Article paru dans le magazine UFAL Info n°75 spécial « Retraites : requiem ou renaissance ».
Par l’UFAL
La réforme Macron des retraites qui sera lancée en 2019 constitue le 6ème acte d’une funeste pièce de théâtre sociale : la réforme des retraites.
En 1993, en 2003, en 2007, en 2010 et en 2013, notre système de retraite par répartition, prétendument en faillite, a fait l’objet d’une réforme de fond qui s’est traduite à chaque fois par une diminution du montant des pensions, un allongement de la durée de cotisation et un report de l’âge effectif et/ou légal de départ en retraite. Les réformateurs nommés Balladur, Fillon, Woerth ou Touraine nous faisaient toutefois une promesse solennelle, la main posée sur le cœur et l’œil humide : « notre objectif est de sauver notre retraite par répartition, et, promis juré, cette réforme est la dernière !(( Relire les propos édifiants de François Fillon et Eric Woerth en 2003 et 2010 )) ».
Une fois énoncés ces propos lénifiants qui nous ont amenés à comprendre que l’éternité d’une réforme des retraites dure en moyenne 5 ans, le réformateur néo-libéral se presse d’initier un simulacre de concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux à l’issue de laquelle un cénacle d’experts patentés rédige les conclusions qui lui ont été soumises par le Gouvernement avant le démarrage de leur mission. Cette méthode rôdée de pseudo-concertation a été une nouvelle fois mise en œuvre par le Président Macron à l’occasion de la mère de ses batailles : l’instauration d’un système unique de retraite par points. Cette fois, c’est Jean-Paul Delevoye, haut-fonctionnaire affable et de réputation sociale, qui a eu l’insigne honneur de se voir confier cette mission périlleuse visant à lever tous les obstacles qui pourraient se dresser sur la route du Président de la République et enfoncer un coin dans l’unité syndicale qui risque de plonger une nouvelle fois le pays dans un conflit social majeur.
Le moins que l’on puisse dire c’est que le Haut-commissaire à la réforme des retraites n’a pas ménagé ses efforts au cours de ces derniers mois. Talentueux et à l’écoute, il s’est affairé à gommer les aspérités trop visibles d’une réforme qui suscite d’ores et déjà une levée de bouclier syndicale et l’indignation légitime des citoyens qui ont bien compris qu’on allait réduire historiquement leurs droits sociaux. Certes, le nouveau régime ne démarrera pas avant 2025, son application sera très progressive et l’âge légal de la retraite (62 ans) ne sera pas remis en cause. Les retraités actuels seront également épargnés. Voilà pour nous rassurer et faire passer les opposants de cette réforme pour de grincheux conservateurs.
Toutefois, les faits sont têtus et l’exercice de « pédagogie » lénifiante atteint vite ses limites. Celui-ci vise évidemment à masquer la portée historiquement antisociale de la réforme qui s’annonce.
Afin de contribuer à la déconstruction de la « pédagogie » gouvernementale, l’UFAL a élaboré un précis d’auto-défense intellectuelle à destination de tous ceux qui ont bien compris que cette nouvelle réforme des retraites prépare une régression historique des droits sociaux, inédite depuis 1945.
1. Le nouveau régime de retraite permettra-t-il de garantir l’équilibre financier des retraites mis en péril par le déséquilibre démographique entre actifs et retraités ?
Non, pas du tout. Le nouveau régime de retraite par points voulu par Emmanuel Macron demeure un système par répartition fonctionnant sur un financement courant des retraites par les cotisations des travailleurs. Le Conseil d’Orientation des Retraites l’exposait clairement dans son rapport de 2009 : le système de retraite par points ne règlera en rien les questions de l’équilibre financier du système de retraite. En effet, le futur régime n’échappera pas aux principes qui régissent depuis toujours le financement des retraites, à savoir l’équilibre entre le niveau des cotisations calculées sur le salaire des travailleurs à un instant T et le niveau des pensions versées à ce même instant T. La réforme des retraites vise en réalité à évacuer définitivement toutes les revendications portant sur l’augmentation des cotisations sociales et des salaires, qui relèvent pourtant d’un mouvement historique de partage des gains de productivité du travail et constituent le fondement du droit syndical de notre pays. Le régime par points vise à opérer un ajustement automatique et individualisé des pensions reposant sur le montant de points « épargnés » par chaque travailleur. Or, à défaut de toute augmentation des cotisations, l’équilibre ne pourra être atteint qu’en ajustant à la baisse le montant des pensions par la diminution de la valeur du point. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne l’histoire du régime AGIRC-ARRCO. François Fillon, lui-même partisan d’un système par points, l’affirmait sans ambages durant la campagne électorale : « l’intérêt d’une régime par points est qu’il permet de baisser la valeur du point ».
