Olivier Nobile, responsable de la commission santé – protection sociale de l’UFAL a été auditionné le 24 octobre par Mme Élisabeth Doineau, rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat pour la branche famille du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019.
Voici les réponses écrites au questionnaire qui a servi de support à l’audition.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la politique familiale sur la période 2013-2018 ?
La politique familiale a été fortement affectée par la réforme de 2013 et par sa mesure phare, la modulation des allocations familiales. L’ensemble des mesures contenues dans cette réforme se sont traduites par une réduction de plus de 2 milliards d’euros par an de l’effort social en direction des familles, ce qui nous semble un signal politique très négatif alors que la politique familiale devrait être un investissement social déterminant en direction des générations futures. Certes, certaines améliorations ciblées sur les familles les plus modestes ont été constatées (augmentation du complément familial et de l’allocation de rentrée scolaire) mais au prix d’une réduction importante des prestations pour les familles situées dans les catégories intermédiaires de revenus (allocation de base de la PAJE, modulation des allocations familiales, baisse du quotient familial). Ces évolutions valident l’idée d’une réponse sociale segmentée orientée vers l’assistance des familles les plus pauvres et qui se départit de la vocation universelle de la politique familiale en tant que vecteur de cohésion sociale entre l’ensemble des familles. Cette évolution est en outre renforcée par l’affaiblissement inacceptable des cotisations sociales affectées à la branche famille qui participe d’un basculement massif du financement de la politique familiale vers les familles elles-mêmes, alors même que la politique familiale contribue de manière directe à l’effort productif de la Nation.
Quel que soit le regard que nous portions sur les mesures mises en œuvre depuis 2013, force est de constater que certains indicateurs sont très inquiétants : la natalité connaît un décrochage inédit depuis les années 2000, avec un indicateur de fécondité de 1,88 enfant par femme alors qu’il était resté stable à 2 enfants entre 2006 et 2014. Il en résulte une baisse de 50 000 naissances par an en seulement 3 ans, fait inédit depuis les années 1970 ! L’UFAL ne considère pas que la politique familiale doit être nataliste, toutefois notre mouvement estime que les pouvoirs publics doivent permettre aux familles d’accueillir et d’élever dignement un nombre d’enfants conforme à leurs souhaits. Or, le nombre d’enfants désirés oscille aux alentours de 2,4, soit un écart de près de 0,5 point.
Autre constat édifiant : l’observatoire national de la petite enfance nous apprend qu’en 2017 a été constatée une chute brutale du nombre de familles ayant eu recours à la PrePare, cette prestation partagée qui a succédé au CLCA. En effet, à partir de janvier 2017, date à laquelle l’obligation de partage commence à s’appliquer pour les enfants nés en janvier 2015, la baisse du nombre de bénéficiaires s’accentue très fortement. Entre décembre 2016 et décembre 2017, le nombre de bénéficiaires chute massivement, la baisse étant largement supérieure à celle constatée un an auparavant pour la génération d’enfants nés en 2014. Cette diminution indique que peu de parents partagent la prestation jusqu’aux 3 ans de l’enfant, en dépit de la réforme. Ceci se traduit par une durée de perception réduite en PreParE pour les générations concernées.
Les efforts en matière d’accueil du jeune enfant suscitent quant à eux une appréciation assez sévère de notre part. Si nous avions accueilli avec une relative bienveillance l’annonce de 275 000 places d’accueil supplémentaires, les résultats obtenus sont bien loin des objectifs. Moins de 50% de l’objectif de créations de places en EAJE a été mis en œuvre, et le nombre de place d’assistantes maternelles a quant à lui baissé. Le gouvernement Philippe sembles’être avoir pris acte de cet échec et n’envisage pas d’y remédier : seules 30 000 créations de places de crèches sont prévues au cours de la future COG État/CNAF. Or, dans le même temps plusieurs mesure mises en œuvre tendent à percevoir que le gouvernement actuel entend surtout stimuler le recours aux solutions domestiques de garde.
