Comment dévoyer la laïcité sans lever les foules ? L’édulcorer, la falsifier… Dès l’école !
Ashoka, leader mondial de l’entrepreneur social, c’est à dire de la marchandisation de l’activité militante et sociale, a dans le collimateur la laïcité. Après avoir fait de Samuel Grzybowski, fondateur de CoExister et son versant marchand Convivencia, un modèle à suivre, c’est au tour de Marine Quenin, fondatrice d’Enquête d’être reconnue par l’organisme. Point commun entre les deux associations : brouiller les cartes entre la laïcité et l’interreligieux auprès des jeunes.
On lit sur la page du pionnier de l’entrepreneur social Ashoka : « Avec Enquête, Marine veut démontrer que connaître et comprendre les religions et les pratiques sociales associées est essentiel à la citoyenneté et à la laïcité. »Pictures from :– TRUSTOPT
Faire reposer la citoyenneté et la laïcité sur les religions c’est d’emblée leur accorder une importance qu’elles n’ont pas ! C’est aussi exclure près de 60 % de la population française qui se déclarait en 2015 humaniste athée, agnostique ou sans religion. Rappelons que c’est justement par la laïcité que l’on garde intacte cette dimension citoyenne universelle en refusant de réduire quiconque à ses croyances ou son absence de croyance, bref à cette part de son intimité. La laïcité assure la liberté de conscience de chacun et garantit la liberté de pratique de tous. Ainsi quiconque peut croire ou ne pas croire, pratiquer un culte ou aucun et même changer de culte le cas échéant.
« Bien que présent dans les programmes, le sujet n’est que très peu ou pas abordé par les professeurs et personnels éducatifs souvent peu équipés ou mal à l’aise avec le sujet. En résulte un manque de connaissances nourrissant les tensions communautaires. »
L’argument est pour le moins osé sinon piégeant ! D’abord, on préfèrera aux entrepreneurs sociaux des enseignants dûment qualifiés pour former à ces questions, qui se doivent de rester neutres. Ensuite, ce passage suppose que ce serait en connaissant les pratiques des communautés que l’on détendrait les tensions communautaires. Autrement dit, il faudrait commencer par assigner chaque élève à sa communauté religieuse supposée pour réduire les tensions communautaires ! Et pour les athées et les agnostiques, quelles sont elles ? Il fallait oser le dire ! Depuis quand faut-il parler la langue de la communauté à laquelle un individu appartiendrait a priori pour le faire exister en tant que Citoyen ? L’article 2 de 1905 est pourtant clair : « La République ne reconnaît ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». L’esprit de la loi est donc sans équivoque : nous ne reconnaissons pas les communautés, même si elles peuvent bien sûr exister. Curieux oubli pour une association qui prétend éduquer les jeunes de 8 à 12 ans à la laïcité ! Mais que va-t-on mettre dans la tête de nos enfants ? Là encore, le refus de l’universalisme laïque assigne l’individu à une communauté ce qui l’empêche d’exister d’abord seul et libre comme le promeneur solitaire. Malgré tout, les tensions inter communautaires existent et sont à prendre au sérieux. Mais, ne seraient-elles pas dues au refus de l’universalisme dispensé par ce type de discours qui divise plus qu’il unit ? Ou encore, aux conditions sociales qui se délitent de plus en plus ?
« Marine souhaite intégrer la compréhension du fait religieux dans le parcours de tout citoyen, pour rendre possible la coexistence apaisée des convictions et une laïcité “intelligente et positive” ». Qu’est-ce qu’une laïcité bête et négative ? Rappelons qu’elle n’est pas une attitude ou une morale, mais la possibilité à chacun d’avoir celles qui lui conviennent ! Nul ne sera surpris de découvrir ici une laïcité adjectivée ! Comme le rappelait JP SCOTT, historien, « la laïcité adjectivée n’a jamais été utilisée que par les ennemis de la laïcité ».
Les religions peuvent dialoguer entre-elles, qui s’en plaindrait ? Mais, qu’elles le fassent en dehors de l’école publique ! D’ailleurs, il y a déjà des programmes qui présentent des faits religieux à travers l’art, la philosophie, la littérature, l’histoire, et l’EMC, sans assigner quiconque à ses croyances, appartenances ou « origines » réelles ou supposées. Mais la confusion entre laïcité et dialogue inter religieux fait preuve d’une méconnaissance de l’idéal laïque ou, chose plus probable, d’une volonté de faire basculer durablement notre modèle humaniste. Après « une idée folle » sur les écoles Ashoka, on découvre que l’éducation nationale continue dans cette voie scabreuse ; c’est tout simplement inadmissible ! Nous ne voulons pas que nos enfants soient des « changemakers » mais des êtres instruits et doués d’esprit critique, bref des êtres libres !
Le but d’Ashoka est de lancer des idées sur le long terme, qui doivent modifier durablement les institutions pour arracher les marchés sociaux occupés auparavant par l’Etat. Rappelons que près de 60 % des idées lancées par ce pionnier de l’entrepreneuriat social ont modifié durablement le tissu social et législatif des pays concernés. Il y a donc un réel danger (cf. document). Nous en parlions dernièrement lors d’une conférence publique et dans nos dernières publications. La ligne promue par cet organisme est à l’exacte opposée de celle de l’UFAL : là où nous lions le progrès social et le progrès laïque pour faire avancer l’idéal d’émancipation de la personne humaine issu des Lumières, Ashoka promeut la marchandisation de secteurs sociaux jusqu’ici épargnés et la segmentation de l’Humanité en communautés, pour mieux saper l’universalisme dans ses fondements.