Quant à la faillite annoncée de notre système de retraite… Précisons à toutes fins utiles que le solde de la CNAV (retraite du régime général) est excédentaire depuis 2015 et devrait encore présenter un solde positif de 0,7 milliards d’euros en 2019. Auparavant on brandissait les déficits sociaux pour justifier les réformes de la Sécurité sociale. Maintenant qu’elle est à l’équilibre, au prix de régressions sociales douloureuses, il faut tout de même continuer à réformer en brandissant un risque de déficits à l’horizon 2050 que personne ne peut démontrer ! A moins que l’enjeu des réformes ne se situe ailleurs…
2.Le nouveau régime de retraite permettra-t-il de garantir l’équité entre retraités, c’est-à-dire, assurer, pour un euro cotisé, le même droit à retraite pour tous les travailleurs ?
C’est l’argument-massue de la réforme Macron. C’est également l’argument le plus spécieux. Tout d’abord, il faut savoir que depuis 1974 (loi Royer), les droits contributifs à la retraite ont été largement harmonisés entre les différents régimes de salariés d’une part et entre les régimes de salariés et les régimes de non-salariés d’autre part. Cette harmonisation des droits, certes relative car ne tenant pas compte des différences d’âge de départ à la retraite, était la contrepartie de l’instauration d’une compensation financière entre régimes de Sécurité sociale. Le dispositif est complexe et très imparfait, mais il a eu pour conséquence de faire financer massivement par le régime général les petits régimes aux bases démographiques de cotisants plus étroites. En contrepartie, l’ensemble des régimes compensés appliquent un rendement retraite de l’euro cotisé équivalent.
Dire par exemple que le droit à retraite d’un salarié est supérieur à celui d’un travailleur indépendant est tout simplement inexact. Certes les retraites des commerçants et artisans sont en moyenne beaucoup plus faibles que celles des salariés, mais cela tient uniquement au fait que les taux de cotisations des travailleurs indépendants sont très inférieurs à ceux appliqués sur les salaires. Par ailleurs, le montant cotisé des travailleurs indépendants est calculé sur la base des revenus professionnels déclarés qui sont souvent très faibles (en raison des dissimulations d’assiette ou de difficultés économiques) d’autant qu’il n’existe pas de revenu minimum pour cette catégorie de travailleurs. En revanche les calculs sont formels : un euro cotisé rapporte exactement le même droit à retraite pour un indépendant que pour un salarié.
Pour les fonctionnaires ou les bénéficiaires de régimes spéciaux, la réalité est plus complexe. Effectivement les fonctionnaires et salariés d’entreprises telles que la SNCF ou la RATP disposent de droits à retraite reposant sur des règles de calcul plus avantageuses et d’âges de départ souvent plus favorables, mais ils payent en contrepartie davantage de cotisations sociales. Il s’agit en outre d’avantages relatifs : les réformes de 2007 (régime spéciaux) et de 2010 (fonctionnaires) ont largement réduit, voire supprimé (pour les fonctionnaires de l’État notamment) les avantages retraite des bénéficiaires de ces régimes. Pour un fonctionnaire, la retraite est certes encore calculée sur les 6 derniers mois de traitement (contre les 25 meilleures années pour un salarié) mais les taux de remplacement(( C’est-à-dire le rapport entre la retraite perçue et le dernier salaire d’activité )) sont globalement identiques chez les salariés et les fonctionnaires, car ces derniers n’ont pas de régime complémentaire obligatoire et les règles de calcul excluent les accessoires au traitement qui représentent une part importante du salaire des fonctionnaires.
L’enjeu de l’harmonisation des droits concerne en réalité uniquement les régimes spéciaux. Il s’agit de parachever la réforme Sarkozy de 2007 et d’en finir avec le statut social des anciens monopoles publics (SNCF, EDF, GDF, RATP…). Comprendre : rétablir l’équité signifie niveler vers le bas les conquis sociaux des travailleurs de ces entreprises qui participaient naguère du service public et qui vont être soumis à une mise en concurrence généralisée sous la pression des directives de la Commission européenne.
