Un amendement voté le 23 octobre 2023 par l’Assemblée nationale vise à modifier le régime fiscal des pensions alimentaires versées par le parent qui n’a plus la charge d’enfant à la suite d’une séparation. Si cet amendement est retenu dans la version finale du texte, la pension alimentaire ne serait plus déductible du revenu imposable du parent qui la verse et ne serait pas imposable pour le ménage qui la reçoit.
Bien que présenté comme une modalité de correction des inégalités de revenus entre hommes et femmes et comme un soutien aux familles monoparentales, cet amendement apparaît aux yeux de l’UFAL comme particulièrement contestable. Rappelons pour commencer que les pensions alimentaires n’ont pas directement pour vocation à corriger les inégalités de revenus entre les conjoints et ne doivent pas être considérées comme une prestation compensatoire. Elles visent uniquement à assurer le bien-être de l’enfant au travers d’une participation aux charges d’entretien de la part du parent qui n’en a pas la garde. Sur ce point, l’UFAL s’est d’ailleurs félicitée de la véritable avancée sociale qu’ont constitué la garantie contre les impayés de pensions alimentaires, puis la généralisation de l’intermédiation financière des pensions alimentaires. Nous nous réjouissons que ces dispositifs aient permis d’enrayer la révoltante banalité des impayés de pensions alimentaires qui caractérisait notre pays. La pension alimentaire ne doit plus être au cœur des conflits liés à la séparation, mais bel et bien une participation essentielle aux charges d’entretien de l’enfant pour garantir son bien-être.
L’UFAL considère que le soutien à la monoparentalité doit être un objectif politique renforcé, car les parents isolés sont, de loin, ceux qui sont le plus durement frappés par la pauvreté et l’impossibilité de concilier vie professionnelle et familiale. Toutefois, notre mouvement considère comme problématique, voire dangereux, d’utiliser les règles de calcul de l’impôt sur le revenu (IR) pour régler le problème social induit par la monoparentalité.
En cas de séparation, le parent qui a la charge d’enfant bénéficie d’un quotient familial majoré d’une demi-part supplémentaire par enfant, tandis que le parent non-gardien est imposé sur son revenu disponible calculé sur une seule part. Les règles du quotient familial intègrent déjà bel et bien les effets de la séparation en augmentant le niveau d’imposition du parent non-gardien. Le fait que la pension alimentaire soit déductible du revenu imposable du parent qui la verse ne fait que constater une situation de fait : son revenu disponible est réduit d’autant. Le parent qui reçoit la pension alimentaire voit de la même manière son revenu disponible augmenter et il semble logique qu’il l’intègre dans son revenu imposable. Toutefois, la règle du quotient permet largement d’atténuer l’effet de cette augmentation de revenu : l’attribution d’une demi-part supplémentaire par enfant permet à l’écrasante majorité des familles monoparentales de bénéficier d’une exemption totale d’impôt sur le revenu.
La remise en question du régime fiscal des pensions alimentaires est donc problématique à plus d’un titre. D’une part, il s’agirait de remettre en question le principe d’égalité devant les charges publiques et il y aurait fort à parier que cette mesure soit jugée inconstitutionnelle. D’autre part, pour l’immense majorité des familles monoparentales qui ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu, cette réforme serait absolument sans effet, tandis que les parents débiteurs de pensions alimentaires verraient leur charge d’impôt progresser fortement. Nous pouvons considérer que cet amendement est avant tout une mesure d’économies pour les finances publiques maquillée de manière démagogique en un dispositif de réduction des inégalités. Dans les faits, seules les familles monoparentales aisées et soumises à l’IR seraient bénéficiaires de cette mesure, tandis que les parents qui versent la pension alimentaire verraient leur impôt progresser fortement, à commencer par ceux qui n’ont pas repris une vie de couple après la séparation.
Plus grave, l’augmentation de l’IR consécutive à l’adoption de cet amendement pourrait avoir des effets néfastes. Outre que cette mesure risquerait de se traduire par une révision à la baisse du barème des pensions alimentaires fixées par le Juge aux affaires familiales, cet amendement pourrait entraîner une hausse des impayés de pensions alimentaires pour les parents débiteurs les plus fragiles. Certes, l’intermédiation financière et la garantie des impayés de pension alimentaire assurent le maintien des aides aux familles victimes d’impayés de pensions, mais cette garantie se situe au niveau de l’Allocation de soutien familial (recouvrable) qui est souvent inférieure au niveau des pensions alimentaires fixées par le Juge. Sans oublier que cela pourrait se traduire par une augmentation de la charge et des coûts de gestion des Caf qui ont la mission, souvent complexe, d’assurer le recouvrement des pensions impayées auprès du parent défaillant. Enfin, de nombreuses familles sont encore situées en marge du dispositif d’intermédiation financière faute d’avoir fait les démarches de fixation de la pension devant le juge ou encore parce qu’elles ont fait valoir leur droit de ne pas entrer dans le dispositif (« opt-out »). L’intermédiation financière est certes une avancée majeure en matière de lutte contre les impayés de pension, mais elle repose sur un équilibre fragile que l’amendement pourrait déstabiliser. Sans compter que certains parents pourraient faire pression sur leur ex-conjoint pour bénéficier d’une garde alternée, sans égard pour les intérêts de l’enfant, afin de bénéficier du partage des prestations familiales et du quotient familial et de s’affranchir du paiement d’une pension alimentaire.
L’UFAL rejoint par conséquent les réserves exprimées par l’UNAF lors de son audition du 26 septembre 2022, mais également l’opposition à cette mesure formulée par l’économiste Henri Sterdyniak. Pour autant, notre mouvement rappelle que le soutien à la monoparentalité doit être une véritable priorité gouvernementale. Outre, la revalorisation des majorations liées à l’isolement de prestations sociales et familiales, notre mouvement estime que les familles monoparentales doivent pouvoir disposer d’un ensemble de services attentionnés spécifiquement orientés vers les parents isolés. En particulier le développement de solutions de garde accessibles, y compris à des horaires atypiques, est un impératif de premier ordre, car l’absence de solutions de garde est souvent le frein le plus direct à la reprise d’une activité professionnelle, singulièrement lorsque l’activité se traduit par des horaires de nuit ou de week-end.