Enfin une prise de conscience officielle
Le discours attendu du Président de la République contre ce qu’il appelle « le séparatisme », désignant explicitement les extrémistes de l’islam politique, est calibré pour s’attirer les bonnes grâces des laïques. Allant au-delà des propos convenus et du déni jusqu’ici pratiqués officiellement, il nomme et définit clairement la tentative de l’islamisme de contrer la République et d’embrigader les musulmans. Refusant l’amalgame entre la pratique d’une religion et son détournement politique, il rappelle à juste titre la prééminence des lois de la République sur toute autre norme privée.
On note avec satisfaction qu’il évite systématiquement le terme piégeur d’« islamophobie ». Sans nier le poids d’un passé colonial trop souvent refoulé, il critique, sans les nommer, les détournements idéologiques des indigénistes, racialistes, et autres décoloniaux. Il n’hésite pas à procéder à une autocritique des politiques menées jusqu’ici — y compris par lui-même et ses gouvernements, rappelons-le : constitution de ghettos, délaissement des populations, abandon des services publics qui profite aux organismes communautaristes.
Il souligne l’enjeu fondamental de l’école — mais en la limitant curieusement à l’école publique, évacuant le rôle des écoles confessionnelles sous contrat (à 95 % catholiques), pourtant véritables lieux de « séparatisme » social. Il reste qu’on ne peut qu’approuver la suppression des ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine), cheval de Troie de l’islamisation des jeunes à l’école, ou le renforcement des contrôles (mais avec quels moyens supplémentaires ?) sur les établissements hors contrat (et même sous contrat).
Des analyses encore superficielles, voire naïves
Malheureusement, l’analyse des causes de la situation pèche trop souvent par insuffisance, voire par naïveté. La constitution de ghettos urbains est le résultat, non d’une volonté maligne, mais des politiques d’urbanisme et de logement menées depuis 40 ans. La disparition de l’aide aux organismes HLM au profit de l’aide à la personne a entraîné la concentration des plus pauvres dans les logements sociaux (aggravée par la loi DALO), et l’exclusion des moins pauvres par le surloyer — le tout au nom de la « solidarité ». La disparition de toute mixité sociale en est le résultat, et les « politiques de la ville » n’ont fait que gérer la ghettoïsation. Faute d’en avoir conscience, le Président ne dessine aucune mesure concrète pour en sortir.
Comment par ailleurs soutenir encore qu’à l’époque de la loi de 1905 « l’islam n’était pas une religion si présente dans notre pays », alors que les départements d’Algérie comptaient quelques millions de musulmans ?((Qui n’auront jamais connu la laïcité, que le pouvoir colonial leur a refusée, pour imposer un islam quasi-concordataire à sa botte.))
Comment, enfin, limiter les « influences étrangères » sur l’islam pratiqué en France à l’Algérie, au Maroc et à la Turquie, alors que le Qatar (via les Frères musulmans) et l’Arabie saoudite (via les salafistes liés à la Ligue islamique) envoient chez nous des millions pour développer leurs conceptions rétrogrades ? Pire : comment peut-on affirmer que « Wahhabisme, salafisme, frères musulmans (…) ont progressivement dégénéré dans leur expression » pour « se radicaliser » « [eux]– mêmes » ? Car ils n’ont nullement « dégénéré ». Au contraire, depuis l’origine((Depuis 2 siècles pour le wahhabisme, près d’un siècle pour les Frères musulmans.)), ces mouvements sont fondés sur l’usage de la violence (djihad) contre les « mécréants » — à commencer par les musulmans qui ne partagent pas leur islam moyenâgeux et meurtrier. Leur objectif, c’est établir la « charia », la loi coranique, partout où c’est possible, à la place de l’état de droit. Une telle naïveté de la part d’Emmanuel Macron est-elle réelle, ou feinte ?
Sur le fond de la pensée présidentielle, on regrettera une fois de plus le recours au mantra des « valeurs de la République », notion totalement floue, susceptible de toutes les dérives de conformisme idéologique. Seuls valent les principes, rappelons-le, tels que définis par le droit positif. Quant à l’évocation systématique du « radicalisme », concession à l’idéologie sécuritaire, elle amalgame sommairement pratiques religieuses extrémistes et glissement vers le terrorisme. L’échec flagrant des « centres de déradicalisation » a prouvé l’absence totale de pertinence de cette approche.
