Article de Mediapart : « Le Conseil d’Etat face à la validation des diplômes du Vatican »
Le Conseil d’Etat face à la validation des diplômes du Vatican
Par Sandy Plas
Mediapart.fr 130609
On aurait presque tendance à l’oublier mais, depuis deux ans, Nicolas Sarkozy s’efforce de porter quelques coups de boutoir à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Tout à sa défense de la «laïcité positive», et à l’ouverture vers les religions, il a ainsi permis la signature d’un accord, en décembre 2008, entre la France et le Vatican sur la reconnaissance des diplômes des universités catholiques. Désormais applicable par décret du 16 avril 2009, cet accord brise le principe du monopole de l’Etat pour la délivrance des diplômes universitaires.
«Depuis le discours de Nicolas Sarkozy à Latran en décembre 2007, il y a une tendance forte à l’augmentation des entorses à la laïcité», dénonce Monique Vézinet, présidente de l’Union des familles laïques (UFAL). Un discours pendant lequel le chef de l’Etat avait justement appelé à cette «laïcité positive», opposée à une laïcité «fatiguée», menacée par le «fanatisme».
Discours de Latran, du 20 décembre 2007. A 10min 21s, Nicolas Sarkozy juge «dommageable» la non-reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur catholique.
La prochaine manche qui va opposer cette «laïcité positive» à une «laïcité fatiguée» se joue devant le Conseil d’Etat. Le 8 juin dernier, un recours en annulation a été déposé par le Collectif pour la promotion de la laïcité: «Il vise le décret du 19 avril, puisqu’on ne peut pas intervenir sur l’accord signé en décembre», souligne Monique Vézinet. «Cet accord, et le décret qui le rend applicable, modifient des dispositions constitutionnelles, ce qui est juridiquement impossible. Du point de vue formel, le dossier d’annulation du décret est donc très solide.»
Dans la ligne de mire des associations de défense de la laïcité, la remise en cause du monopole de la délivrance des diplômes universitaires par l’Etat. L’accord avec le Vatican ouvre aux instituts catholiques la possibilité de délivrer eux-mêmes leurs diplômes, et brise un principe vieux de plus d’un siècle, érigé en 1880 par Jules Ferry et Paul Bert. Ce même principe réaffirmé en 1984 par le Conseil d’Etat, lors de l’analyse de la loi Savary sur l’enseignement supérieur.
Les enjeux d’un accord discret
L’autre enjeu, essentiel aux yeux du Collectif, concerne la place de la laïcité et la neutralité de l’Etat face aux religions. «Cet accord est contraire au principe même de laïcité, il y a de gros risques de dérives, notamment sur les revendications des autres religions. On a commencé par l’enseignement catholique, qui fait peut-être moins de remous, mais c’est une porte ouverte aux autres enseignements confessionnels», souligne Monique Vézinet.
Une position partagée par sept députés du parti socialiste et du parti de gauche qui ont déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale le 19 mai dernier. Dans cette proposition, ils soulignent que «la loi du 9 décembre 1905 [relative à la séparation de l’Eglise et de l’Etat], en imposant à l’État la neutralité religieuse, vise à établir une stricte égalité de traitement entre les cultes. Cette égalité est rompue, dès lors qu’un culte particulier voit reconnus publiquement les seuls diplômes, y compris « ecclésiastiques », qu’il délivre. On n’ose imaginer les revendications à venir, au nom d’autres religions».
S’ajoutent à cela quelques zones d’ombre, pas vraiment éclaircies par les deux pays en présence. Lors de la signature de l’accord, en décembre, les ministères des affaires étrangères et de l’enseignement supérieur avaient déclaré dans un communiqué «[qu’étaient] visés par cet accord les diplômes canoniques».
Pourtant, du côté du Vatican, on avance que «comme une simple lecture de l’accord permet de le constater, il n’est pas indiqué que seuls les diplômes canoniques soient concernés…».
Une imprécision qui permettrait donc au Vatican d’habiliter des établissements pour la délivrance de diplômes pour les matières profanes.
Il existe aujourd’hui cinq instituts supérieurs d’enseignement catholique en France, qui proposent à la fois ces cursus profanes – mathématiques, économie… –, et des formations théologiques. Pour valider et faire reconnaître leurs diplômes, ces instituts peuvent signer des conventions avec une université publique ou organiser un jury d’Etat pour évaluer leurs étudiants. L’accord de reconnaissance signé avec le Saint-Siège permet aujourd’hui la délivrance automatique des diplômes par ces instituts, avec la condition préalable qu’ils aient été reconnus par le Vatican.
Le Saint-Siège est-il un Etat comme un autre?
Officiellement, du côté du ministère de l’enseignement supérieur, on fait valoir qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans cet accord, celui-ci venant simplement répondre aux exigences européennes: «La signature de l’accord avec le Saint-Siège s’inscrit comme pour tous les accords avec les autres Etats européens dans le cadre du « processus de Bologne »», précise le ministère dans un communiqué du 6 janvier 2009.Le processus de Bologne, justement, a pour objectif la construction, d’ici à 2010, d’un vaste espace européen de l’enseignement supérieur, notamment par la reconnaissance mutuelle des diplômes universitaires. Au total, 46 Etats, dont le Vatican, sont engagés dans le processus.
En signant cet accord avec le Vatican, le gouvernement a donc choisi de considérer le Saint-Siège sur le même plan que les autres pays signataires du processus de Bologne. Une étrange position pour un pays ayant inscrit le principe de laïcité dans sa constitution.
De plus, le processus de Bologne ne prévoit que la reconnaissance des équivalences des diplômes entre les Etats signataires. «L’accord avec le Vatican n’a rien à voir, puisqu’il prévoit d’attribuer au Vatican l’autorité de délivrer des diplômes sur un territoire étranger. C’est comme si l’Espagne pouvait délivrer des diplômes en France! Le gouvernement s’accroche au seul argument juridique qu’il possède, mais il est faux», souligne Marc Antoine, fondateur du Collectif pour la promotion de la laïcité.
L’avis du Conseil d’Etat ne pourrait intervenir que dans quelques mois. «En cas d’annulation du décret, l’accord ne sera pas brisé, mais pour le rendre valable, il serait nécessaire de modifier la Constitution. Ce qui semble peu probable», explique-t-il.
Dès la signature de l’accord, de nombreuses associations laïques s’étaient chargées d’informer le gouvernement de son irrecevabilité devant le Conseil d’Etat. «Le gouvernement a pris ici une option juridique, en espérant que le décret passe sans contentieux, pour éviter la publicité d’un passage devant le parlement. Mais ça n’a pas marché!», précise Marc Antoine.
«Car le gouvernement craint aussi les débats que ce projet peut susciter au sein même de la majorité», poursuit Monique Vézinet. On se souvient en effet des débats houleux déclenchés en 2003 par la question de l’interdiction des signes ostentatoires à l’école. Jacques Chirac, alors président de la République, se déclarant contre cette proposition du gouvernement Raffarin.
En attendant l’avis du Conseil d’Etat, c’est en tout cas la mobilisation qui est prônée dans le camp laïque. La pétition mise en ligne par le Collectif de promotion de la laïcité a recueilli pour l’heure plus de 15.000 signatures.
URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/130609/le-conseil-d-etat-face-la-validation-des-diplomes-du-vatican
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[5] http://www.icp.fr/
[6] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid23357/precisions-sur-l-accord-signe-avec-le-saint-siege.html
[7] http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=808760
[8] http://www.mesopinions.com/annulation-de-l-accord-Vatican-Kouchner-petition-petitions-aa7ff411b416afe1d722a574e02b8c56.html