La proposition d’analyse qui suit, a été élaborée à partir d’un ensemble de remarques récoltées auprès de professeurs de français en Lycée. Elle tente de mettre en relation la transformation des programmes de « français » avec des mutations socio-économico-politiques parallèles.
Cette transformation radicale qui vise à remplacer la littérature par des techniques d’expression et de communication, est en cours depuis les années 1990. Elle a donc démarré parallèlement au Traité de Maastricht, etc.
Pourquoi cet abandon de l’enseignement historique de la littérature?
Les raisons:
– Les techniques d’expression et de communication visent à apprendre à remplir des documents, à faire des synthèses de documents, etc. Ce sont des outils qui peuvent être utilisés partout, qui visent à fabriquer de la main d’œuvre mobile technicienne dans le cadre européen, voire mondial. Et dans n’importe quelle langue, mais en priorité l’anglais que les responsables européens voudraient imposer dans les « Pôles universitaires d’excellence » (le « Supérieur-Supérieur » cher à Michel Rocard, Thomas Piketty pour le PS, Christian Saint-Etienne chez Bayrou ou Alain Minc pour l’UMP) et généraliser au reste de la force de travail. Substituer les techniques d’expression-communication correspond à une vision utilitariste étroite de l’enseignement visant à adapter la force de travail aux entreprises multinationales et transnationales.
– En revanche l’enseignement de la littérature française (ou allemande en Allemagne, etc.) inculque l’histoire nationale à travers des fictions littéraires, des imaginaires symboliques, la langue, etc. Dans le cadre de la mise en place d’une Europe des Régions et de la mondialisation capitaliste, cette histoire littéraire constitue un obstacle au projet politique de démantèlement des Nations.
C’est pourquoi, pour commencer, l’histoire littéraire a été remplacée par l’étude de textes littéraires dans n’importe quel ordre historique. Pourquoi ? Parce que jadis chaque bachelier arrivait au Bac avec des repères historiques grâce à l’Histoire, mais aussi à la littérature, ce qui créait du lien social et le sentiment d’appartenir à la nation française. Chaque candidat au Bac procédait du roman national. C’était aussi un des moyens d’intégrer les élèves d’origine étrangère (comme moi) en les faisant adhérer au roman national.
Faire sauter l’enseignement littéraire lié aux Humanités contribue donc à déconstruire le sentiment d’appartenance à la Nation française (idem pour les autres pays de l’Europe et du monde) et, au-delà, à la République française laïque, féministe, etc.
Il suffisait d’accréditer l’idée que « la Nation = Le Pen » et qu’il fallait accepter « l’Autre1 » (que l’Autre fût régionaliste ou étranger), pour que nombre de Français aient la haine de la France, de la littérature française (surtout si on la déclare « élitiste ») et acceptent qu’étudier la littérature française, l’histoire, la philosophie n’a plus d’intérêt.
Cette opération vise ainsi à déconstruire la socialisation de chaque citoyen français que l’on veut transformer en citoyen européen, puis mondial, c’est à dire en individu consommateur n’ayant plus de mémoire et d’histoire nationales. A devenir des esclaves, comme disaient les écrivains sud-américains qui, dans les années 1970, fondaient leur littérature sur l’idée qu’« un peuple sans mémoire, sans histoire est un peuple d’esclaves ». C’est pourquoi ces écrivains s’étaient mis à écrire des fictions ravivant la mémoire des Indiens, des Noirs, des peuples.
- Cf. Pierre BARACCA, « L’idéologie de l’Autre », L’Idée libre, décembre 2004. Texte transmissible par courriel sur demande à Repère. [↩]