Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023
Branche Famille
M. Olivier HENNO, rapporteur
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Réponses de l’Union des familles laïques aux questions des sénateurs
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1. Dans le contexte inflationniste, estimez-vous satisfaisantes les revalorisations des prestations familiales intervenues en 2022 ?
En 2022, les prestations familiales ont donné lieu à deux revalorisations successives de 4 %, au 1er avril puis au 1er juillet. Pour les aides au logement, la seconde revalorisation était de 3,5 %. Cette revalorisation totale de 8 %, à laquelle il convient d’ajouter la revalorisation de 50 % de l’ASF, sont évidemment appréciables afin de compenser les effets dramatiques de l’inflation sur le niveau de vie des familles. Rappelons toutefois que ce rattrapage intervient après plusieurs années de quasi-gel des prestations familiales, dont deux années (2019 et 2020) avec une revalorisation de 0,3 %, soit un niveau inférieur à l’inflation, générant une économie illégitime de 7 milliards d’euros au détriment des familles. Les revalorisations 2022 ne permettent donc que de rattraper partiellement la perte de pouvoir d’achat constatée par les bénéficiaires de prestations familiales depuis 3 ans. Par ailleurs, la mesure de revalorisation intervenue à effet du 1er juillet n’est qu’une meure d’anticipation de l’inflation sans effet cumulatif puisqu’elle ne durera que jusqu’à la date anniversaire de la revalorisation en 2023. Si aucune mesure exceptionnelle n’intervient en 2023, les revalorisations 2022 seront insuffisantes pour compenser la chute de niveau de vie des familles.
2. Quel regard général portez-vous sur les mesures du PLFSS concernant la branche famille ? Sur les perspectives financières de la branche ?
Le PLFSS famille pour 2023 ne comporte pas de mesures majeures enclines à améliorer considérablement les conditions de vie des familles pourtant fortement affectées par la crise inflationniste. Les évolutions significatives concernent essentiellement le soutien aux familles monoparentales : revalorisation de l’ASF (+ 50 %) et l’extension du CMG de 6 à 12 ans pour les familles monoparentales. Concernant la réforme du barème du Complément mode de garde, l’UFAL porte un regard critique sur le choix qui est fait d’utiliser le CMG comme véhicule législatif en matière de conciliation entre vie professionnelle et familiale. En effet, le CMG favorise les solutions de garde par emploi direct d’une assistante maternelle ou d’une garde à domicile, or l’UFAL estime que l’effort politique devrait porter prioritairement sur les établissements d’accueil du jeune enfant dont l’offre en termes de places est structurellement insuffisante pour répondre aux besoins des familles (le déficit de places de crèches et haltes-garderies est estimé aux alentours de 250 000 places). L’UFAL constate avec regret qu’aucun effort financier substantiel n’a été consenti sur le budget d’action sociale des Caf dont les ressources financières sont pourtant décisives pour permettre une véritable structuration de l’offre de places d’EAJE. Les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales étranglées par les baisses des dotations publiques, parallèlement aux difficultés de recrutement des personnels en crèches et haltes-garderies, plaident pour la mise en œuvre d’un véritable service de la petite enfance, chantier politique que nous appelons ardemment de nos vœux dans la future COG État/CNAF et qui doit passer à nos yeux par une véritable politique de l’offre en matière d’EAJE.
Concernant les perspectives financières de la branche famille, nous constatons que la CNAF présente depuis 2021 des comptes structurellement excédentaires. Nous craignons néanmoins que ces excédents ne soient grevés par des transferts de charges indus, voire des modifications d’affectation des ressources qui réduiraient les marges de manœuvre de la branche famille voire encourageraient l’exécutif à envisager des futures mesures d’économies a détriment des familles.
3. Le transfert à la CNAF d’une partie de la charge des indemnités journalières pour congé maternité vous parait-il justifié
– d’un point de vue des compétences de la branche famille ?
– d’un point de vue budgétaire ?
