Dans un autre temps, l’absence de décision pouvait toujours se justifier par la méconnaissance de ce qui se passait. Mais aujourd’hui, nous savons. Nous savons que nous vivons dans un monde fini, et que donc, tout système ou procédé qui dépend d’une ressource non renouvelable est voué à s’éteindre. Nous savons que la biodiversité est un capital que l’humanité a tout intérêt à préserver. Nous savons que les gaz à effet de serre que nous émettons entraînent des évolutions climatiques accélérées. Nous savons que notre santé et notre bien être sont en partie liés à la qualité de notre environnement. Nous savons que santé physique, santé psychique et santé sociale interagissent fortement.
Pourtant, force est de constater que ces éléments parfaitement connus ne sont pas pris en considération par les responsables politiques, les décideurs, et globalement par tous ceux qui sont censés préparer notre avenir. L’espace médiatique est occupé d’une part par les défenseurs de l’environnement, pour qui une nature préservée est souvent plus importante que le développement humain, et d’autre part par les néolibéraux, qui dans le domaine du développement durable comme dans les autres, s’accaparent le vocabulaire en le vidant de son contenu, pour mieux poursuivre leur appropriation des profits. Il est donc plus que temps de replacer l’homme au c?ur du développement. La Ve République a failli. L’urgence sociale et la faillite environnementale obligent à une évolution de nos institutions vers plus d’intervention citoyenne. La démocratie participative au c?ur de la République sociale, voilà le compromis qui reste à inventer pour remettre l’intérêt général au c?ur de l’action publique. Alors nous de devons tout d’abord nous interroger sur l’intérêt ou la nécessité qu’il y a aujourd’hui à parler du développement durable. En fait, le constat, comme vous allez le voir, c’est que nous n’avons guère d’autre choix que celui de réorienter nos politiques dans une optique de développement durable. Par développement durable, j’entends l’ensemble des comportements, des pratiques et des politiques publiques dont l’objet est d’assurer le développement humain, de supprimer la pauvreté, de réduire les inégalités, et cela sans compromettre la qualité de vie des générations actuelles et futures.
Je vais commencer par parler des évolutions récentes concernant l’environnement.
Des évolutions écologiques et environnementales ont lieu depuis l’apparition de la vie sur terre. Souhaiter une nature figée est un contresens. Par contre, ces évolutions se sont faites lentement, sur de longues périodes, ce qui a permis des adaptations progressives. Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est la rapidité des évolutions et la difficulté de mise en ?uvre de mécanismes d’adaptation. Mon exposé ne se veut pas exhaustif, mais je vais essayer de mettre l’accent sur les problèmes les plus importants, pour aujourd’hui ou pour demain. Depuis le XIXème siècle, les émissions humaines de dioxyde d’azote, le CO2, dues à la combustion des énergies fossiles et à la déforestation, ne cessent d’augmenter. Or il s’agit d’un gaz à effet de serre, c’est-à-dire qu’il piège la chaleur que nous envoie le soleil. Les gaz à effet de serre sont nécessaires à la vie sur terre, car sans eux, la température moyenne serait de -18° et non de 15°. La quantité de CO2 sur terre est considérablement plus élevée que tous les rejets liés à l’activité humaine, mais il existe un cycle avec un équilibre. Et cet équilibre est rompu par nos rejets. Mais le CO2 ne représente que 70% des gaz à effet de serre issu des activités humaines. Il y a aussi la vapeur d’eau, le méthane, le protoxyde d’azote, les halocarbures et l’ozone. En France, les émissions humaines de gaz à effets de serre représentent 139,3 millions de tonnes équivalent carbone. Elles proviennent pour 26% des transports, 20% de l’industrie manufacturière, 19% du secteur résidentiel, tertiaire, institutionnel et commercial, 19% de l’agriculture et de la sylviculture, 13% de la transformation énergétique (centrales électriques et raffineries) et 3% du traitement des déchets. Seules 60% des émissions humaines de gaz à effets de serre sont liées à l’utilisation des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), ce qui signifie que, contrairement au discours dominant, il ne faut pas s’intéresser uniquement aux énergies fossiles lorsque l’on entend vouloir s’attaquer au problème. Il y a aujourd’hui consensus pour dire que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre entraînent un réchauffement climatique, dont les premiers effets sont déjà visibles : augmentation du niveau de la mer, fonte de glaciers et diminution de la banquise, bouleversements climatiques. Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’il s’agit d’une bombe à retardement et qu’il est urgent d’agir, car au rythme où nous allons, il sera bientôt trop tard pour limiter le réchauffement à des valeurs tolérables. En effet, le CO2 émis a une durée de vie supérieure à un siècle. Pour éviter une catastrophe climatique majeure, il faut réduire avant le milieu du siècle les émissions mondiales par 2 par rapport à celles de 1990. Ce qui implique que la France doit les diviser par 4, l’Allemagne par 6 et les Etats-Unis par 12. Sans quoi, les spécialistes estiment que le réchauffement sera compris entre 1,4°C à 5,8°C d’ici la fin du siècle. Ces valeurs sont à comparer aux 5°C qui nous séparent de la dernière ère glaciaire. De même lors de périodes interglaciaires, la température moyenne n’a jamais dépassé de plus de 2°C la température moyenne actuelle lors des 400.000 dernières années.
