Depuis le 22 mars 2017, des prières de rue musulmanes sont organisées tous les vendredis devant la mairie de Clichy-la-Garenne (92), sous la protection de la police. Quelques laïques avaient bien protesté, en vain. Il aura fallu plus de 7 mois pour que les médias s’en emparent, suite à une manifestation organisée le 10 novembre dernier par le maire (LR) et des élus de droite et d’extrême-droite, Valérie Pécresse en tête. Et là, ô surprise ! Le ministre de l’Intérieur s’exprime, et le préfet se décide à interdire les prières de rue, découvrant enfin un « trouble manifeste à l’ordre public » ! Voilà qui sent un brin la manipulation — Libération parle « d’intoxication ». Mais au fait, qui manipule qui ? Quelques rappels des lois de la République s’imposent — manifestement ! — à tous les protagonistes.
La religion instrumentalisée par la politique
À l’origine des faits : l’expiration (confirmée par décision de justice) du bail précaire accordé à l’association cultuelle UAMC1 « Grande Mosquée de Clichy » pour un local municipal en centre-ville. Les occupants qui s’incrustaient ont donc été expulsés par la police le 22 mars 2017. En signe de protestation, et pour exiger un relogement, l’association a appelé à des « prières de rue devant la mairie », qui se déroulent depuis, chaque vendredi, sous la surveillance de la police.
La pratique d’un culte sert donc ici d’alibi à des manifestations d’occupation systématique de l’espace public, à objet politique et économique local. Voilà qui justifiait une interdiction…
Or une autre mosquée existe à Clichy, dans des locaux attribués par la mairie (via un BEA, bail emphytéotique administratif2 ) aux Associations cultuelles et culturelles des Trois-Pavillons. Mais l’UAMC n’en veut pas, au prétexte que cette mosquée ne répondrait pas aux normes de sécurité (c’est à la commission de sécurité de le dire), serait « trop éloignée du centre » (12 minutes à pied, ce n’est pourtant rien pour un croyant), trop exiguë (ce qui est exact, mais dû à l’affluence de pratiquants extérieurs à la ville), et dans un environnement « indigne » (mais appelé à évoluer par des constructions nouvelles). Il y aurait par ailleurs tension entre l’UAMC et les « Trois Pavillons », présidés par Mohamed Bechari (Fédération nationale des Musulmans de France, FNMF, traditionaliste et proche du Maroc).
En outre, dès mars 2017, les protestataires ont été soutenus par le bien connu Marwan Muhammad, dirigeant du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France et vitrine des Frères musulmans), déclarant3 : « Je n’ai pas envie que mes enfants prient entre une décharge et une casse ». Les enfants vont donc à la mosquée ? Habite-t-il même Clichy ? Pure agitation politique à l’évidence.
L’opération relève d’une tactique bien connue : 1) provoquer (occupation illégale de locaux, blocage de la rue), de façon à 2) subir la « répression » légale, ce qui permet 3) de présenter « les musulmans » comme des « victimes d’une France islamophobe ». Le but ultime 4) étant de convaincre l’ensemble des « musulmans » qu’ils doivent faire sécession dans la République et suivre l’islamisme politique.
Les élus ceints de leur écharpe tricolore s’opposant aux musulmans qui prient : quel beau cadeau de LR aux intégristes du CCIF… et à l’extrême-droite raciste4.
Ce n’est pas à la République d’assurer « la dignité des cultes », mais à leurs adeptes !
Aux termes de l’art. 1er de la loi du 9 décembre 1905, la République « garantit » seulement « le libre exercice des cultes ». Elle ne « l’assure » pas5, ce qui impliquerait organisation et financement publics explicitement interdits par l’art. 2 de la même loi. Au demeurant, un culte financé par une collectivité publique cesserait d’être « libre » !
Le recours au bail emphytéotique administratif est la seule dérogation permise (introduite subrepticement en 2006) à cette interdiction. S’il est par ailleurs possible à une collectivité de mettre une salle municipale à disposition d’une association pour l’exercice d’un culte (ramadan, etc.), ce ne peut être que moyennant convention et contrepartie financière, et de façon « ni exclusive ni pérenne »6.
Si, comme ils le soutiennent, les membres de l’association UAMC ont les moyens de financer un édifice de culte, ils ne peuvent en aucun cas exiger de la commune qu’elle mette un terrain à leur disposition : le recours au BEA est en effet une simple faculté, en aucun cas une obligation !