Le transfert à la CNAF d’une partie des charges d’indemnités journalières pour congé maternité n’est nullement justifié par un souci de cohérence des attributions des différentes branches de la sécurité sociale, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement. En effet, ce sont bien les CPAM qui sont les opérateurs historiques de gestion des revenus de remplacement inhérents aux interruptions d’activité pour cause de maladie et la maternité. Le transfert de charge ne changera pas cet état de fait car les CPAM continueront de gérer ces prestations calculées en référence aux salaires d’activité.
Le transfert consistera en effet à opérer une compensation financière entre branches de la Sécurité sociale afin d’alléger les dépenses de la branche maladie. Il s’agit dans les faits de transférer 2 Mds d’euros de charges de l’assurance maladie pour alléger le déficit de la branche maladie lié à la crise Covid et aux mesures du Ségur de la santé.
Ce jeu de bonneteau budgétaire comporte plusieurs risques majeurs. D’une part, cela va encore complexifier les circuits de financement de la Sécurité sociale, déjà devenus illisibles. Outre que ce transfert de charges va artificiellement réduire les marges de manœuvre budgétaires de la branche famille, rappelons que les dispositifs de compensation inter-branches ont donné lieu par le passé à des difficultés de retracement comptable qui ont amené la Cour des Comptes à ne pas certifier les comptes de la CNAF. Plus grave, en transférant les IJ maternité à la branche famille, le Gouvernement semble adresser un signal inquiétant : ne s’agit-il pas de mettre fin au caractère assurantiel et salarial des indemnités journalières en leur conférant un caractère universel qui pourrait ouvrir la voie à une mise sous conditions de ressources, à l’instar de la plupart des prestations familiales ? Si tel était le cas, l’UFAL exprimerait de manière univoque son hostilité envers un nouveau projet de sape du salaire socialisé des assurés sociaux et de la cotisation sociale.
Article 36 : réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG)
4. Le nouveau mode de calcul du CMG vous paraît-il pertinent pour mettre fin aux principaux inconvénients du barème actuel (effets de seuil, restes à charge) ?
L’UFAL est en désaccord avec cette mesure qui vise à harmoniser le reste à charge des bénéficiaires de CMG avec celui des solutions de garde en Établissements d’accueil du jeune enfant. Le Gouvernement adresse un signal inquiétant : il s’agit de prendre acte de l’insuffisance de l’offre d’accueil du jeune enfant en EAJE, alors même que les besoins non satisfaits des familles en matière de places de crèches et haltes-garderies sont considérables (déficit de places estimé à 250 000 selon les professionnels du secteur). Une telle mesure va inciter les collectivités territoriales, déjà étranglées par la baisse des dotations publiques, à se désengager davantage de leurs efforts en matière de structuration de l’offre de garde.
Plus que jamais l’UFAL réaffirme son attachement au service d’accueil des jeunes enfants dans des établissements disposant d’un plateau technique adapté et de personnels qualifiés de la petite enfance. Pour notre mouvement, ce sont les EAJE qui devraient constituer le socle du futur service public de la petite enfance. Outre que les familles plébiscitent ces solutions de garde, rappelons que les EAJE jouent une fonction majeure de socialisation du jeune enfant et de mixité sociale. Alors que le CESE a formulé 15 propositions au Gouvernement afin de dessiner les contours d’un futur service public de la petite enfance, nous comprenons que l’objectif du Gouvernement est de s’appuyer sur le Complément mode de garde (CMG) comme pivot du futur service public de la petite enfance. Ce faisant, le Gouvernement entend précipiter la faillite du modèle français d’accueil du jeune enfant en établissements pour mieux encourager les familles (qui en ont les moyens) à opter pour des solutions individuelles ou domestiques de garde financées par le CMG, ainsi que pour des places en micro-crèches qui échappent à toute logique de mixité sociale, d’aménagement du territoire et nourrissent un secteur privé lucratif de l’accueil du jeune enfant. Non seulement, le CMG est plus onéreux pour les finances publiques que la Prestation de Service Unique (financement Caf des EAJE), mais ce modèle achoppe de surcroît sur l’insuffisance criante d’assistantes maternelles dont le statut et les conditions d’exercice sont en décalage flagrant avec les ambitions d’un véritable service public de la petite enfance.