Au regard de ces données, les objectifs du fameux protocole de Kyoto paraissent bien insuffisants. Adopté en 1997, mais entré en application seulement début 2005, il prévoit une réduction de… 5,2% des émissions de CO2 d’ici 2012. Par ailleurs, en instituant des quotas d’émissions qui peuvent s’échanger ou se vendre, c’est un nouveau marché mondial qui a été instauré, celui du commerce des quotas. La biodiversité est un capital naturel extrêmement précieux. Elle reflète le nombre, la variété et la variabilité des organismes vivants. Elle englobe la diversité au sein des gènes, des espèces, entre les espèces et entre les écosystèmes. La biodiversité est un facteur clé du bien-être humain et sa réduction à des conséquences multiples : sécurité alimentaire, vulnérabilité aux catastrophes naturelles, santé, sécurité énergétique, approvisionnement en eau de qualité, relations sociales, liberté de choix, diversité de matières premières. Le rapport commandé par l’ONU sur l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire tire le constat suivant, je cite : « Au cours des 50 dernières années, l’Homme a généré des modifications au niveau des écosystèmes de manière plus rapide et plus extensive que sur aucune autre période comparable de l’histoire de l’humanité […]. Ceci a eu pour conséquence une perte substantielle de la diversité biologique sur la Terre, dont une forte proportion de manière irréversible. Les changements ainsi occasionnés aux écosystèmes ont contribué à des gains nets substantiels sur le niveau du bien-être de l’Homme et le développement économique, mais ces gains ont été acquis de manière croissante au prix d’une dégradation de nombreux services d’origine écosystémique, de risques accrus d’apparition de changements non-linéaires, et de l’accentuation de la pauvreté pour certaines catégories de personnes. Ces problèmes, à moins d’y trouver une solution, auront pour effet de diminuer de manière substantielle les avantages que les générations futures pourraient tirer des écosystèmes. ».
L’indice planète vivante a été élaboré par le WWF pour mesurer les tendances des populations de vertébrés vivants dans les écosystèmes terrestres. Cet indice a chuté de 40% entre 1970 et 2000 ! Les spécialistes estiment qu’une espèce disparaît toutes les 15 à 20 minutes. Or ce capital, ce trésor, nous ne saurons très certainement jamais le recréer, il est donc perdu à jamais. Pour illustrer d’un seul exemple l’intérêt que peut représenter la biodiversité, sachez que plus de la moitié des médicaments anticancéreux sont d’origine naturelle.