3. Le nouveau régime de retraite sera-t-il une alternative à la capitalisation ?
C’est tout l’inverse ! Le futur régime de retraite vise précisément à inciter les classes moyennes et aisées à souscrire massivement à des dispositifs d’épargne retraite en entreprise, ou à investir dans la pierre et les valeurs mobilières. Précisons qu’il ne s’agit pas d’un fait nouveau, les systèmes d’épargne retraite collectifs (PERCO par exemple) constituent un marché juteux pour les grands groupes assurantiels privés et les institutions de prévoyance qui bénéficient depuis de nombreuses années d’avantages fiscaux et sociaux illégitimes. Le nouveau système vise à opérer un changement d’échelle.
Le système par points sera plafonné à 3 fois le plafond actuel. C’est certes un plafond élevé, mais le calcul des retraites ne se fera plus sur la base des 25 meilleures années cotisées mais sur l’intégralité des salaires perçus durant la carrière. Par conséquent, pour beaucoup de salariés aux revenus moyens qui connaîtraient une carrière avec une progression des salaires durant leur vie active, le taux de remplacement avec le système par points sera mécaniquement inférieur à celui calculé sur les meilleures années d’activité. Cet état de fait sera également vérifié chez les salariés qui connaîtraient des revenus élevés sur des périodes limitées dans le temps. En somme, à l’exception des salariés qui bénéficieraient de hauts revenus sur une longue période, il y aura nettement plus de perdants que de gagnants, d’autant que le système n’est pas vraiment pensé pour qu’il y ait des gagnants.
Ce système sera en outre à cotisations définies et non plus à prestations définies. Cela signifie que les salariés cotisants n’auront aucune idée du montant de la valeur du point qui leur sera servie au moment de liquider leur retraite. Cette incertitude sur le montant des pensions futures, ou plutôt la quasi-certitude que la valeur du point sera revue à la baisse, ne peut qu’inciter les salariés, surtout ceux qui en ont les moyens, à compléter leur retraite future par des dispositifs complémentaires ou à recourir à l’épargne pour améliorer leur niveau de vie de retraités. C’est l’enjeu central de la réforme Macron : réduire le niveau des retraites par répartition afin de satisfaire aux revendications pressantes de la sphère financière relayées par les institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, Commission européenne) qui envisagent les retraites comme le vecteur majeur de financiarisation intégrale de l’économie.
4. Le nouveau régime de retraite n’est-il pas un moyen de rendre plus lisible notre système de retraite et de simplifier la vie des poly-pensionnés ?
Certes… mais le manque de lisibilité et les démarches complexes des poly-pensionnés sont-elles en soi le problème de notre système de retraite ? Actuellement, les retraités perçoivent des retraites auprès de tous les régimes auxquels ils ont cotisé. Cela implique évidemment des démarches parfois complexes pour les nouveaux retraités affiliés à plusieurs régimes. Mais a-t-on vu un retraité renoncer à tout ou partie de sa retraite en raison des démarches à réaliser ? Un retraité sur trois est aujourd’hui poly-pensionné et jusqu’à présent la complexité des démarches n’a pas déclenché de protestations ni de manifestations de rue. Et surtout, va-t-on vraiment améliorer la vie des retraités en facilitant leurs démarches auprès d’un régime par points à cotisations définies qui leur versera en toute hypothèse des retraites plus faibles et plus tardivement que celles auxquelles ils avaient droit dans l’ancien système ?
L’argument de la simplification a été brandi de nombreuses fois pour justifier les réformes qui ont été à l’origine d’usines à gaz technocratiques se traduisant par des dysfonctionnements tels qu’ils ont créé des situations inextricables pour ceux à qui on entendait simplifier la vie. Souvenons-nous de la réforme Dutreil de 2007 instaurant l’interlocuteur social unique : elle devait simplifier la vie des travailleurs indépendants en fusionnant les régimes de retraite des commerçants et artisans et en confiant le recouvrement des cotisations sociales du régime social des indépendants aux URSSAF. Cette réforme mal pensée et menée à la hâte s’est tout simplement traduite par le plus gros accident industriel informatique de l’histoire de la Sécurité sociale. Plus de 10 ans à réparer les bugs informatiques pour un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros, à régler les situations kafkaïennes des assurés sociaux et constater la souffrance des salariés des organismes concernés. Tout cela pour en arriver à supprimer totalement le régime social des indépendants…
Or, le chantier de fusion des régimes de retraites est nettement plus colossal. Il implique des développements informatiques gigantesques, d’une ampleur jamais vue, passant par la transposition des règles de calcul et la fusion de 42 régimes de retraite différents. Un tel chantier comporte des risques industriels majeurs et pourrait générer des millions de dysfonctionnements dans le calcul des droits à retraites. Pas si sûr que cela simplifie la vie des poly-pensionnés… sans parler du coût faramineux d’un tel chantier.