5. Relevez-vous des points d’alerte dont le pouvoir réglementaire devra tenir compte pour le futur barème précisé par décret ?
Réponse apportée au point 4
6. Quelles observations formulez-vous sur le profil des familles perdantes à l’extinction du mécanisme transitoire de compensation ?
Un mécanisme de compensation temporaire à destination des perdants à l’entrée en vigueur de la réforme est proposé dans le PLFSS. Or, à l’examen des motifs, nous découvrons que à l’extinction de cette mesure transitoire, 43 % des bénéficiaires actuels devraient subir une perte moyenne de 32 €. Ce qui peut sembler gênant pour une mesure prétendue d’équité qui générera pratiquement autant de perdants que de gagnants. Les familles perdantes seraient en toute hypothèse les foyers sont les revenus sont situés au-delà du revenu médian ou celles qui recourent épisodiquement aux solutions de garde.
7. Avez-vous des observations à formuler sur l’extension du CMG pour les enfants âgés de 6 à 12 ans à la charge d’un parent isolé ?
L’UFAL accueille avec réserve cet effort en matière de solutions de gardes d’enfants âgés de 6 à 12 ans à la charge d’un parent isolé. Précisons en premier lieu que les familles monoparentales sont les plus lourdement frappées par les difficultés financières voire la pauvreté et sont donc les moins enclines à recourir à l’embauche de personnel de garde à domicile. Il est peu probable que l’extension du CMG pour les enfants de 6 à 12 ans à la charge de parents isolés suffise à solvabiliser leur recours à des solutions de garde à domicile.
Rappelons par ailleurs que les mesures destinées spécifiquement aux familles monoparentales achoppent sur la nécessité de mettre en place un contrôle des situations familiales afin de s’assurer que les familles bénéficiaires ne dissimulent pas une vie maritale ; contrôles ressentis par les familles contrôlées comme une véritable intrusion dans leur vie privée. Pour cette raison, l’UFAL privilégie les solutions de droit commun aux mesures ciblées sur des situations sociales spécifiques.
Une fois encore, la délivrance de services de proximité accessibles tels que les accueils périscolaires et extrascolaires, de même que les centres sociaux qui participent de l’animation de la vie sociale, devraient bénéficier de moyens renforcés. Or, la politique enfance et jeunesse de la branche famille a été littéralement sacrifiée par le Gouvernement dans l’actuelle COG État/CNAF.
L’extension du CMG pour les enfants de 6 à 12 ans à la charge d’un parent isolé vise donc, dans les faits, à pallier l’insuffisance des solutions d’accueil péri et extrascolaire et les places d’ALSH pendant les périodes de vacances scolaires. La forte réduction des moyens du Fonds national d’action sociale dans le domaine de la politique enfance et jeunesse n’est pas étrangère à cet état de fait car elle a précipité le désengagement de nombreuses collectivités territoriales en matière de structuration de l’offre d’accueil et de loisir pour les enfants et adolescents.
8. De même, voyez-vous des difficultés quant au partage du CMG en cas de garde alternée de l’enfant ?
Sans entrer dans le débat sur le bien-fondé de la garde alternée pour l’équilibre des enfants, l’UFAL est favorable au partage des prestations familiales pour les parents qui optent pour la garde alternée. Il en va du CMG comme de l’ensemble des prestations familiales. Or, à ce jour, seules les allocations familiales peuvent être partagées.
Article 37 : versement des indemnités journalières pour congé maternité, paternité et adoption par les employeurs subrogés dans les droits des bénéficiaires vis-à-vis de la caisse de sécurité sociale
9. Observez-vous des délais de versement des IJ trop importants ? Le mécanisme prévu à l’article 37 vous paraît-il bénéfique pour les familles allocataires ?
L’UFAL est favorable à la généralisation de la subrogation des IJ maternité par l’employeur, mesure évidemment bénéfique pour les familles bénéficiaires. Toutefois la subrogation n’est pas une fin en soi ; l’UFAL estime que la subrogation doit aller de pair avec une véritable généralisation des dispositifs de maintien de salaire pendant le congé maternité, par le biais d’une généralisation à toutes les entreprises des prestations complémentaires d’ores et déjà prévues dans de nombreuses conventions collectives.
