Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, et Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des Comptes Publics, ont présenté les grandes lignes du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018. Les mesures relatives à la branche famille de la Sécurité sociale, loin de constituer une révolution, ne font au contraire que confirmer les orientations politiques prises sous le quinquennat Hollande en matière de politique familiale, à savoir une transformation de la branche famille en auxiliaire de l’État en matière de lutte contre la pauvreté au détriment d’une politique familiale inclusive à destination de l’ensemble des familles.
Des mesures marginales à destination des familles les plus pauvres sont annoncées mais ne visent qu’à faire passer aux yeux de l’opinion publique une réforme d’ensemble qui se traduira à terme par une éviction des classes moyennes et intermédiaires de la politique de soutien familial de notre pays à laquelle elles contribuent pourtant au financement de manière majoritaire. Une telle politique comporte un risque considérable en termes de délitement de la cohésion sociale entre l’ensemble de familles et préfigure le souhait du Président Macron d’étendre cette politique à d’autres pans essentiels de la protection sociale (Assurance maladie en particulier).
À noter que la Conseil d’Administration de la CNAF a émis un avis défavorable à la majorité sur ce projet de loi. L’UFAL exprime également son hostilité univoque aux dispositions du PLFSS 2018 relatives à la branche famille qui poursuivent l’objectif d’économies drastiques initié sous le quinquennat Hollande alors même que la branche famille de la Sécurité sociale présente un excédent structurel.
- Un recyclage trompeur des mesures antérieures à destination des familles les plus modestes
- Un encouragement incompréhensible des solutions individuelles de garde du jeune enfant
- L’accélération de l’exclusion des classes intermédiaires de la politique familiale
1. Un recyclage trompeur des mesures antérieures à destination des familles les plus modestes
Le PLFSS 2018 confirme la préoccupation du législateur à l’endroit des familles les plus modestes, et en particulier les familles monoparentales. Derrière cet effet d’annonce, le PLFSS 2018 n’est en réalité qu’un habile recyclage des mesures prévues dans la loi Ayrault / Touraine de 2013 sans la moindre amélioration. Le Gouvernement s’enorgueillit pourtant de donner un coup de pouce « exceptionnel » à destination des familles modestes : il en va ainsi de la revalorisation de l’Allocation de soutien familial (ASF), du Complément familial.
L’Allocation de soutien familial pour les personnes ne bénéficiant pas de pension alimentaire sera ainsi revalorisé de 6 € par mois (à 115,7 €). Au total, comme le fait remarquer le Gouvernement, l’ASF aura été revalorisée de 25 % depuis 2013 … soit exactement ce qui avait été prévu dans le cadre de la réforme Ayrault / Touraine de 2013. La revalorisation de 6 €, qualifiée d’exceptionnelle par le gouvernement, n’est en réalité que le strict respect des engagements pris antérieurement, pour un montant, somme toute extrêmement modeste en valeur absolue pour les familles concernées, dont une grande part vit sous le seuil de pauvreté.
Même subterfuge gouvernemental pour la revalorisation du Complément familial majoré (à destination des familles modestes avec 3 enfants et plus). Celui-ci sera augmenté en 2018 de 16,8 € par mois (à 253,50 €). Comme le précise le Gouvernement, le CF aura connu une revalorisation de 50 % depuis 2013, ce qui n’est en effet pas neutre. Le Gouvernement aurait été toutefois plus honnête de préciser que ce sont exactement les termes de la revalorisation prévue par l’article 55 de la loi de 2013…
Il en va de même de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (ARIPA) qui a pour but de faciliter le recouvrement des impayés de pensions alimentaires. Celle-ci sera pleinement « opérationnelle », précise le communiqué ministériel. Outre le fait que l’ARIPA est opérationnelle depuis 2016, il faut avoir à l’esprit que cette agence n’est en réalité qu’une entité fictive. Derrière cette nouvelle agence annoncée en grandes pompes par le Président Hollande, ce sont les Caf, en charge de la gestion de l’ASF recouvrable, qui se sont vu déléguer par l’État une mission de recouvrement des impayés de pensions … qu’elles exerçaient en réalité depuis toujours !
