Frères musulmans et wahhabites, de la concurrence à la connivence
Alléluia ! Le 17 septembre prochain, La Fondation de l’Islam de France et la LIGUE ISLAMIQUE MONDIALE organisent, le 17 septembre 2019, une CONFERENCE INTERNATIONALE DE PARIS POUR LA PAIX ET LA SOLIDARITE, où sont invités « les responsables français juifs, chrétiens et musulmans à travailler ensemble à la coopération interreligieuse, à la défense des valeurs citoyennes, à la paix entre les nations et à la solidarité entre les hommes ». C’est toujours mieux que l’inverse : n’en doutons pas, de l’Irlande à la Palestine, en passant par l’Inde, le Sri-Lanka, la Birmanie, les pays islamiques…, un grand vent de « coopération interreligieuse » va se lever et l’on cessera enfin de s’entretuer entre adeptes des diverses religions. Ce n’est pas l’UFAL qui critiquera d’aussi belles intentions, même si un léger doute l’habite. Néanmoins on se permettra ici d’aborder deux questions gênantes : 1) Qu’est-ce que la LIM, création de l’Arabie Saoudite ? 2) Comment s’articule cette initiative avec le projet macronien d’islam de France ?
Ce qu’est la Ligue Islamique Mondiale, création de l’Arabie Saoudite
Fondé en 1962 par le roi Fayçal, cet organisme est contrôlé et financé par l’Arabie Saoudite. Son secrétaire général depuis 2016, Mohammed bin Abdul Karim Al-Issa, qui ouvrira la Conférence de Paris, fut… ministre de la justice de ce très démocratique Etat (combien de décapitations ?) jusqu’en janvier 2015. C’est donc sous sa responsabilité qu’ont été menées notamment les persécutions contre le blogueur Raif Badawi((condamné le 7 mai 2014 à dix ans de prison, 1 000 coups de fouet et 266 000 dollars d’amende sur plainte de religieux pour désobéissance à son père, cyber-activités portant atteinte à la sécurité de l’Etat, et même apostasie)). Mais depuis, M. Al-Issa a rencontré en 2017 le pape François, et affirme défendre un islam « tolérant et modéré » contre « l’extrémisme et le terrorisme ».
On pourrait être tenté de le croire… si l’on oubliait l’intense effort financier, politique et idéologique mené par l’Arabie Saoudite pour propager dans le monde entier le wahhabisme, version saoudienne du salafisme, ce conservatisme qui prétend renouer avec la pureté de la religion des pieux ancêtres.
Voici ce qu’en disait Hakim El Karoui, un proche du président Macron, dans une note de 2018 intitulée « La fabrique de l’islamisme »((publiée par le très libéral (de droite) Institut Montaigne)) :
« L’Arabie saoudite exporte officiellement le wahhabisme (…) par le biais d’institutions théoriquement autonomes, mais qui se trouvent en réalité dans le giron des structures étatiques saoudiennes : La Ligue islamique mondiale (LIM) fait office d’organe central. C’est un instrument diplomatique de la famille royale saoudienne dont l’objectif est d’ “organiser la coopération entre les États islamiques dans les différents domaines politiques, économiques et culturels” (…)
Ainsi, la volonté expansionniste de l’Arabie saoudite, soutenue par les financements [pétroliers], reflète l’idéal panislamiste du gouvernement saoudien qui cherche à avoir le monopole sur l’islam, sur le discours comme sur les musulmans. Le wahhabisme comme soft power est un levier diplomatique qui permet à l’Arabie saoudite de peser sur la scène internationale (…) »
Le programme actuel de la LIM est résumé dans la Charte de La Mecque (28 mai 2019), signée devant « 1200 muftis et savants de la Oumma venus des 139 pays », parmi lesquels, c’est bien curieux, figuraient également des Frères musulmans -pourtant jusqu’ici considérés comme « terroristes » par le pouvoir de Djeddah. Cette initiative a été « parrainée par le Roi Salman bin Abdelaziz », ce souverain éclairé soupçonné d’avoir fait assassiner et démembrer moins d’un an plus tôt le journaliste Jamal Khashoggi. Pour la « promotion de l’islam modéré » affichée par la Charte (voir encadré), on pouvait rêver parrainage plus convaincant.