Quelle est votre appréciation des dispositions prévues par le PLFSS pour 2019 ? Êtes‑vous satisfaits de la majoration du CMG pour les familles ayant un enfant handicapé et de son extension à taux plein au‑delà de trois ans avant l’entrée à l’école maternelle ? Quel regard portez‑vous sur la revalorisation des prestations familiales à 0,3 % pour 2019 et 2020 ?
L’UFAL accueille avec beaucoup d’indignation la revalorisation à seulement 0,3% des prestations sociales et familiales (hors minima sociaux). Compte tenu de l’inflation cette mesure revient dans les faits à diminuer en parité de pouvoir d’achat de 1,4% les prestations familiales de l’ensemble de familles. Nous ne comprenons pas cet acharnement à réduire l’investissement social de la Nation, à un moment où les comptes de la Sécurité sociale sont présentés à l’équilibre et que la branche famille est annoncée avec un excédent de gestion de 1,2 milliard d’euros. Jusqu’à présent les efforts demandés aux allocataires et assurés sociaux étaient demandés sous couvert de réduire les déficits sociaux. Nous comprenons bien que l’objectif poursuivi ne saurait être seulement une question d’équilibre des comptes sociaux, le gouvernement entend en effet réduire drastiquement le périmètre des dépenses sociales et mettre fin au compromis social d’après-guerre permis par le programme du Conseil National de la Résistance, et ce pour l’ensemble des branches de la Sécurité sociale (maladie, retraite, famille). La finalité de ces mesures vise à cantonner la Sécurité sociale et la branche famille en particulier à un rôle d’opérateur para-étatique de prise en charge de la pauvreté tout en incitant les classes moyennes et aisées à opter pour des solutions individuelles de couverture de leurs risques sociaux. L’UFAL affirme à cet égard son hostilité totale à cette entreprise de démolition de la Sécurité sociale en tant que pilier de notre fraternité républicaine.
Certes, certaines mesures annoncées dans le PLFSS comportent quelques coups de pouces aux familles que l’UFAL accueille favorablement, mais sans grand enthousiasme. Il en va ainsi de la revalorisation de 30% du CMG pour les enfants handicapés et ouvrant droit à l’AEEH. L’UFAL approuve par principe toute mesure visant à réduire l’énorme retard qu’a pris la France en destination de prise en charge du handicap. Toutefois, admettons qu’il ne s’agit que d’une mesure anecdotique en regard des enjeux colossaux que constituent l’accompagnement et la prise en charge des enfants handicapés dans notre pays n’apportant aucune solution par ailleurs pour permettre un accès à la scolarisation des enfants porteurs de handicap. La revalorisation annoncée du CMG apportera une aide maximale de 140 euros pour des familles et coûtera 1,8 millions d’euros en année pleine démontrant l’impact extrêmement limité de l’aide annoncée en nombre de bénéficiaires et en montant. Par ailleurs, le choix de revaloriser le CMG, qui est une aide orientée vers la garde à domicile et qui bénéficie de surcroît aux familles les moins défavorisées, tend à prendre acte de la fréquente impossibilité pour les familles d’accéder à des structures collectives de garde et de l’inclination des pouvoirs publics à privilégier les solutions domestiques de garde aux solutions collectives d’accueil. Certes la COG 2018-2022 prévoit un bonus de 1300 euros par an par enfant à destination des crèches qui accueilleront des enfants handicapés.
Le constat est assez similaire en ce qui concerne l’autre mesure du PLFSS 2019 relative à l’extension du CMG à taux plein jusqu’à l’entrée en scolarité de l’enfant qui, outre, sa portée très limitée, démontre le choix politique opéré par le Gouvernement en faveur des solutions domestiques de garde au détriment des solutions collectives.
Quelles sont selon vous les mesures qui manquent à ce projet de loi ?