Il faut bien entendu parler des pollutions. Les pollutions chimiques sont actuellement les plus importantes, les moins connues, mais surtout les plus négligées. Dans la chimie, le laxisme le plus total prévaut. Il faut malheureusement des accidents dramatiques pour que les choses bougent un peu. Génératrice de graves pollutions par son activité industrielle, par l’utilisation de ses productions, par ses accidents industriels ou de transport, l’industrie chimique bénéficie d’un encadrement et de contrôles ridiculement faibles. Et l’explosion de l’usine AZF, la marée noire de l’Erika ou l’incinérateur qui crachait des dioxines en Savoie n’ont en rien modifié cet état de fait. Le règlement européen REACH se fait toujours attendre, et on ne sait pas si son contenu résistera à l’intense lobbying déployé par les mastodontes de l’industrie chimique. En ce qui concerne les polluants atmosphériques, la liste est longue : poussières, SO2, NOx, CO, métaux lourds, composés organiques volatils, fluor, acide chlorhydrique, gaz à effet de serre, dioxines, et HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques).Tous les secteurs relatifs aux activités humaines sont concernés (domestique, industrie, agriculture, transports, etc.), ce qui signifie que des demies mesures sectorielles auront une portée limitée. Ces pollutions ont comme principales conséquences environnementales : l’acidification (pluies acides), l’eutrophisation (perturbation biologique due à l’excès d’azote dans les sols et l’eau), la pollution photochimique (production d’ozone notamment), l’effet de serre, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique (notamment par les émissions de CFC chlorofluorocarbures, désormais interdits).
Parmi les multiples facteurs qui déterminent la santé humaine et le développement des pathologies, la qualité de l’environnement joue un rôle fondamental. Par environnement, il faut entendre les différents milieux, à savoir l’air, l’eau, et les sols. Leur pollution est déterminée par les contaminants, qui peuvent être de nature biologique (les microbes), chimique ou physique. Leur qualité est aussi dépendante des nuisances qu’ils véhiculent (bruit, odeur…), ainsi que des changements environnementaux que nous venons d’évoquer : changements climatiques et réduction de la biodiversité. Il est avéré que certaines pathologies sont aggravées, voire déterminées, par l’environnement.
Il n’y a pas que les évolutions environnementales qui rendent une approche de développement durable nécessaire. La raréfaction des ressources en matières premières est elle aussi très préoccupante. Pour ne pas être trop long, je ne vais vous parler que des ressources énergétiques. La question énergétique est de plus en plus au centre des préoccupations des sociétés. L’actualité nationale et internationale le démontre quotidiennement. Le développement et l’amélioration des conditions de vie et des modes de production demandent de l’énergie. C’est donc une erreur d’aborder le problème en posant comme postulat qu’il faut baisser la production énergétique. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire en sorte d’arriver à une baisse de la consommation ! Nous vivons dans un monde fini, je l’ai déjà dit, et donc les énergies fossiles, non renouvelables, vont un jour ou l’autre s’épuiser, c’est inéluctable. Ce jour n’est pas pour le prochain millénaire, mais pour notre siècle. Les réserves prouvées sont évaluées respectivement à 40 ans pour le pétrole conventionnel, 60 ans pour le gaz et 2 siècles pour le charbon. Et encore, ces estimations sont faites sur des bases de consommation qui sont déjà dépassées et ne tiennent pas compte de la croissance. Il faut donc s’engager au plus vite dans une politique d’économies d’énergie, avec notamment un plan d’investissement pour l’habitat ancien, une réduction drastique de l’utilisation des énergies fossiles, un développement massif des énergies renouvelables autour d’un socle de production nucléaire de IVème génération, une redéfinition du service public de l’énergie, et une rupture avec l’actuelle politique des transports.
Je vais aborder maintenant la question des indicateurs, et c’est à travers eux que je traiterai de la question sociale. Les indicateurs sont les outils indispensables qui permettent de définir les objectifs, d’évaluer les résultats, et de suivre les évolutions. Ils ne doivent pas être des outils réservés aux seuls techniciens. Il est nécessaire que les citoyens participent à leur définition et se les approprient. Les indicateurs spécifiques du développement durable n’existent pas encore, et les indicateurs les plus couramment utilisés comme le PIB sont parfaitement inopérants. Je vais vous citer 3 indicateurs qui ont leur pertinence dans l’approche développement durable : l’indicateur de développement humain, l’empreinte écologique et le BIP40.
- L’indicateur de développement humain a été créé par le PNUD (programme des nations unies pour le développement). C’est un indicateur qui prend en compte le caractère multidimensionnel du développement. Il est compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent). Il est la moyenne de trois indices quantifiant la longévité (espérance de vie à la naissance), le niveau d’éducation (taux de scolarisation et d’alphabétisation) et le niveau de vie (produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d’achat). L’I.D.H est sans aucun doute un meilleur indicateur du niveau de développement d’un pays que le P.I.B. par habitant. Il n’est cependant pas exempt de faiblesses, en particulier parce qu’il inclut le P.I.B., et on sait que la mesure du P.I.B. pose de nombreux problèmes. D’autre part, il faudrait sans doute prendre en compte davantage de critères qualitatifs, en particulier en ce qui concerne les inégalités.
