Une adhérente de l’Ufal nous a interpellés au sujet de l’article « Dérives communautaristes à Grenoble » du Collectif laïque national. Nous publions ci-après son commentaire et notre réponse. NDLR.
Commentaire de notre adhérente
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Il n’est nullement question de burkini, il est indiqué que tous les vêtements conçus pour la baignade sont autorisés. Perso, je suis une « vraie française blanche, pas musulmane de 60 ans, athée, libre d’esprit« , j’ai un corps que je trouve moche et que je préfère cacher aux regards des autres, ainsi j’ai acquis un maillot spécifique qui cache les parties de mon corps que je veux cacher. Dans ce cas présent de la piscine de Grenoble, je ne vois pas où est le traitement différencié des personnes fondé sur des motifs liés au genre et à la religion. Hommes et femmes peuvent porter les vêtements autorisés. Chacun à la liberté de choisir.
A mon sens, interdire à des femmes de cacher leur corps (par pudeur ou pour quelque motif que ce soit) pour aller à la piscine est pour moi pire car ces femmes n’ont ainsi même plus le droit de pratiquer cette activité physique qui est de nager dans une piscine municipale (tout le monde n’a pas les moyens d’avoir sa piscine personnelle sur sa propriété). Et si ce sont des militantes communautaristes, je respecte leur position (elle n’entrave en rien la liberté des autres usagers et usagères de la piscine). Si ce sont des victimes de l’islamisme radical, je les plains mais ne vois pas pourquoi elle n’aurait pas le droit d’aller à la piscine comme toute autre femme. Obliger ces femmes à porter des maillots non adaptés à leur souhait est totalement liberticide pour moi, et ça n’a rien à voir avec la laïcité. C’est leur ajouter une pierre dans leur fardeau et ne fait pas avancer leur émancipation. Ce n’est pas en leur ôtant une petite liberté qu’on lutte contre l’intégrisme.
Je suis à fond derrière le maire de Grenoble qui autorise la liberté à chacun et chacune de montrer ou non son corps.
Je suis surprise par ce radicalisme de l’UFAL et les autres associations signataires. Je suis pour la laïcité qui pour moi veut dire le respect de toutes les religions, la liberté de chacun·e à choisir ou pas une religion. Je viens de réadhérer et je commence à le regretter.
Réponse de Charles Arambourou, Responsable « Laïcité » de l’UFAL
Chère amie,
Si j’ai bien compris, vous préférez porter un maillot de bain plus couvrant. Vous n’indiquez cependant pas que l’on vous ait refusé l’entrée d’une piscine publique. Il semble donc que les règlements actuels de la plupart d’entre elles soient parfaitement adaptés à votre liberté. A cet égard, et depuis le XIXème siècle, au-delà de la variation des modes (qui furent il est vrai plus longues qu’aujourd’hui), les baignades publiques sont des lieux de mise en pratique du « vivre ensemble », et d’acceptation des différences physiques de l’autre. Une personne obèse, par exemple, même couverte des pieds à la tête, paraîtra telle à la vue de tous, et les autres l’accepteront comme elle est, et apprendront à leurs enfants à ne pas « faire de réflexions ». Le port du slip ou du boxer pour les hommes, obligatoire en piscine, ne montre pas la plupart d’entre eux comme des Apollons –mon âge avancé m’autorise à l’avouer. Mais tout le monde s’en fiche, c’est la règle des activités de plein air. Mais est-ce vraiment le sujet ?
L’affaire des piscines de Grenoble est de nature différente. Je conviens avec vous qu’elle ne concerne pas la laïcité. Mais on ne peut faire semblant d’ignorer qu’elle fait suite à des revendications communautaristes portées par une association (aux financements au moins opaques) qui entend banaliser le port de tenues couvrant en particulier la tête, au nom de principes religieux. Il ne m’appartient pas de dire si le burkini –invention commerciale très récente venue d’Australie- est ou non conforme aux principes du Coran, quoique je doute que le Prophète ait pu même envisager que les femmes soient admises à se baigner devant des hommes. Les plus littéralistes des musulmans intégristes contestent d’ailleurs pour cela le burkini, dont le caractère moulant inciterait aux regards présumés concupiscents des mâles…
Contrairement à ce que vous croyez, le burkini entrave bien la liberté des autres femmes, spécialement des femmes musulmanes ou supposées telles, qui, si elles portent les maillots « de droit commun », peuvent craindre de passer pour des « impures » au sein de la communauté, ou du quartier. Bien des musulmanes de Grenoble le disent. Il s’agit donc d’un acte de prosélytisme que l’on peut juger abusif, donc juridiquement contraire au droit à la liberté de conscience, en ce qu’il vise à signifier aux croyantes quelle est la façon « licite » de s’habiller ! Une telle pression communautariste est une atteinte aux libertés caractérisée : s’il y a une « obligation » imposée à des femmes, c’est bien, de façon implicite, d’adopter la tenue « permise » selon les canons de ces militantes extrémistes –que beaucoup de musulmans contestent.
L’Alliance citoyenne revendique bien un « traitement différencié », fondé sur le genre et sur la religion : c’est la définition même de la discrimination (art. 225 du code pénal), terme qui a l’air de vous étonner. Permettez-moi de penser que ces femmes ne sont certes pas sur la voie de « l’émancipation », tout au contraire. Le mot régression me viendrait plutôt à l’esprit : devrons-nous demain ne participer aux activités qui se déroulent dans l’espace public qu’en affichant à tout prix nos convictions ?
Le débat sur « la liberté de montrer ou non son corps » n’est qu’un rideau de fumée destiné à détourner du vrai sujet : le maire de Grenoble a choisi de faire droit à une revendication communautariste. L’autorisation du monokini, que très peu de femmes réclament, participe de cet enfumage.
Dans un Etat de droit démocratique, toute liberté est définie par ses « bornes » (Déclaration des droits de 1789), qui sont l’ordre public, et le respect des droits et libertés d’autrui. On ne peut brandir à tout propos le terme de liberté en méconnaissant ces limites, vous en conviendrez.
Vous évoquez la laïcité dans votre conclusion –bien qu’elle ne soit pas en cause ici. Or c’est d’abord la liberté de conscience, dont découle le libre exercice des cultes. C’est aussi la séparation de l’Etat et des cultes –il n’en reconnaît AUCUN, ce qui nous éloigne du « respect de TOUTES les religions » (lequel reviendrait à interdire le blasphème ou les caricatures). C’est l’égalité des citoyens pris comme individus, sans considération de leurs choix ou appartenance de conscience : les personnes ont droit au respect, non leurs convictions.
Voilà pourquoi je regrette que vous regrettiez votre ré-adhésion à l’UFAL, qui se tiendra toujours scrupuleusement à la définition de la laïcité établie par notre Constitution et nos lois, dont celle de 1905. En revanche, face aux diverses offensives de l’islamisme politico-religieux, qu’elles touchent ou non à la laïcité, nous considérons que notre devoir d’association républicaine est de réagir : à Grenoble comme partout ailleurs.
Bien à vous,
Charles Arambourou,
Responsable « Laïcité » de l’UFAL