Les communes n’ont pas à céder à l’injonction des différents cultes qui présentent comme obligatoire ce qui n’est que facultatif, et relève de la « libre administration » des collectivités.
Prières de rue et « ordre public » à géométrie variable
L’art. 27 de la loi du 9 décembre 1905 (on ne se lasse pas de la citer) dispose que les « cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte » relèvent de la « police municipale » (aujourd’hui art. L2212-2 du code général des collectivités territoriales). Celle-ci garantit notamment « la sûreté et la commodité du passage », « la tranquillité publique » et « le maintien du bon ordre » dans les lieux publics : toutes choses manifestement perturbées à Clichy. Cette police est normalement assurée par le maire (sauf dans les grandes villes où existe un Préfet de police), le Préfet ayant un pouvoir de substitution (art. L2215-1 du code cité).
Le maire de Clichy était donc le premier concerné par le maintien de l’ordre public dans sa ville. Que n’est-il intervenu plus tôt ? Les pressions communautaristes intimident trop d’élus !
Les prières de rue sont donc, non pas « légales », mais « réglementées ». Comme toute autre manifestation sur la voie publique, elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable (art. L211-1 du code de la sécurité intérieure) auprès du maire, ou du Préfet si « la police d’État » est instituée dans la commune (ce qui semble le cas à Clichy). Au vu de cette déclaration((Art. L211-2, al. 2 du code de la sécurité intérieure : « La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté. ».)), « l’autorité investie du pouvoir de police » peut, si elle craint des troubles à l’ordre public, interdire la manifestation, ou simplement demander une modification du lieu, du parcours, de l’horaire, etc. Le tout, sous le contrôle du juge administratif, qui peut être saisi, notamment si les mesures ne paraissent pas proportionnées, ni le risque établi (voir l’annulation par le Conseil d’État des arrêtés municipaux prohibant le burkini).
Pourquoi donc le Préfet n’a-t-il pas immédiatement interdit ces prières de rue, dont le caractère répété et systématique était en soi source de tensions dans la population, et causait un désordre évident dans l’espace public ? C’est la manifestation de la droite LR qui a conduit les autorités à prendre la situation au sérieux. Crainte de laisser le terrain à l’opposition — renforçant sa frange extrémiste ? Bien piètre calcul, au regard de la gravité des faits et des tensions qui s’accumulaient, depuis le mois de mars !
Le Préfet a en tout cas déclaré : « Depuis la manifestation des élus, j’ai estimé qu’il y avait un risque accru pour l’ordre public. » Le risque n’était donc pas suffisant avant la manifestation ? L’hypocrisie est évidente, et de plus hasardeuse : car prendre prétexte d’une contre-manifestation pour interdire une manifestation est en général très mal pris par les juges. Cela sent trop son prétexte. Comme l’interdiction vaudra pour tout le département des Hauts-de-Seine, il y a fort à parier que les juristes procéduriers du CCIF ou autres vont déférer l’arrêté devant le juge administratif. Sans garantie de ce que dira celui-ci.
Il semble que « la classe politique » convienne — enfin ! — que ces prières de rue sont inadmissibles et dangereuses pour la paix sociale. Mais comment les interdire par la loi sans discrimination à l’égard d’une seule religion (on n’interdira pas les processions…) ? La réponse est suggérée par les lignes qui précèdent : en appliquant la loi, rien que la loi, mais toute la loi. Et surtout en cessant de minimiser les troubles à l’ordre public dès qu’ils mettent en jeu des opérations politico-religieuses, alors même que la justice se montre souvent impitoyable avec les manifestants syndicaux. L’ordre public ne doit plus être un concept à géométrie variable.
- Union des associations musulmanes de Clichy [↩]
- BEA : sur un terrain public, moyennant une redevance, une association cultuelle construit à ses frais un lieu de culte, qui intégrera le patrimoine de la collectivité (!) à l’expiration du bail (de 18 à 99 ans). [↩]
- Site d’Europe 1, 24 mars 2017. [↩]
- Qui a jeté de l’huile sur le feu en publiant un faux tract antisémite pour qu’on l’attribue aux musulmans ! [↩]
- Contrairement à ce qu’a pu soutenir Jean Baubérot, par exemple. [↩]
- Conseil d’État, Ville de Montpellier, 19 juillet 2011. [↩]