Le dernier « poulain » de l’Observatoire de la Laïcité s’appelle Asif Arif. Il est avocat, et vient de publier un ouvrage intitulé « Outils pour maîtriser la laïcité », préfacé par Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène en personnes. C’est un livre à éviter, que nous critiquons ci-après (encadré). Mais son étrange auteur n’est pas seulement mauvais juriste.
On découvre en effet sur internet que, malgré son jeune âge, Asif Arif était, en 2015, secrétaire général du Forum Européen Interreligieux pour la Liberté de Religion (EIFRF-France). Cet organisme prône « le respect envers les religions et les croyances de l’humanité ; la promotion du dialogue interreligieux ; la promotion de la connaissance des religions et des croyances », et considère notamment la Scientologie comme une religion. Voilà des références bien curieuses, pour un personnage qui prétend enseigner à « maîtriser la laïcité ». Mais Asif Arif a fait mieux.
Asif Arif contre Marlène Schiappa : « La laïcité n’a rien à voir avec les droits des femmes » (sic)
Cette année, Asif Arif vient de fêter à sa façon le 9 décembre en s’en prenant à Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Celle-ci, au Grand Orient de France, où lui était remis un prix de la laïcité, a déclaré notamment : « Les institutions religieuses ne doivent obliger aucune femme, nulle part, jamais, à rien » ; « C’est parce que la République française est laïque qu’elle affirme que l’excision est une mutilation gravissime (…) ». « Nous devons empêcher qu’au nom de la religion, on interdise dans la République française, à des garçons et des filles de se tenir la main à l’école, qu’on arrange des mariages, qu’on empêche des femmes de disposer librement de leur corps en culpabilisant le recours à l’IVG, qu’on séquestre des jeunes filles, qu’on enferme des corps dans des grilles de tissus ». Fermes propos frappés au coin du bon sens républicain ?
Pas du tout, dit Asif Arif, qui soutient que la secrétaire d’Etat aurait « tout mélangé ». Pour lui, la laïcité n’aurait « rien à voir avec les droits des femmes ». L’affirmation est ahurissante ; le raisonnement ne l’est pas moins : « soutenir que c’est parce que la République est laïque que de tels actes ne sont pas autorisés c’est d’emblée porter un jugement de valeur sur les religions qui, elles, entretiendraient de telles mutilations et actes de barbarie. Or, sauf une infime minorité d’extrémistes, les religions monothéistes sont généralement contre ces pratiques (…) » (« généralement », seulement !) On rappellera à Maître Arif que la laïcité ne consiste pas à défendre « les religions », mais seulement à garantir le libre exercice des cultes, sous les réserves tenant à l’ordre public…
Mieux : c’est justement parce que la France est « une République laïque » que son droit a rompu peu à peu avec les dogmes religieux. Dès la Révolution, laïcisation de l’état-civil, autorisation du divorce ; plus tard, enseignement public pour les filles, laïcisation des funérailles ; plus récemment, autorisation de la contraception, de l’IVG, du mariage entre personnes du même sexe ; lois de bioéthique… et nous espérons que ce n’est pas fini (droit de mourir dans la dignité ? égalité d’accès à la PMA ?…)((On trouvera un excellent rappel historique de ces enjeux sociétaux de la laïcité dans l’ouvrage de notre ami Gérard Delfau : « La laïcité, défi du XXIème siècle » (éd. L’Harmattan).)).
Et voilà le comble de l’horreur pour Arif : « L’idée selon laquelle le voile serait un acte de soumission, est très largement induit[e] par les propos de Schiappa. » Asif Arif estimerait-il que la laïcité interdit de critiquer le port du voile ? Auquel cas, cet avocat n’a rien compris à la loi. Dans une République laïque, on est libre de critiquer les religions, voire de blasphémer. Mais au fait, sur le fond, ne serait-il pas un défenseur de cette pratique ? Gagné !
« Les bienfaits du voile »… porté par les petites filles !
Asif Arif appartient à une minorité religieuse musulmane (persécutée au Pakistan), appelée « ahmadiyya »,– ce qui est son droit le plus strict. En revanche, lui qui s’affiche comme un juriste et un spécialiste de la laïcité apparaissait en 2015 sur YouTube comme… présentateur d’émissions religieuses. Et pas n’importe lesquelles : vidéo.
Dans cet enregistrement édifiant, Asif Arif demande « comment expliquer à sa fille les bienfaits du voile » (ça ne s’invente pas !) à un sympathique religieux, qui conseille de voiler les filles dès le plus jeune âge (« 7, 8, 9 ans »), pour les y habituer et éviter qu’elles ne « se rebellent » plus tard !
Après ça, il faut vraiment se moquer du monde pour nier que le voile soit « un acte de soumission », Maître Arif ! C’est monstrueux, attentatoire à la liberté de conscience des jeunes enfants – les plus vulnérables –, et relève du mauvais traitement pur et simple.