En résumé, le Gouvernement Philippe a repris à son compte les seules mesures d’accompagnement marginales à destination des familles plus pauvres qui découlaient de la réforme des prestations familiales de 2013 sans y apporter la moindre amélioration. S’il y a lieu de reconnaître que ces revalorisations améliorent les aides apportées aux familles les plus modestes, en particulier les familles monoparentales, nous devons néanmoins rappeler que ces modestes coups de pouce étaient la contrepartie d’une série de réductions historiques des prestations familiales pour le reste des familles.
2. Un encouragement incompréhensible aux solutions individuelles de garde du jeune enfant
Plus incompréhensible en revanche, l’annonce du relèvement de 30 % du plafond du Complément Mode de garde (CMG) pour ces même familles monoparentales. Le CMG vise à aider financièrement les familles qui recourent à des solutions de garde à domicile, chez une assistante maternelle ou en micro-crèche.
Cette mesure est un encouragement sidérant aux solutions individuelles de garde du jeune enfant au détriment des solutions collectives de garde du jeune enfant. Précisons que projet s’inscrit dans un contexte d’insuffisance criante du nombre de places en Établissement d’accueil du jeune enfant ; notons de surcroît que sur les 100 000 places de crèche supplémentaires prévues à l’horizon 2017 dans la Convention d’Objectifs et de Gestion État / CNAF, à peine 54 000 ont effectivement vu le jour.
Alors même que les familles souhaitent majoritairement recourir à des solutions collectives de garde, nettement moins coûteuses pour les familles et encadrées par des professionnels de la petite enfance, le Gouvernement décide de revaloriser à l’inverse les aides financières aux solutions individuelles de garde qui, en pratique, sont utilisées par les familles aisées car beaucoup plus onéreuses. Plus insolite encore, la revalorisation de 30 % du plafond du CMG est réservée aux seules familles monoparentales qui sont dans les faits les familles les plus touchées par la pauvreté … et qui pourront le moins recourir à ce type de solutions de garde y compris avec la revalorisation prévue. En effet, le Gouvernement n’a prévu de toute façon de la financer qu’à hauteur de 40 millions d’euros, ce qui s’apparente littéralement à de la poudre aux yeux.
Nous peinons à comprendre le sens de cette mesure, censée aider les familles monoparentales à privilégier des solutions de garde auxquelles la frange la plus paupérisée ne pourra recourir. Cette stratégie a néanmoins une portée symbolique considérable car elle entérine le revirement politique initié depuis les années 2000 en matière d’accueil du jeune enfant. Le Gouvernement semble vouloir tabler sur une stratégie duale reposant d’une part sur des solutions domestiques de garde pour les familles les plus pauvres exclues de l’emploi et, d’autre part, sur l’encouragement à l’embauche d’emplois précarisés (assistantes maternelles, nounous …) pour les familles (plus) aisées. Et ce au détriment d’un véritable service public de la petite enfance au sein de structures adaptées au besoin des familles et contribuant à la socialisation de l’enfant.
Si l’encouragement aux modes de garde individuels peut avoir, à la rigueur, du sens dans certaines zones rurales et péri-urbaines, en revanche l’encouragement aux micro-crèches financées par la CMG structure est extrêmement contestable, et par ailleurs plus coûteuse pour la branche famille que le financement de places de crèches classiques car ces dernières bénéficient du co-financement des collectivités territoriales. A noter que sur les 50 à 60 000 places créées ces 5 dernières années, 50 % seraient de type privé (crèches privées ou micro-crèches CMG structure). Or la création de ces équipements ne s’effectue pas aux endroits où les besoins des familles sont les plus importants, voire contribue à déstabiliser les crèches collectives ou assistantes maternelles déjà installées, tout en facilitant le contournement des normes de qualité et en ruinant tout effort de mixité sociale et de lutte contre la ségrégation socio-spatiale.
La future Convention d’Objectifs et de Gestion CNAF / État qui sera signée en 2018 fixera les objectifs gouvernementaux en termes de créations de places de crèches. Il y a fort à parier que ceux-ci seront ambitieux … avec des moyens de financement largement réduits, tant pour le budget d’action sociale de la branche famille que pour les collectivités locales.