5. Le nouveau régime de retraite ne remettra pas en cause l’âge légal de départ à 62 ans, n’est-ce pas l’essentiel ?
Jean-Paul Delevoye a en effet annoncé que l’âge de départ à 62 ans ne serait pas remis en cause. Macron a également lâché du lest sur la question de l’âge pivot de 63 ans qui devait inciter les salariés à poursuivre leur activité au-delà de l’âge légal.
En dépit de ces annonces, il convient de dire haut et fort que le système par points est conçu tout spécialement pour inciter à reporter l’âge de départ à la retraite bien au-delà de l’âge légal. En effet, le principe d’ « épargne » individuelle de points de retraite est fait pour pousser les travailleurs à continuer à accumuler des points à retraite en poursuivant leur activité indéfiniment surtout en cas de carrières heurtées ou comportant des faibles revenus d’activité. Ce système rompt avec la logique à l’œuvre dans notre système actuel à prestations définies qui posait la retraite comme un droit de tous les travailleurs. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il comporte un âge minimum de départ à la retraite (62 ans) et un âge maximal permettant une liquidation des pensions à taux plein (67 ans) même en cas de durée de cotisation insuffisante.
En provoquant une chute des taux de remplacement des futurs retraités et en instaurant un système de surcote pour les salariés qui continueraient à travailler au-delà de l’âge légal, le système par points entend clairement pousser les travailleurs à poursuivre leur activité bien au-delà de l’âge actuel, jusqu’à 67 ans en réalité, âge qui devient la norme européenne de départ à la retraite, et d’une manière très habile de surcroît, car la poursuite d’activité sera présentée comme un choix individuel du salarié !
6. Le nouveau régime de retraite n’est-il pas un moyen de garantir un minimum de retraite pour les salariés ayant des carrières insuffisantes ?
C’est effectivement l’un des buts recherchés afin… d’ériger le travail précaire et à temps partiel comme la norme. Aujourd’hui, les travailleurs doivent effectivement justifier de périodes d’activité suffisantes pour valider un trimestre de cotisation, en l’occurrence 150 heures travaillées pendant les 3 derniers mois. Les salariés enchaînant petits boulots et périodes de chômage longues ont donc des durées de cotisation très amputées et des bases de calcul de leur future retraite très limitées. C’est précisément pour cette raison que la retraite actuelle rend nécessaire la stabilité dans l’emploi et donc justifie pleinement la recherche d’un CDI qui contribue à sécuriser la vie des travailleurs et à mettre fin à la peur du lendemain comme seule perspective de vie. C’est également pour cette raison qu’a été instauré un minimum contributif qui consiste en une revalorisation des droits à retraite pour les salariés ayant réalisé une carrière complète avec de très petits salaires. En ce sens, la retraite par répartition à prestations définies crée une continuation du salaire entre vie active et retraite, participe pleinement du statut social des travailleurs et, partant, place le retraité comme solidaire des revendications sociales pour la sécurisation de l’emploi et l’augmentation des salaires.
Avec le système par
points, il est vrai que toute période travaillée même courte et à temps partiel
permettra l’acquisition (modique) de points de retraite. Cela doit permettre
d’inciter les travailleurs au chômage à accepter toute forme d’emploi même le
plus précarisé. Cette logique est consubstantielle du projet social néolibéral
visant à atomiser le contrat de travail et à faciliter les contrats de travail
flexibles, précaires et interchangeables. Cette réforme est la clé de voûte de
tout le projet social d’Emmanuel Macon, projet qui passe simultanément par une
remise en cause du droit du travail et des conventions collectives, par une
limitation des périodes d’indemnisation au chômage, par la suppression des
régimes spéciaux de retraite et par l’instauration d’un système de retraite par
points. Autrement dit, il s’agit d’un projet extrêmement cohérent visant à
casser le principe de Droit social des travailleurs qui est fondé sur le lien
organique entre le statut collectif des travailleurs et la prise en charge des
besoins sociaux de la population grâce à la cotisation sociale. Casser ce lien
c’est promouvoir un système de régulation sociale individuelle dépendant des capacités
sociales et économiques individuelles avec pour corollaire un accroissement des
inégalités et l’euthanasie de tout ferment de résistance collective au
capitalisme. Autrement dit, c’est en finir avec le programme du Conseil
National de la Résistance.