Le lien entre école et laïcité est un lien étroit, tant sur le plan historique que philosophique. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’école constitue le terrain privilégié des attaques contre la laïcité. Ces attaques ont lieu sur quatre fronts.
Le premier front est celui des moyens. L’attaque contre la laïcité prend ici une forme évidente et clairement identifiable : elle engage la question du financement des écoles privées sous contrat et elle consiste à porter atteinte à la stricte séparation entre la sphère publique, qui relève de la seule volonté générale et des financements publics, et la société civile, qui relève des intérêts particuliers et des financements privés. Cette attaque fait long feu : l’article 89 de la loi du 13 août 2004 et la circulaire du 2 décembre 2005 relative à l’application de cet article ont relancé la polémique. Les communes se voient en effet contraintes de prendre en charge les dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat. Défendre l’école laïque, c’est donc, plus que jamais, militer en faveur du mot d’ordre « école publique, fonds publics, école privée, fonds privés ». C’est pourquoi l’UFAL demande l’abrogation de la circulaire n°2005-206.
Le deuxième front est celui des signes religieux. Force est de constater que l’attaque a pris ici une forme a priori moins identifiable. On sait que la première « affaire du voile » qui a éclaté en 1989 a suscité une certaine confusion dans les esprits : certains ont mis du temps à se rendre compte que prêcher la tolérance en la matière -fût-ce au nom des meilleurs intentions du monde- revenait à céder sur le principe de laïcité. Là aussi, la polémique a fait long feu : il faudra attendre la loi du 15 mars 2004 pour que le principe de laïcité soit clairement réaffirmé et que la polémique cesse, ce qui fera mentir les Cassandre qui prévoyaient le pire pour la rentrée 2004. Si la polémique s’est tue, il reste que les offensives hégémoniques menées par les religions sont, quant à elles, loin d’être terminées. Les tensions communautaires dont les professeurs sont parfois les témoins dans leurs classes, la question de la nourriture hallal dans les cantines, la contestation, au nom de croyances religieuses, de certains contenus des programmes scolaires, nombreux sont les signes qui incitent à la vigilance. L’UFAL demande à ce que l’interdiction des signes religieux soit étendue aux parents qui accompagnent les élèves lors des sorties scolaires.
Le troisième front est celui des intérêts marchands. Il est de plus en plus difficile de résister aux pressions des entreprises qui considèrent l’école comme un marché potentiel. Les intrusions publicitaires dans l’enceinte de l’école se multiplient de façon inquiétante. Elles sont d’autant plus dangereuses qu’elles prennent une forme insidieuse : sous couvert de « pédagogie » -terme dont le sens est suffisamment indéterminé pour être infiniment extensible- les entreprises s’invitent dans les établissements scolaires pour y servir des intérêts commerciaux. Il s’agit bien, là encore, d’une atteinte portée au principe de laïcité. La laïcité exige en effet la soustraction : défendre une école laïque, c’est vouloir soustraire l’école aux intérêts particuliers. Que le particulier prenne la forme de la croyance religieuse ou de l’intérêt commercial, le principe est le même : parce qu’elle est sous l’égide de la seule puissance publique, l’école doit être protégée des forces religieuses, des forces sociales et des forces économiques. C’est pourquoi l’UFAL demande l’abrogation de la « circulaire Lang » intitulée « Code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire » (voir le site Attac-éducation). Cette circulaire entérine en effet une situation que nous refusons parce qu’elle est contraire au principe de laïcité.
Le quatrième front est celui de la pédagogie. Il faut le dire clairement : les réformes menées depuis trente ans au nom des « sciences des l’éducation » ou des « nouvelles pédagogies » constituent elles aussi une atteinte portée au principe de laïcité. Pour l’établir, il convient de restituer l’intégralité du dispositif à partir duquel l’école républicaine a été conçue. Ce dispositif se déploie à partir de quatre propositions :
- Première proposition : la République vise la liberté, entendue comme « pouvoir qui appartient à l’homme d’exercer, à son gré, toutes ses facultés » (Robespierre, Projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proposé à la Convention le 24 avril 1793).
- Deuxième proposition : La liberté suppose le savoir. Le savoir permet l’émancipation. L’instruction fait donc partie des « combinaisons pour assurer la liberté » (Condorcet, Quatrième Mémoire sur l’instruction publique).
- Troisième proposition : L’accès au savoir requiert une rupture avec l’opinion, la croyance, le préjugé, bref, avec toutes les figures possibles de la pensée spontanée. Il n’y a pas d’accès au savoir possible sans une réforme de l’entendement : sans une remise en question de ce que l’on croyait vrai. « Nous ne raisonnons jamais que sur une erreur reconnue » (Alain, Propos sur l’éducation).
- Quatrième proposition : La réforme de l’entendement exige, comme condition de possibilité, l’instauration d’une école laïque. En imposant aux maîtres et aux élèves un devoir de réserve en matière religieuse, l’école laïque convoque chacun à accéder à une position critique, à mettre entre parenthèses, le temps de l’instruction, tout ce qui le particularise, pour faire usage de son seul entendement. C’est grâce à cette rupture que l’élève « devient l’auteur de ses pensées et de ses actions » et peut « se passer du recours à une autorité transcendante » (C. Kintzler, « La Laïcité », Archives de philosophie du droit, Dalloz).
Le dispositif se défait aujourd’hui sous nos yeux : l’école n’est plus perçue comme un vecteur d’émancipation ; la transmission des savoirs est tenue pour secondaire : l’école est supposée assumer d’autres « missions » (la « professionnalisation » des futeurs travailleurs, l’ « épanouissement » des enfants, etc.) ; le savoir est suspect : on lui reproche d’ être « inutile », ou pire, d’être un instrument de domination de classe ; la rupture avec les figures de la pensée spontanée est tenue pour une forme de violence : il faut « respecter » la culture de l’élève, il faut partir de ce qu’il est supposé savoir, etc.
Dans le dossier « Laïcité et Humanités », nous avons voulu montrer que défendre l’école laïque, c’est défendre le dispositif républicain dans son intégralité : c’est vouloir une école exigeante, soustraite des intérêts particuliers, une école fondée sur des programmes nationaux centrés sur les Humanités, une école qui confronte les élèves aux grandes oeuvres et à la belle langue. Vouloir une école qui soit le simple reflet du « social », qui prenne en considération les faits -et, en premier lieu, le « fait religieux « – vouloir une école qui privilégie l’utilitarisme, qui se règle sur les déterminismes individuels revient à céder sur la finalité de l’école laïque : permettre l’émancipation.