Depuis plusieurs mois, un mouvement de grève des personnels hospitaliers se généralise à l’ensemble des services d’urgence de notre pays. Ce mouvement social d’ampleur inédite nous alerte sur l’état catastrophique des services d’urgence de l’hôpital public, objet d’une succession ininterrompue de politiques de remise en cause. Les témoignages accablants des personnels soignants éreintés, soumis à des cadences infernales et travaillant dans des conditions indignes se multiplient dans la presse. Les heures supplémentaires non payées se chiffrent en millions (800 000 rien qu’aux hôpitaux de Marseille) et les réquisitions de personnels grévistes prennent parfois des tournures insupportables comme récemment dans le Jura lorsque le Préfet n’a pas hésité à envoyer les gendarmes réquisitionner en pleine nuit des personnels en grève, voire en arrêt maladie.
Partout, les personnels soignants craquent entraînant des arrêts maladie dans des proportions inégalées. Plus graves, les cas de suicide sur le lieu de travail se multiplient ; une récente enquête de l’association Soin aux professionnels de santé laisserait même supposer qu’un quart pensent au suicide au cours de leur carrière !
La situation et les conditions de travail catastrophiques des personnels urgentistes doivent nous interpeller avec vigueur sur la situation de l’hôpital public, car il s’agit ni plus ni moins que de la santé et de la vie de la population qui est en jeu. Ce que réclament les soignants n’est rien d’autre que la capacité à prendre en charge dignement et efficacement des patients, dont certains en urgence vitale. Ce qui suppose des moyens humains et matériels qui manquent cruellement.
Or, les conditions de prise en charge des patients admis aux urgences sont clairement indignes de notre pays : attentes interminables, pénurie de lits compensée par des brancards disposés dans les couloirs, absence de salles d’isolement disponibles… Plusieurs cas de décès pour absence de prise en charge rapide sont d’ores et déjà constatés comme celui d’une patiente décédée de l’hôpital Lariboisière en décembre 2018 ; l’enquête judiciaire a pointé à juste titre une « saturation » des urgences ce jour-là. Toutefois, c’est presque un miracle que les cas de décès de cette nature restent rares : cela tient uniquement à l’abnégation des soignants et à leur très haut niveau de formation. Jusqu’à quand ?
Le niveau de fréquentation des urgences atteint des niveaux records : en 20 ans, le nombre de visites a été multiplié par deux avec plus de 20 millions de passages par an. Certes, la fréquentation des services d’urgence n’est pas toujours justifiée et il est vrai que de nombreuses situations devraient relever davantage de la médecine de ville que des services d’urgence. C’est l’argument que brandit précisément la Ministre de la Santé, Mme Buzyn. Ainsi, pour mieux se dédouaner de ses responsabilités, la Ministre préfère incriminer les patients prétendument irresponsables. Cependant, la hausse de la fréquentation des urgences est principalement liée à d’autres facteurs dont elle porte une grande part de responsabilité en qualité de Ministre de la Santé : d’une part le phénomène de désertification médicale et d’autre part le renoncement aux soins pour raison financière ou en raison des délais d’obtention d’un rendez-vous dans un cabinet de ville. Il y aurait de surcroît fort à dire sur les insuffisances patentes de la médecine de ville et la responsabilité des praticiens libéraux qui se dégagent des obligations de permanences sur leurs territoires en l’absence de réglementation en la matière. Sans parler par ailleurs de la pratique des dépassements d’honoraires et de la quasi-généralisation du secteur 2 dans certaines spécialités qui sont de véritables obstacles financiers à l’accès aux soins pour de nombreux patients. Dans ce contexte, il est peu étonnant de voir les patients se tourner vers les urgences, service public ouvert 24 heures sur 24, disposant d’un haut plateau technique et accessible sans avances de frais.
Quelle a été la réponse du gouvernement pour régler la situation explosive des urgences jusqu’à présent ? Rien, mise à part une enveloppe famélique de 70 millions d’euros décidée en urgence afin d’augmenter de 100 euros bruts la prime individuelle de risque des personnels non médicaux. Une misère. Plus grave, le gouvernement s’entête à penser que le problème de l’hôpital public provient uniquement de sa mauvaise gestion. Alors que le système hospitalier est à bout de souffle, les Centres hospitaliers sont soumis à une saignée en matière d’effectifs et de fermetures de lits. Pour le seul CHRU de Nancy soumis depuis 10 ans à un traitement de choc, ce sont 600 nouveaux postes soignants et 180 lits qui seront supprimés à l’horizon 2024. Soumis au diktat des contrôleurs de gestion, étranglé par une tarification à l’activité (T2A) qui a été conçue uniquement pour favoriser les établissements privés lucratifs qui sélectionnent leurs patients et leur activité, le service public hospitalier est sciemment mis à mal par une politique de santé irresponsable qui ne raisonne qu’en économies à réaliser. Et de faire miroiter les bienfaits du « tout ambulatoire », autrement dit des actes médicaux sans prise en charge postopératoire à l’hôpital.
Or, l’on observerait un lien entre la fréquentation des urgences et l’accroissement de la chirurgie ambulatoire. Là encore, c’est la politique gouvernementale qui est en cause. En effet, pour accélérer la fermeture de lits d’hospitalisation à des fins d’économies, les pouvoirs publics ont lancé les hôpitaux dans une course effrénée à la chirurgie ambulatoire avec un retour du patient à domicile le jour même de son opération. Des spécialistes tels que le Pr Pierre Carli, président du Conseil national de l’urgence hospitalière, assurent que la politique de la médecine ambulatoire multiplie les risques de cas où le patient est opéré, rentre chez lui, voit son état se dégrader et retourne finalement aux urgences.
L’UFAL est une association familiale agréée par le Ministère pour représenter les usagers dans les établissements de santé. À ce titre, notre mouvement s’indigne de la dégradation catastrophique du système de santé français et du service public hospitalier. L’UFAL apporte son soutien inconditionnel au personnel urgentiste en grève et interpelle le gouvernement afin qu’il apporte une solution politique à la hauteur des enjeux sanitaires de notre pays. Les urgences connaissent une crise historique qui devrait amener le gouvernement à prendre des dispositions à la hauteur des enjeux. Les solutions sont connues, il faut mettre en œuvre un plan Hôpital, à l’instar du plan Debré de 1970 qui avait permis, dans un pays nettement moins riche qu’actuellement, de moderniser de manière historique l’hôpital public. L’UFAL milite en outre pour la création d’un véritable service public de centres de santé de proximité ainsi que pour le recentrage de la Mutualité sur ses missions de 1945 axées sur la création de centres de soins et de prévention. Voici quelques pistes à dimension proprement politique qui permettaient de limiter l’engorgement des urgences au travers d’alternatives crédibles fondées sur une offre de soins de proximité, décloisonnée et rompant avec la logique libérale du paiement à l’acte.
Pour l’heure, nous enjoignons le gouvernement à prendre la mesure de la crise profonde que traversent les services d’urgence et le service public hospitalier. Il ne s’agit plus d’éluder la question des moyens humains et matériels et de se retrancher derrière des arguties gestionnaires ou des incriminations inconsidérées des patients ou des soignants. La situation du service public hospitalier est d’une gravité historique et les moyens nécessaires doivent être mobilisés de toute urgence au risque de voir apparaître prochainement de véritables drames sanitaires que notre association ne saurait accepter.