Des mesures fortement annoncées, mais à l’efficacité voire à la légalité incertaine
Les mesures législatives qui doivent être présentées le 9 décembre ne laissent pas d’interroger, malgré la vigueur de leur présentation.
- Interdire les menus confessionnels dans les cantines scolaires, ou les créneaux réservés aux femmes dans les piscines, certes. Mais faut-il rappeler au Président que l’obligation de neutralité des agents exerçant une délégation de service public existe déjà (cf. Cour de cassation – Chambre sociale – 19 mars 2013 CPAM de Saint-Denis) ? Si l’on veut vraiment faire progresser le droit, il faudrait étendre cette obligation à toute personne participant, à quelque titre que ce soit (y compris bénévolement) à « l’exécution même d’un service public ».((Ce qui réglerait enfin la question des tiers accompagnateurs de sorties scolaires.))
- Soumettre les subventions publiques aux associations à la signature d’une « charte de la laïcité », sachant qu’une charte n’a pas de valeur normative, est-ce vraiment efficace – à supposer que les termes de ladite charte soient légaux ? Plus généralement, affirmer que « les associations doivent unir la nation » est tout simplement contraire au principe de la liberté associative : on peut heureusement créer une association qui conteste la République, ou qui défend les intérêts d’une « fraction du peuple », dès lors qu’elle ne contrevient pas à la loi !
- Rendre l’école obligatoire dès 3 ans (jusqu’ici, seule « l’instruction » était obligatoire) reviendrait à étatiser l’enseignement — cela même que Condorcet refusait en 1792, et que Jules Ferry n’a pas fait en 1882. C’est surtout juridiquement risqué, puisque la liberté d’enseignement est un principe à valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision 87 DC du 23 novembre 1977), pas moins. Or cette liberté implique aussi la possibilité de délivrer l’enseignement à domicile, ou dans des écoles hors contrat. Ce que les laïques combattent, ce n’est pas l’existence d’un enseignement privé, c’est son financement public (lois Debré, Guermeur, Carle).
Enfin, le Président contredit son engagement claironné en 2019 (sous la pression des laïques) de ne pas toucher à la loi de 1905, dont l’UFAL avait relevé le peu de crédibilité. Il confirme qu’il modifiera bien cette loi pour durcir le statut des associations cultuelles qu’elle a instaurées, tout en étendant les mêmes contraintes aux associations de la loi de 1905 (voir encadré). Quid de la liberté d’association ?
Un islam de France offert aux extrémistes
La principale contradiction de la démarche présidentielle vient de sa volonté réaffirmée de créer un « islam de France », dont l’UFAL dénonce depuis longtemps la dangerosité. Projet néo-concordataire (au salariat des imams près), il immisce l’État dans l’organisation d’une religion, comme Napoléon l’avait fait en contraignant protestants puis juifs à se regrouper en structures centralisées, à l’image de l’Église catholique, « interlocutrices de l’État » — déjà ! Ce qui revient à nier la liberté religieuse des croyants, prétendus « représentés » par les responsables du culte. Le Président avoue d’ailleurs avoir effectivement « réfléchi » à « une approche concordataire » ! Preuve de sa méconnaissance persistante d’une laïcité qu’il prétend défendre : car c’est justement au système concordataire que la loi de 1905 a explicitement mis fin.
Passons sur la promotion souhaitée d’un « islam des Lumières » — expression qui frise l’oxymore, puisque le principal apport des Lumières a été l’apprentissage de l’autonomie de l’individu et donc son détachement des dogmes. C’est encore une ingérence de l’État en matière religieuse. Car la République laïque n’est en aucun cas « l’arbitre des cultes », elle n’a pas à se prononcer sur leur contenu dès lors que leur expression respecte la loi, et les libertés d’autrui. Encore faut-il ne pas ouvrir la voie aux obscurantistes…
Car le diable est dans les détails, même en matière religieuse. Il faut examiner de près PAR QUI va être organisé cet islam de France. Le discours présidentiel indique trois protagonistes : le CFCM (conseil français du culte musulman), créé par l’État en 2003, mais peu influent ; la Fondation de l’islam de France, également créée par l’État en 2016 pour recueillir des financements ; l’AMIF (association des musulmans pour un islam de France), comprenant une branche culturelle et une branche cultuelle, fondée par Hakim El Karoui, un proche du Président.