L’UFAL porte un regard très critique sur l’évolution de la politique familiale depuis 2013 dont la trajectoire est confortée par le Gouvernement actuel. Dans ce contexte, il nous est difficile de répondre à cette question qui nous amènerait à demander l’abrogation des mesures les plus contestables de la réforme de 2013, notamment la modulation des allocations familiales. Bien que nous n’ayons aucune chance d’être entendus, nous en profitons tout de même pour évoquer à nouveau notre souhait solennel de voir les allocations familiales versées dès le premier enfant, ce qui serait une mesure d’une portée sociale et symbolique considérable.Nous pouvons également évoquer l’échec manifeste de la PrePare et souhaitons une évolution de la loi afin de permettre un versement effectif pendant 3 ans de cette prestation quitte à en revoir les modalités conformément aux réflexions issues des travaux du HCFEA.
Quelle est votre appréciation de la nouvelle COG État-Cnaf pour les années 2018-2022 ?
La COG 2018-2022 prévoit des efforts sans précédent demandés à la branche famille : 2100 suppressions d’emplois dans les CAF d’ici à 2022 (sur un total de 31 000 agents) au travers d’un non-remplacement d’environ 40 % des départs en retraite. Parallèlement, un plan d’économies devra se traduire à une baisse de 23 % des budgets hors masse salariale d’ici à 2022, au prix d’une dégradation inouïe des conditions de travail (à noter que les budgets avaient déjà été réduits de 15 % entre 2013 et 2017). Les efforts demandés sont donc considérables même si les autres branches de la Sécurité sociale s’en sortent encore plus mal.
Le FNAS progressera quant à lui de 2 % par an, ce qui équivaut à une baisse des budgets alloués si l’on considère l’inflation et le fait que les budgets d’action sociale servent à financer des places d’accueil enfance et jeunesse qui génèrent des besoins pérennes de financement. Aussi, les pouvoirs publics ont décidé de littéralement sacrifier la politique jeunesse de la branche famille (politique d’accueil loisirs essentiellement, accueil péri et extrascolaire à l’exception du plan mercredi qui absorbera l’essentiel des efforts nouveaux de la branche famille en faveur de la jeunesse) pour recentrer le FNAS quasi exclusivement sur la petite enfance… Or, même dans ce domaine, les ambitions gouvernementales sont réduites à la portion congrue, avec un objectif de 30 000 places supplémentaires de crèches et halte-garderie d’ici 2022, alors même que les 100 000 créations prévues lors de la précédente COG n’ont été réalisées qu’à raison d’un tiers ! Le Gouvernement fait en effet le choix de mettre un frein à la politique d’accueil collectif du jeune enfant et entend favoriser les solutions individuelles de garde.
Une grande partie des efforts de gestion demandés sont gagés sur la mise en œuvre du nouveau modèle de production des CAF devant entraîner de forts gains de productivité, autrement dit la digitalisation des démarches déclaratives (impliquant une déshumanisation de la relation avec l’allocataire et un report de la production des droits sur l’allocataire lui-même) et l’exploitation des déclarations sociales nominatives (DSN). En fonction des impacts positifs attendus (en particulier la réduction du volume d’indus), une clause de révision sera mise en place et pourra permettre d’abonder partiellement le FNAS.
La répartition des votes en CA de la CNAF est assez édifiante : aucune organisation syndicale n’a voté en faveur du texte. C’est donc l’UNAF qui a permis de faire pencher le vote en faveur de son adoption. Bien que membre de l’UNAF, l’Union des Familles Laïques se désolidarise clairement de cette position qui ne saurait nullement l’engager en qualité d’association familiale nationale.
En tout état de cause, cette COG État/CNAF ne présage rien de bon en termes de politique familiale et acte une réduction inédite des moyens de gestion et d’intervention des CAF. Tout semble mis en œuvre pour que la branche famille devienne un opérateur social para-étatique de lutte contre la pauvreté ; la mise en œuvre du prélèvement à la source laisse par ailleurs supposer une possible transformation des prestations familiales en dispositif de crédit d’impôt au détriment de la vocation originelle de cette branche de la Sécurité sociale.