La nouveauté est que la LIM (donc l’Arabie Saoudite) entend jouer sa carte chez nous dans le cadre du dispositif de l’Islam de France. L’autre nouveauté est que participera à la Conférence de Paris l’imam Tarek Oubrou, d’origine frériste, mais enrôlé par Hakim El Karoui –auteur de la critique au vitriol de la LIM rappelée ci-dessus- pour son AMIF (Association des Musulmans pour un Islam de France)… Vous suivez toujours ?
L’islam de France, une aubaine pour les extrémistes
L’islam de France est une construction néo-concordataire et contraire à la laïcité voulue par le Président Macron. La première pierre (mise en place dès 2016 par les pouvoirs publics) en était la « Fondation pour l’Islam de France » (devenue « Fondation DE » : significatif !). Or il se trouve que cet organisme para-officiel, actuellement présidé par Ghaleb Bencheikh, est co-organisateur de la « Conférence » avec la Ligue islamique mondiale. Mieux, la présence du Président de la République et du Premier ministre y avait été annoncée ; démentie depuis, elle pose question : manipulation des organisateurs, ou maladresse de l’exécutif ? Evidemment, une République laïque n’a rien à faire avec un raout interreligieux : mais on se souvient qu’Emmanuel Macron nous a habitués au contraire, en présentant notamment ses voeux aux « autorités religieuses »((les six mêmes religions que réunira la Conférence, comme par hasard –bouddhistes compris)), ou en se rendant aux Bernardins.
L’UFAL a dénoncé la prise en main par le Frères musulmans de l’Islam de France, démonstration s’il en était besoin de la nocivité de cette invention, proie facile pour les extrémistes organisés et soutenus par la finance étrangère. Or la co-organisation de la conférence montre que la concurrence entre les extrémistes fréristes soutenus par le Qatar et les wahhabites (et/ou salafistes) financés par l’Arabie Saoudite est en passe de se muer en connivence. Au demeurant, comme le rappelle l’ouvrage Qatar Papers dont nous avons rendu compte, fréristes et wahhabites ont les mêmes buts : restaurer intégralement ou partiellement le califat, réunir et diriger la communauté des croyants (la Oumma) et lui appliquer la charia. La présence de Tarek Oubrou, ancien Frère mais proche des macronistes1 confirme que la connivence va bien au-delà. Pour tirer les ficelles de « l’Islam de France », on se bouscule au portillon !
Les moyens des deux extrémismes, frériste et wahhabite, vont du terrorisme (là où c’est payant) à la « taqiya », la dissimulation, dans les pays démocratiques. Ainsi en France, ils annoncent promouvoir un « islam du juste milieu » (Frères musulmans) ou un « islam modéré » (Ligue islamique mondiale) et affichent un discours démocratique de façade. Ils vont même jusqu’à condamner officiellement l’antisémitisme… et le terrorisme2.
En revanche, les conceptions religieuses dont ils se réclament et qu’ils inculquent à leurs adeptes sont délibérément rétrogrades (voir dans Qatar Papers les références théologiques moyenâgeuses du très frériste IESH, institut qui forme les imams). Et c’est dans les mosquées salafistes ou fréristes que se recrutent les « touristes » pour la Syrie ou l’Irak : car on trouve toujours plus radical que soi, dans le domaine idéologique…
Deux extrémismes « en même temps » cherchent à encadrer « l’Islam de France ». Et le macronien El Karoui ne peut faire autrement que de s’entourer de quelques Frères. L’Etat aura-t-il comme interlocuteur officiel une succursale des extrémistes Qataris et/ou Saoudiens ? Les premières victimes en seraient les musulmans (et surtout les musulmanes) de France, contraints alors de pratiquer un islam importé du Golfe. Les dérapages sécuritaires de certains adeptes non seulement ne seront pas contenus, mais s’épanouiront en toute tranquillité derrière la façade rassurante des auto-proclamés « modérés », auxquels la débonnaire figure de Ghaleb Bencheikh prête délibérément son concours.