10. Ne risque-t-il pas de faire porter un risque (financier ou procédural) sur les employeurs ?
La généralisation de la subrogation adossée à la mise en œuvre d’un mouvement de généralisation des dispositifs de maintien de salaire est une mesure sociale que l’UFAL appelle de ses vœux. Cette avancée sociale serait tout à fait supportable par les entreprises sous réserve de donner les moyens humains suffisants aux CPAM pour un traitement rapide des demandes de remboursement d’IJ tout en apportant un soutien ciblé sur les Très petites entreprises. A cette fin, l’UFAL estime qu’un fonds de péréquation financé par les grandes entreprises réalisant des bénéfices permettrait de régler spécifiquement les difficultés de trésorerie des entreprises les plus fragiles.
11. Avez-vous d’autres points à porter à l’attention du rapporteur ?
L’année 2023 sera une année cruciale pour la Branche famille de la Sécurité sociale. La signature de la nouvelle COG État/CNAF doit être l’occasion de consolider le rôle essentiel de la branche famille dans ses missions essentielles de structuration de l’offre d’accueil du jeune enfant, mais également dans le domaine de l’enfance, de la jeunesse et de la cohésion sociale.
Dans ce contexte, nous estimons que la mise en œuvre d’un véritable service public de la petite enfance exige des moyens renforcés pour le Fonds National d’Action Sociale de la CNAF ainsi qu’un cadre conventionnel rénové et simplifié avec les collectivités territoriales, n’excluant pas des solutions de gestion directe d’établissements par les CAF en cas d’incapacité patente des collectivités à structurer l’offre sur leur territoire. Il s’agit non seulement de réaliser un effort national substantiel pour satisfaire les besoins des familles en matière de places en EAJE, mais plus encore de faire des établissements d’accueil du jeune enfant le socle universel d’un véritable service public de la petite enfance qui reposerait sur un réseau d’équipements disposant d’un plateau technique de qualité et sécure, ainsi qu’un collectif national de professionnels qualifiés et justement rémunérés. Nous estimons à l’inverse que le choix gouvernemental d’adosser la politique d’accueil du jeune enfant sur le Complément mode de garde est une impasse qui va accentuer les inégalités sociales et territoriales, le tout pour un coût supérieur pour les finances publiques. Par ailleurs le modèle du CMG achoppe sur l’érosion démographique des assistantes maternelles dont le statut et la précarité des conditions de travail sont en décalage flagrant avec les ambitions affichées d’un véritable service public de la petite enfance.
Pour finir, la future COG État/CNAF comporte un danger majeur que l’UFAL souhaite porter à la connaissance des Parlementaires : la mise en œuvre de la solidarité à la source. Cette réforme majeure des modalités de versement des minima sociaux implique un chantier informatique et organisationnel colossal pour la branche famille. La réforme des aides aux logement mise en œuvre en 2019 a déjà plongé, sous couvert de simplification, le réseau des Caf dans une crise informatique inédite qui a lourdement entravé la capacité de production et d’accueil des Caf et affecté durement le service public rendu aux usagers. Par ailleurs, les nouvelles modalités de calcul de l’allocation logement ont affecté de nombreux bénéficiaire qui ont été les perdants d’une réforme qui s’est muée en véritable usine à gaz tant pour les usagers que les professionnels des Caf. Or, la réforme des aides au logement n’est qu’un avant-goût du désastre qui se profile si la mise en œuvre de la solidarité à la source est menée sans tenir compte des contraintes techniques et humaines de la branche famille. L’enjeu qui en découle n’est ni plus ni moins que la pérennité de la branche famille de la Sécurité sociale. A fortiori, si le Gouvernement entend faire de cette réforme le prétexte pour une transformation des prestations familiales, aides au logement et minima sociaux en un dispositif de crédit d’impôt de type impôt négatif. Perspective que l’UFAL ne saurait accepter.