Et c’est là qu’on retrouve les Frères musulmans ! Fondés en 1928((Par Hassan El Banna, grand père de Tariq et Hani Ramadan.)) pour rétablir le califat et imposer la charia, ils pratiquent à la fois le djihad et la « prédication » pour « réislamiser les musulmans ». Leur principal penseur actuel est Youssef Al Qaradawi((Admirateur du Président turc Erdogan, lui-même frère musulman, dont il attend le retour du califat)), interdit de séjour en France, réfugié au Qatar : ses prêches, ouvrages, ou vidéos prônent le retour à un islam médiéval inventé, ultra-rigoriste, antisémite, homophobe, et maintenant les femmes en situation de minorité. Leurs vitrines légales en France sont Musulman de France (ex UOIF), le CCIF, et une multitude d’associations culturelles, cultuelles, humanitaires, etc. Dans notre pays, ils ont choisi la voie de l’infiltration dans les institutions et les médias, en adoptant un profil lisse et en se réclamant d’un « islam du juste milieu » : tactique de pure dissimulation (taqiya), prévue d’ailleurs par le Coran, mais qui a apparemment séduit M. Macron.
Ainsi, l’AMIF a pour vice-président Mohamed Bajrafil, imam d’Ivry-sur-Seine, jadis poulain de Tariq Ramadan, partisan du voilement des jeunes filles… et admirateur revendiqué d’Al Qaradawi. À la tête de la structure religieuse de l’AMIF se trouve Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, longtemps cadre de l’UOIF qu’il a quittée avant la création de l’AMIF. Le même entrisme frériste frappe la très officielle Fondation de l’Islam de France, présidée par Ghaleb Bencheikh, dont les propos incontestablement républicains coexistent avec l’assiduité aux rencontres de l’UOIF depuis des années…
Récemment, comme l’UFAL l’a dénoncé, les salafistes de la Ligue Islamique Mondiale ont rejoint les Frères en France, montrant que la rivalité censée les opposer n’était qu’une façade — ils partagent en effet le même obscurantisme. Une de leurs tactiques pour se rendre présentable est le recours aux initiatives « interreligieuses », ou « interconvictionnelles » (dont l’association Coexister, soutenue par l’Observatoire de la Laïcité, s’est fait une spécialité).
Quant au slogan « former des imams en France », que vaut-il, quand on sait que l’IESH (institut européen des sciences humaines, sic), tenu par les Frères musulmans, inculque déjà sur le sol français leur conception extrémiste de la théologie, fondée sur des écrits remontant au Moyen-Âge ? Or l’AMIF, pénétrée par des fréristes, aurait voix au chapitre, avec le CFCM, dans ladite formation…
Le Président de la République pense-t-il acheter la paix civile et la fin du terrorisme en livrant les musulmans de notre pays aux extrémistes ? Jeu dangereux ! Ses paroles énergiques contre le « radicalisme » sont contredites par sa complaisance envers leur infiltration dans un « islam de France » qu’il leur offre sur un plateau. Certes, l’on ne peut que partager son annonce vigoureuse : « l’adhésion [de chaque individu] à l’universel républicain, c’est cela qu’il faut défendre ». Malheureusement, avec les salafistes et les frères musulmans, Emmanuel Macron ne peut que prendre le chemin inverse.
On rappellera au passage que l’avantage fiscal essentiel de la gratuité des dons et legs est un cadeau de Pétain (loi du 25 décembre 1942) à l’Église. C’est Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur en 2003, qui avait orienté les associations musulmanes vers le statut de la loi de 1901. Statut d’autant plus intéressant qu’il permet des associations à objet « mixte », assurant par exemple, outre l’exercice du culte, de la médiation sociale… et pouvant recevoir à ce titre des subventions publiques ! Au contraire, les associations de la loi de 1905 (art. 19) doivent avoir pour seul objet l’exercice du culte, qu’il est interdit de subventionner. Relevons quand même que l’Église catholique déroge à la loi depuis 1923, par simple décision du Conseil d’État, puisque l’objet de ses associations « diocésaines » ne comprend pas « l’exercice du culte »…