Question à l’Observatoire de la laïcité : Jean-Louis Bianco approuve-t-il ce déni de la liberté de conscience ? Non, sans doute. Mais il faut alors en conclure qu’il aura été piégé « à l’insu de son plein gré » – une fois de plus, cela fait beaucoup((Voir l’encadré sous notre article « L’Université de Lyon 2 annule le colloque sur « l’islamophobie d’État », mais ne renonce pas »)) !- par un communautariste déguisé en laïque ! L’honnêteté oblige à dire que Maître Asif Arif est proche de l’association « Coexister », qui promeut le dialogue interreligieux en le faisant passer pour la laïcité, et fête le 9 décembre en… organisant des visites de lieux de culte ! Hasard : elle est également patronnée par l’Observatoire de la Laïcité…
Voilà où mènent les dérives de cet Observatoire officiel, qui court systématiquement après les religions, offrant ainsi un boulevard à des communautaristes infiltrés comme Asif Arif, qui cherchent à promouvoir leurs croyances particulières « en se faisant un paravent du manteau » d’un organisme gouvernemental. Dernier exemple en date :
Il faut cesser de couvrir ces infiltrations permanentes du religieux, qui dévoient et instrumentalisent la liberté de conscience ! Après nos révélations, Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène auront-ils l’honnêteté de se démarquer d’Asif Arif ?
Un livre qu’on ne recommandera pas…
ASIF ARIF – OUTILS POUR MAITRISER LA LAÏCITE (Ed. La Boite à Pandore, 2017)
On s’en voudrait presque de critiquer un livre qui nous a été offert gracieusement par un auteur souriant, si le personnage n’était pas fort trouble, comme il est montré par ailleurs. Le sujet a donné lieu à bien d’autres ouvrages juridiques, dont certains très recommandables((Par exemple Les Frontières de la Laïcité de Frédérique De la Morena (LGDJ), ou Le Droit de la Laïcité, de Mathilde Philip-Gay (Ellipses), voire La Laïcité, de Michel Miaille (Dalloz)). La préface de Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène – qui n’appelle pas en elle-même de critiques- sert ici d’alibi à un mauvais livre et surtout à une opération d’infiltration.
Des approximations dangereuses et des erreurs notables
L’ouvrage, sous forme de fiches, n’est qu’une compilation de documents, de commentaires d’arrêts (pas forcément les mieux venus), … et de livres d’autres auteurs. Parmi ceux-ci, l’inévitable Jean Baubérot, Emile Poulat (grand « interprète » catholique de la laïcité) – les deux n’étant pas spécialement des juristes- et surtout le Traité du droit français des religions de Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, et Jean-Marie Woehrling – bible des cléricaux et des défenseurs du « droit local » d’Alsace-Moselle !
On trouvera certes des documentations utiles sur l’organisation des cultes (puisées semble-t-il du côté du ministère de l’intérieur), des jurisprudences -parfois peu fraîches : par exemple sur les crèches de la nativité, des rapports obsolètes (Baroin, 2003 ; Rossinot, 2006) – en revanche, le contenu du rapport Machelon (2006) n’est carrément pas compris. Et sur l’affaire Baby-Loup, la solution définitive adoptée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation est purement et simplement cachée au lecteur (pp. 188-189) : on préfère s’attarder sur les « entreprises de conviction », sujet adjacent écarté par la Cour((On rappellera à Maître Arif que la Cour s’est fondée sur la liberté de conscience des jeunes enfants (mais lui-même préfère les petites filles voilées…) pour estimer justifiée la neutralité du personnel.)).
Les affirmations erronées sont légion : la prétendue « objection de conscience » des élus contre le « mariage pour tous » (p. 117) ; une fiche sur « les collaborateurs occasionnels du service public »… alors même que le Conseil d’Etat a récusé l’existence d’une telle catégorie juridique ! Pire, « l’absence de laïcité » prétendue dans les établissements supérieurs (p. 171) – en méconnaissance de l’art. L.141-6 du code de l’éducation (« Le service public de l’enseignement supérieur est laïque … »). De telles erreurs seraient impardonnables chez un étudiant en droit…
Le livre pèche en réalité par une absence totale de rigueur conceptuelle. Il suffit de lire les commentaires consacrés aux deux premiers articles de la loi de 1905 : la notion de « liberté de conscience », avec sa double dimension (liberté de pensée, absolue ; liberté de manifestation, relative) est méconnue (une citation de Messner la réduit au « for intérieur » !) ; quant à l’article 2, citations d’Emile Poulat à l’appui, il est carrément interprété à contresens : « la République reconnaît le fait religieux, elle ne pourrait s’en passer » ; « avec les campagnes de lutte contre la radicalisation (…) l’Etat reconnaît plus que jamais les cultes » (p. 89)
Une vision concordataire
Après de pareilles lectures, et dans le vide de la pensée critique, c’est une idéologie au mieux concordataire qui s’impose, avec des « accommodements raisonnables » divers : « arrangements juridiques préalables » pour faciliter (contre la loi !) l’usage des baux emphytéotiques administratifs (p. 95). Et une fiche sur « l’enseignement des religions » nous apprend (p. 255) que « les pouvoirs publics peuvent très bien estimer qu’il convient de favoriser l’enseignement du fait religieux, en témoignent d’ailleurs les derniers débats politiques sur la question de l’enseignement des religions OU de la morale laïque ». Tant de confusion laisse confus.
Mieux, on trouvera même une fiche sur : « les juridictions religieuses : le christianisme et l’islam », sans la moindre distance critique pour souligner que la République laïque ne reconnaît ni le droit canon, ni les tribunaux islamiques ! On apprendra enfin que, grâce à la religion musulmane en prison, « beaucoup de détenus retrouvent, à travers l’épanouissement spirituel, un épanouissement social » – variante de la « religion apaisante » de Nicolas Sarkozy…
En un mot, et en dehors même de l’indispensable méfiance qu’inspirent les orientations idéologiques de l’auteur et son double langage démontré par ailleurs, voilà un ouvrage que l’on déconseillera fortement à qui entend simplement « maîtriser la laïcité ».
C.A.