En réponse à une tribune publiée dans «Libération» accusant le philosophe d’instrumentaliser la laïcité, plusieurs personnalités, d’Elisabeth Badinter à Michel Onfray, prennent sa défense.
Tribune publiée le 12 octobre in Libération « Nous apportons notre total soutien à Henri Pena-Ruiz »
Tribune. Le 4 octobre, la version en ligne du journal Libération publiait une tribune signée par un «collectif d’élus et d’acteurs associatifs», intitulée «Islamophobie à gauche: halte à l’aveuglement, au déni, à la complicité». Cette publication, qui appelle à faire de «l’islamophobie» un délit raciste, ne se contente pas de ressasser les thèmes du retournement victimaire chers à la mouvance dite «décoloniale» et à l’idiotie utile de l’islamisme meurtrier, elle ne se contente pas de donner une fois de plus les leçons de morale qui excusent l’inexcusable. Elle s’en prend expressément à la personne de Henri Pena-Ruiz (1). En «accroche» de cette publication la photo de Henri Pena-Ruiz, agrémentée en légende d’une citation tronquée, est une référence évidente à la campagne de dénigrement qui a suivi l’une de ses conférences, donnée à Toulouse le 23 août dernier.
Henri Pena-Ruiz y déclarait notamment: «L’universalisme laïque n’a rien à voir avec l’ethnocentrisme colonialiste ni avec le racisme, contrairement à ce que prétend la mouvance décoloniale. Rejeter une religion n’est pas raciste. Mais rejeter une personne ou un peuple du fait de sa religion est raciste. Le regretté Charb l’a dit clairement: le racisme antimusulman est un délit, mais pas le rejet de l’islam. On a le doit d’être islamophobe, athéophobe, catholicophobe, mais pas de rejeter une personne du fait de sa religion ou de son humanisme athée.» Voilà, ô horreur, le passage incriminé, ce qu’il n’aurait pas fallu dire! Une telle précision dans les concepts, un tel discernement dans leur usage, une telle justesse de propos, tenez-vous bien, ce serait du racisme, ce serait distiller de la haine anti-musulmans!
On peine à comprendre, ou plutôt on ne comprend que trop bien: comme le dit Zineb El Rhazoui, qui sait de quoi elle parle, on sait parfaitement que l’accusation «d’islamophobie» n’a pas d’autre fonction que de faire taire tout discours critique qui aurait le malheur de prendre pour objet l’islam notamment en tant que doctrine politique. Eh bien répétons-le, oui on a le droit d’être islamophobe: même sous cette forme elliptique abusivement brandie, la formule, qui porte sur une religion, une doctrine, et non sur des personnes, ne choque que ceux qui ont déjà décidé de récuser la liberté de conscience et d’opinion qu’ils revendiquent pourtant, à juste titre, pour eux-mêmes. Le texte de la tribune en remet une couche: au cas où on n’aurait pas compris, le nom de Henri Pena-Ruiz y est repris.
En cautionnant les accusations indignes et les violents propos par lesquels certains militants s’en sont pris à Henri Pena-Ruiz, il invite, entre autres, à poursuivre et à accentuer la campagne publique de dénigrement calomnieux dont sa personne est l’objet. Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas lui mettre directement une cible dans le dos? On se demande vraiment qui tient un «discours de haine». Le titre de la tribune égrène un crescendo alarmant («halte à l’aveuglement, au déni, à la complicité»): voilà qui mériterait d’être retourné aux signataires d’un texte qui donne l’exemple même des procédés qu’il prétend dénoncer. Avec un remarquable sens du moment opportun, la tribune est publiée le lendemain du massacre au couteau qui a eu lieu à la Préfecture de police de Paris. Cet événement tragique s’inscrit dans une série sanglante et il a fallu attendre de longues années pour que soit enfin posée publiquement et sans les circonlocutions habituelles la question de l’aveuglement, du déni et de la complicité dont le bras islamiste meurtrier bénéficie depuis si longtemps. Alors que, en 2015, on a vu un index coupable désigner aux tueurs la cible prétendue «islamophobe», aujourd’hui encore des accusateurs bienpensants osent plastronner et rabâcher les mêmes leçons de morale «progressiste».
Est-ce par de telles mises à l’index, est-ce en tentant de fermer la bouche des républicains universalistes, est-ce par des discours victimaires condescendants que nos concitoyens de culture musulmane sont encouragés à secouer l’omerta qui depuis des années les amalgame, tout aussi coupablement, à ce que l’islam a de plus réactionnaire? Beaucoup d’entre eux le font déjà, au péril de leur vie: et il faudrait continuer à les abandonner en les livrant à l’assignation et à la tyrannie religieuses? Quand cessera-t-on de cautionner et d’encourager le fanatisme au prétexte d’éviter la «stigmatisation»?
Signataires : Elisabeth Badinter, philosophe, Fatiha Boudjahlat, enseignante, essayiste, Laurent Bouvet, professeur des universités, politiste, essayiste, co-fondateur du Printemps républicain, Martine Cerf, auteur, secrétaire générale de l’association Égale, Gilles Clavreul, co-fondateur du Printemps républicain, animateur du think tank L’Aurore, Denis Collin, philosophe, écrivain, Frédérique De La Morena, maître de conférences en droit public, Elisabeth de Fontenay, philosophe, écrivain, Jean Glavany, ancien parlementaire, président du think tank L’Aurore, Philippe d’Iribarne, sociologue, essayiste, Amine El Khatmi, président du Printemps républicain, Zineb El Rhazoui, journaliste, essayiste, Prix Marianne Jacques France du GODF, Jeanne Favret-Saada, ethnologue, essayiste, Philippe Foussier, ancien président du CLR, Marie-Pierre Frondziak, professeur de philosophie, Marcel Gauchet, philosophe, rédacteur en chef de la revue Le Débat, Christian Gaudray, président de l’Union des familles laïques, Pierre Guenancia, professeur de philosophie à l’Université de Bourgogne, Nathalie Heinich, directeur de recherche au CNRS, Pierre Juston, doctorant en droit, Patrick Kessel, président d’honneur du CLR, Catherine Kintzler, philosophe, membre fondateur du CLR, Mohamed Louizi, ingénieur, essayiste, Karan Mersch, professeur de philosophie, Michel Onfray, philosophe, essayiste, Patrick Pelloux, médecin urgentiste, Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste, Jean-Pierre Sakoun, président du Comité laïcité république, Boualem Sansal, romancier, Jean-Paul Scot, historien et écrivain, Bruno Streiff, metteur en scène, Annie Sugier, présidente de la Ligue pour le droit international des femmes, Bernard Teper, co-animateur de «Combat laique-Combat social, fédérer le peuple».