I tréma est une émission littéraire de Laïcidade , la chaine de baladodiffusion (podcast) de l’UFAL, présentée par Emmanuelle Billier-Gauthier et animée par Philippe Foussier de l’UFAL Paris qui présente des livres pour faire la République laïque et sociale.
Dans I tréma #12, c’est le livre dirigé par Manuel Boucher « Radicalités identitaires » qui fait l’objet de la recension à écouter sur toutes les plateformes.
La démocratie bousculée par les passions identitaires
Manuel Boucher est sociologue à l’université de Perpignan, spécialiste des questions urbaines et des discriminations. Il a rassemblé dans un nouvel ouvrage une douzaine de spécialistes en sciences sociales pour examiner l’état de la démocratie face à la radicalisation islamiste, indigéniste et nationaliste.
La sociologie bien sûr, mais également l’anthropologie, les sciences politiques ou l’histoire sont convoquées dans ce livre qui balaie des problématiques très diverses convergeant autour d’un axe commun : les radicalités identitaires. Ce volume rassemble parmi les meilleurs spécialistes des problématiques posées, comme Nicolas Lebourg ou Yvan Gastaut sur l’extrême droite ou Nedjib Sidi Moussa sur le tiers-mondisme et les courants décoloniaux. Stimulantes approches en effet, qui soulignent comment les « mobilisations ethno-différentialistes » font se rejoindre dans une même passion identitaire des idéologies situés aux deux extrêmes de l’échiquier politique. « Les entrepreneurs identitaires et identitaristes sont des frères ennemis qui partagent des discours, des idéologies, des pratiques radicales et une opposition franche à l’universalisme républicain », relève Manuel Boucher.
Les analyses proposées ici fourmillent d’informations indispensables à la compréhension de ces galaxies obsédées par la « race » qui peuvent légitimement sembler opaques aux profanes. On lira ainsi avec intérêt le chapitre qu’Yvan Gastaut consacre aux identitaires d’extrême droite : « Si certains polissent leurs discours au fil du temps, d’autres restent bel et bien mobilisés, véritables radicalisés hostiles à toute concession au métissage qu’ils abhorrent au sein des sociétés française et européenne ». De son côté, Nedjib Sidi Moussa, auteur remarqué d’un percutant petit ouvrage (La fabrique du musulman, Libertalia, 2017), s’attache à décrire les mouvances indigénistes et constate la progression fulgurante des grilles de lecture racialistes, qui deviennent peu à peu « la doxa de nouvelles générations activistes ».
Des acteurs sociaux ambivalents
Plusieurs chapitres concernent la radicalisation islamiste, sous un angle insuffisamment examiné et connu, celui des acteurs sociaux. Le recours à des auteurs dont on perçoit qu’ils ont approché le terrain et pas seulement pratiqué la sociologie de leur bureau permet de mieux appréhender des problématiques comme celles auxquelles sont confrontées la protection judiciaire de la jeunesse, les politiques municipales de prévention ou les travailleurs sociaux. Le chapitre que le sociologue Hervé Marchal consacre aux acteurs sociaux « ambivalents et diversement engagés » est particulièrement riche d’enseignements. Il y souligne combien l’approche du traitement de la radicalisation est souvent empirique, traversée par des postures parfois très divergentes qu’il a classées en quatre catégories : distanciée et prudente ; opportuniste et identitaire ; morale et compassionnelle ; experte et efficace. Un constat pas nécessairement rassurant quant à la réussite de l’entreprise de déradicalisation… Sur toutes ces questions, on trouvera dans ce livre une matière abondante pour réfléchir aux enjeux de cohésion sociale dans une société confrontée de manière croissante à ces radicalités aux visages multiples.
Philippe Foussier
Manuel Boucher (dir.), Radicalités identitaires, L’Harmattan, 2020, 404 p., 37 €