3. L’accélération de l’exclusion des classes moyennes du bénéfice de la politique familiale
Pour les classes moyennes à l’inverse, le Gouvernement Philippe entend accélérer a contrario leur sortie du bénéfice de la politique familiale. Sous couvert de « simplification », le PLFSS opère un alignement par le bas des plafonds de ressources de l’Allocation de base de la PAJE (versée jusqu’aux 3 ans de l’enfant) et du Complément familial (versé à compter du 3ème anniversaire de l’enfant). Ce terme de simplification est une litote assez cynique pour ne pas dire « économies sur le dos des familles ».
Précisons tout d’abord que ces deux prestations ne concernent pas les même types de familles car le Complément familial n’est versé qu’aux familles de 3 enfants et plus alors que l’Allocation de base est versée dès le premier enfant. Pour une majorité de familles bénéficiaires de l’Allocation de base, la simplification annoncée risque donc d’apparaître pour le moins abstraite. En revanche, cette prétendue « simplification » aura pour l’ensemble des familles deux conséquences très concrètes : d’une part, le montant de l’Allocation de base passera de 184 € à 169 € par mois et, d’autre part, la réduction de 3 100 € du plafond de ressources se traduira par l’exclusion de dizaines de milliers des familles du bénéfice de l’Allocation de base et au mieux par leur basculement dans le dispositif à taux partiel (92 € par mois). Au total, ce sont 500 millions d’euros d’économies réalisées sur le dos de l’ensemble des familles qui sont attendues par cette mesure « d’harmonisation » qui ne simplifiera en rien les finances de leurs bénéficiaires.
Le Président Macron s’inscrit dans la droite ligne de la réforme des prestations familiales initiée sous le quinquennat Hollande et dont la philosophie consiste à sortir progressivement les classes intermédiaires du champ de couverture de la politique familiale. Le Gouvernement entérine de la sorte son souhait de transformer la branche famille de la Sécurité sociale en simple opérateur de lutte contre l’extrême pauvreté. Il vise à mettre fin à la dimension universelle de la politique familiale qui découlait de la vocation initiale de la Sécurité sociale et de son financement par la cotisation sociale, autrement dit le salaire socialisé.
Et cette orientation politique risque très prochainement de franchir un nouveau cap historique si l’on s’en tient aux annonces faites par le Ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire. Celui-ci a en effet exprimé son souhait de mettre fin à l’universalité des Allocations familiales pour les ménages aisés. Une telle mesure ne ferait que parachever la réforme des Allocations familiales mise en œuvre en 2013 qui a introduit la modulation des Allocations familiales au-delà de certains niveaux de revenus.
L’UFAL avait exprimé sans ambages son opposition radicale à la fin de l’universalité des Allocations familiales en 2013 au moment de l’entrée en vigueur de cette réforme. Il suffit de relire nos publications pour être frappé par l’exactitude de nos anticipations. Nous avions évidemment raison de penser qu’il ne s’agissait que d’une étape vers la suppression progressive des Allocations familiales pour les classes intermédiaires de revenus. Cette lente asphyxie de la politique de prestations familiale que le Président Macron cherche à accélérer découle de la décision de supprimer (ou quasi supprimer) le financement de la branche famille par les cotisations sociales : depuis 2012-13, la branche famille qui est pourtant structurellement excédentaire, est entrée dans une ère de réduction continuelle du niveau des prestations versées, rendue possible car la CNAF ne dispose plus de ressources affectées. Le financement de la branche famille repose aujourd’hui structurellement sur des ressources fiscales non pérennes revues (à la baisse) chaque année. Les décisions de ce PLFSS 2018 et celles à venir (mise sous conditions des AF…) s’inscrivent dans cette logique de modification structurelle du financement de la branche famille et de son resserrement autour d’un objectif de lutte contre l’extrême pauvreté. Le prix de cette politique sera très élevé, à savoir la destruction de la cohésion sociale entre l’ensemble des familles.
En attendant qu’un tel dispositif ne n’applique à d’autres types de prestations, comme celles de l’assurance maladie.