffrée.
Il est dès lors légitime de s’interroger sur la pertinence de l’utilisation du mot vulnérabilité. Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde disait Albert Camus. N’est-ce pas aujourd’hui une manière de masquer les remises en cause de l’État social, de la démocratie et des droits sociaux dans une société devenue incapable de reconnaître sa responsabilité dans la production d’inégalités.
À nos yeux, la responsabilité collective est principale, c’est pourquoi nous dénonçons les reculs successifs de la gestion solidaire des risques et l’augmentation de l’insécurité sociale. La tendance à une privatisation et une individualisation de la protection sociale laisse de côté des pans entiers du corps social et justifie des politiques d’assistanat non universelles et stigmatisantes, qui réduisent la capacité à l’autonomie et augmentent la dépendance. Tout le contraire d’un projet émancipateur.
L’accompagnement à l’accès aux droits sociaux et la lutte contre le non-recours constituent dès lors une priorité d’action.
Une des grandes confusions de la période est certainement de confondre « avoir la capacité de » et « être en capacité de ». Ainsi, la communication institutionnelle véhicule des messages de culpabilisation des citoyens, faisant fi des différents niveaux de responsabilité, de toute hiérarchisation des priorités et des enjeux. Les gens sont peu à peu convaincus qu’ils n’« ont pas la capacité de » alors que simplement, ils « ne sont pas en capacité de ». Une fois encore, c’est donc un processus de rabaissement des individus qui est à l’œuvre, avec pour but d’empêcher qu’émergent des résistances et des alternatives. Le combat émancipateur doit donc se concentrer sur l’objectif de permettre à chacun d’« être en capacité de ». Pour cela, il faut non seulement développer le travail d’éducation populaire mais aussi mener le combat démocratique pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de devenir des acteurs de leur avenir.
Le travail social ne consiste pas à poser des rustines sur les dégâts du néolibéralisme : il vise à l’émancipation des personnes vulnérables. Or les logiques financières qui imposent une « rationalisation » de l’action transforment les acteurs en simples exécutants tandis que les bénéficiaires tendent à devenir des marchandises.
Pour ceux qui en douteraient, l’arrivée en France des Contrats à impact social est un pas de plus vers une marchandisation accrue de notre société, où le social n’est réduit, ni plus ni moins, qu’à un nouveau marché et devient une source de revenus pour les groupes financiers. Les Contrats à impact social signent un renoncement des pouvoirs publics à leurs missions de protection des plus vulnérables. En les déléguant à des investisseurs privés aux intérêts lucratifs, qui vont s’emparer sélectivement des missions qui leur paraissent les plus rémunératrices, la notion d’intérêt général — a fortiori celle d’intérêt supérieur de l’enfant— est écartée, tout comme l’objectif républicain de tendre vers une société plus égalitaire.
Déjà la contractualisation du financement, le tarissement des subventions de fonctionnement et la généralisation des appels à projet, souvent promis au moins-disant, conduisent à vider de leur substance et instrumentaliser les actions associatives. C’est aussi la capacité à l’innovation sociale qui est menacée.
La prise en charge des personnes vulnérables menée par les associations ne consiste en rien en une opération ponctuelle et limitée dans le temps : il s’agit d’un travail permanent et d’un accompagnement dans la durée.
L’action de l’UFAL en faveur des droits et de la dignité des personnes vulnérables s’effectue selon des principes d’émancipation et non d’assistanat. En parallèle, et pour nous l’un n’a pas de sens sans l’autre, nous maintenons un dialogue critique avec les autorités en tant qu’association citoyenne et corps intermédiaire.