- D’où le BIP40 (Baromètre des inégalités et de la pauvreté), dont le nom mime le fameux CAC40. Il est calculé par le Réseau d’Alerte sur les Inégalités. Il ne concerne que la France, et il résume en un indice synthétique plus de 60 indicateurs groupés en 6 grands domaines : revenus, emploi, éducation, logement, santé, justice. Une hausse du BIP40 traduit une augmentation des inégalités et de la pauvreté. Entre 1983 et 2003, le BIP40 a augmenté de plus de 50% (passant de 3,7 à 5,7).
- Troisième indicateur : l’empreinte écologique. C’est un indice mondialement utilisé qui a été développé en France par le WWF, qui le calcule depuis 1999. L’empreinte écologique est une mesure de la pression qu’exerce l’homme sur la nature. C’est un outil qui évalue la surface productive nécessaire à une population pour répondre à sa consommation de ressources et à ses besoins d’absorption de déchets. Elle est exprimée en hectares. A l’échelle d’une personne, l’empreinte écologique est une estimation de la superficie nécessaire pour répondre à l’ensemble de ses besoins en ressources naturelles. Elle prend en compte l’habitat, l’alimentation, les biens de consommation, les transports et les déchets. L’empreinte écologique globale de l’humanité a plus que doublé au cours des 40 dernières années. Les capacités biologiques de la Terre étaient dépassées de plus de 20 % en 2001, alors qu’elles n’étaient sollicitées qu’à 50% en 1961. Ainsi, il faudrait 2,3 ha productifs par habitants alors que notre planète n’en offre 1,9. Les capacités sont dépassées, ce qui implique un déséquilibre et une dégradation inéluctable de l’environnement. L’empreinte écologique de la France a augmenté de 47 % en moins de 40 ans alors que sa population n’a augmenté que de 27 %. L’empreinte française en 1999 était de 5,2 hectares globaux par personne, ce qui dépassait de 83 % la biocapacité par personne du pays, qui n’est que de 2,9 hectares : il nous faudrait donc quasiment “une France” supplémentaire pour répondre à nos besoins. L’empreinte des nord américains est elle de 9,6 ha, ce qui signifie que si tous les habitants de la planète avaient le même mode de vie qu’eux, il faudrait 5 planètes pour subvenir à leurs besoins.
Autre notion importante, c’est que les problématiques dans les pays du nord et du sud sont extrêmement différentes. Pour les premiers, l’impératif est de réduire la pression sur l’environnement en préservant la qualité de vie. Pour les seconds, il faut permettre un développement soit respectueux de l’environnement. Cela implique des technologies différentes, et il est aujourd’hui de la responsabilité des pays riches de participer à l’élaboration des technologies qui permettront aux pays en développement de se développer en épargnant l’environnement, c’est à dire le contraire de ce qui s’est produit historiquement jusqu’à aujourd’hui. C’est pourquoi on parle de la nécessité d’un découplage entre développement et pression environnementale. Cela implique aussi de remettre en cause le dogme libéral qui voue aux gémonies tout protectionnisme. Il faut imaginer un néoprotectionnisme altruiste, social et écologique en taxant les produits entrants en fonction du différentiel de protection sociale et écologique entre le pays exportateur et le pays importateur. Le produit de la taxe serait versé via un nouvel organisme international, sous l’égide des Nations Unies, pour financer les systèmes de protection sociale du pays exportateur et les transferts de technologies écologiques.