Résumons-nous. Au « banquet » néo-concordataire offert par le Président Macron, les convives suivants veulent aller à la soupe : Frères musulmans, Wahhabites et salafistes, AMIF de Hakim El Karoui (avec un candidat Grand Imam). Le tout sur fond de financement (par définition occulte) des pétrodollars qataris et saoudiens –et n’oublions pas les Turcs, Erdogan, proche des Frères, tenant en main l’islam turc en France. Ni la liberté de conscience, ni la liberté de culte, ni la sûreté publique ni la transparence financière ne peuvent gagner.
La seule question à poser à quelque religieux que ce soit est celle de son accord avec les principes de la République. En particulier :
- la prééminence des lois de la République, opposables à tous, sur toute loi « divine », tradition ou coutume communautaire ;
- le droit de changer de religion (conformément à la Déclaration universelle et à la Convention européenne des droits de l’Homme), ou de n’en avoir aucune ;
- l’égalité de la femme, y compris en matière de mariage, de divorce, de vie familiale, et de succession ;
- l’égalité absolue entre individus, quelles que soient leurs orientations sexuelles, leurs origines ou leurs appartenances.
MM. Castaner, Philippe, et Macron, n’en doutons pas, auront à cœur de s’en assurer… Ah bon, vous en doutez ? Nous aussi. C’est pourquoi ce projet « d’Islam de France » doit être absolument dénoncé et combattu, comme l’a été celui de révision de la loi de 1905.
La Charte de la Mecque, ou les habits neufs de l’intégrisme saoudien
Ce texte (dont on n’a que des traductions « non officielles ») surabonde en proclamations d’apparence humaniste, voire démocratique. Y sont condamnés l’antisémitisme, le terrorisme, les fatwas sectaires, le gaspillage des ressources de la planète, la haine et le racisme (pas l’homophobie, quand-même), les théories du complot. On trouve même « le respect des droits des minorités religieuses et ethniques » Un islamisme à visage humain ? Venant d’Arabie Saoudite, cela suscite un léger doute.
Doute confirmé par une lecture plus attentive. La Charte exige des « législations dissuasives » contre « l’islamophobie », et n’hésite pas à brandir la notion de « racisme religieux ». Elle demande à tous les citoyens de « protéger les éléments sacrés ». Elle innocente les religions de toutes les « erreurs » (qui ne seraient imputables qu’à leurs seuls adeptes !), et considère que « les conflits passés appartiennent à ceux du passé » : invitation à oublier le génocide des Juifs ? Quant à la femme, elle n’est « autonome » que « conformément au cadre qui préserve les limites d’Allah », et son égalité sociale n’est assurée que « conformément à [sa]nature » et « en fonction de la performance ». « L’avortement illégal » (ou illégitime ?) est clairement condamné. La jeunesse (musulmane) doit être encadrée et protégée « contre les tentatives d’exclusion et d’assimilation totale ». Enfin, « les affaires de la Oumma » (« nous » contre « les autres » ?) ne doivent être traitées que par « les savants [= les religieux] réunis en groupe » : le cléricalisme peut-il être « modéré » ?
Le double langage de la « taqiya » ne réussit pas longtemps à masquer l’intégrisme religieux dans la Charte de la Mecque. Mais demande-t-on aux théologiens de justifier la République ? L’Eglise catholique a mis plus d’un demi-siècle à passer d’un ralliement de façade (Léon XIII, 1892) –démenti par la collaboration épiscopale sous Vichy- à une acceptation de fait à la Libération. Leçon de l’histoire…