Je vais terminer mon exposé par des réflexions plus politiques. Non pas que mon action se situe dans le champ politique, mais mon implication citoyenne m’amène à avoir une réflexion sur le sujet. S’il importe de répondre à l’urgence sociale et à la faillite environnementale, il faut aussi combler le déficit de démocratie et redonner au peuple sa souveraineté. Républicain et attaché à la démocratie représentative, je ne vois cependant pas comment, aujourd’hui, les alternatives au néolibéralisme pourraient se passer d’intervention citoyenne. Mais la voie participative telle qu’on la conçoit aujourd’hui risque d’aggraver plus encore la situation. Elle ne devra donc se mettre en place que parallèlement à une réforme des institutions et du statut des élus. Il faudra garantir la représentativité, éviter la confiscation technocratique et empêcher le dévoiement de l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers, travers qui peuvent concerner aussi bien un système représentatif que participatif, aussi bien les partis politiques que les associations. Il faut donc construire la VIème République en y introduisant des formes d’intervention et de participation citoyennes qui restent à définir. La redéfinition des services publics doit être au c?ur des préoccupations. Les services publics doivent être reconnus comme faisant parti des droits fondamentaux. Un droit ne s’achète pas, un droit ne répond à aucune logique financière. Ce qui ne veut pas dire bien entendu que la question économique doit être évacuée. Le développement et la démocratisation des services publics doivent permettre de recentrer l’économie sur les besoins et non plus sur la recherche de profits. Il ne s’agit pas de défendre les services publics « à l’ancienne », mais plutôt de définir et promouvoir ce que devraient être les services publics de demain. Car il est bien évident que les services publics conçus comme « instruments de résistance au néolibéralisme », ne seront pas identiques aux services publics conçus comme « instruments de solidarité pour aider à la reconstruction nationale au sortir de la guerre ».C’est au nom du bien public et de l’égalité que des services publics de qualité sont indispensables. Pour les droits, et pour une organisation sociale orientée vers la satisfaction des besoins fondamentaux, dans le respect de l’environnement. Après des débuts relativement sincères bien que très critiquables, la décentralisation a rapidement changé de finalité. Derrière un argumentaire marketing à relents populistes, le processus de décentralisation s’inscrit désormais dans un projet de segmentation géographique du corps social à l’échelle européenne, ce que l’on appelle « l’Europe des régions ». Nous observons la perte du traitement égal des individus dans l’exercice de leurs droits et donc un accroissement des inégalités liées au lieu de résidence. Pour nous vendre leur projet, les libéraux prétendent rapprocher la décision des citoyens, lutter contre la multitude d’échelons, augmenter l’efficience, etc. Mais en réalité, qu’a permis la décentralisation ? De renforcer encore le pouvoir des Régions au point d’en inscrire le principe dans notre Constitution, qui parle de « République décentralisée » au lieu de garantir son unité, c’est-à-dire qu’elle met directement en cause l’exercice de la souveraineté de son peuple, et le fait d’avoir sur un même territoire national les mêmes droits et les mêmes exigences. Enfin, chacun aura fait le rapprochement entre la mise en place de la décentralisation et la multiplication des « affaires » politico-financières.
Il découle de tout ce qui précède qu’il est nécessaire et urgent d’opposer un modèle alternatif au modèle de la mondialisation néolibérale, qui a mis le turbo depuis l’implosion du bloc soviétique. Les deux principales caractéristiques de la globalisation néolibérale sont : d’une part, un processus de privatisation et de marchandisation de toutes les activités humaines ; et d’autre part, la baisse de la part des revenus du travail et des cotisations sociales dans la richesse produite. Ainsi, en 20 ans, cette part a baissé de 10 points en France, ce qui représente 170 milliards d’euro ponctionnés aux salariés au profit des bénéfices distribués à l’actionnariat et au profit des économies parallèles. Des trois modèles alternatifs du siècle dernier, il n’en reste qu’un. En effet, le modèle social-démocrate n’a pas survécu à l’effondrement du modèle du communisme soviétique. Le modèle laïque de la république sociale est aujourd’hui le seul modèle alternatif existant en mesure de s’opposer au néolibéralisme. Ce modèle doit être perçu comme le concept moderne qui permettra de faire cran d’arrêt au néolibéralisme avec pour finitude le vivre ensemble sur des bases humanistes, solidaires et écologiques. Nous avons trop tendance aujourd’hui à négliger le modèle. Or c’est le modèle qui permet d’assurer la cohérence d’un projet ou d’un programme alternatif, qui n’est sinon qu’une liste de bonnes intentions, irréalisables dans leur ensemble. Comme le monde n’est pas figé, il faut redéfinir les principes de ce modèle. Le développement durable doit être un de ces principes. Avoir des principes, c’est bien. Encore faut-il se donner les moyens de les incarner, c’est ce qu’il nous faut obtenir.
Christian Gaudray