Il est, dans la façon dont les médias traitent depuis quelques années le sujet du baccalauréat, une chose qui ne laisse pas d’étonner : le premier thème dont on parle, quand on parle du baccalauréat, c’est du marché qu’il génère. « Annabacs », produits pharmaceutiques aux vertus imaginaires, cours particuliers (nouvel arrivage, cette année, dans cette quincaillerie : le « coach »), le « bac », c’est d’abord un marché qui s’étend de plus en plus et qui semble chaque année un peu plus juteux.
Et si les médias ne faisaient que dire étourdiment quelle est désormais la vérité du baccalauréat ? Ce qui fait la valeur du bac, c’est moins le diplôme lui-même que le marché du baccalauréat. En tant que diplôme, le bac a de moins en moins de valeur sur le marché du travail ; en tant qu’événement, le bac a, en revanche, de plus en plus de valeur marchande. Il ne joue plus qu’un rôle accessoire dans la qualification de la force de travail : le bachelier, à la fin des fins, dispose d’une force de travail bien peu qualifiée. Le diplôme comme alibi d’un mercantilisme qui exploite l’angoisse des élèves et de leurs parents : telle est la première imposture que nous avons voulu mettre en évidence.
Si la vérité du baccalauréat, c’est le marché du bac, alors tout ce qu’on peut en dire relève du faux-semblant. L’événement est d’autant plus dramatisé que le diplôme ne représente plus grand chose. C’est cette grande illusion que les médias entretiennent à leur insu. Tout se passe comme si ce qu’on montrait avait pour principal effet de mieux cacher le réel. Quelques exemples :
- Les « perles du bac » : figure obligée du marronnier journalistique, les « perles du bac » remportent toujours un franc succès. Il faut bien reconnaître que certaines « bourdes » relèvent du mot d’esprit et que celui-ci est d’autant plus jubilatoire qu’on peut le supposer involontaire. Mais après le rire vient le malaise : si l’on exhibe les « bourdes » des candidats, on parle bien peu des copies elles-mêmes. Les médias se font rarement l’écho de la consternation grandissante des correcteurs face à l’indigence de l’expresssion, à la pauvreté de la culture générale, à l’absence de rigueur logique. Les journalistes avides de perles se montrent moins enthousiastes lorsqu’il s’agit d’enquêter sur le niveau réel des copies de bac.
- La visite des « arrière-cuisines » : préparation des salles d’examen, interview des surveillants, visite du coffre dans lequel le chef de centre consigne les sujets, tous les ans, le téléspectateur a l’impression d’approcher les mystères d’Eleusis. Rien ne lui est épargné de l’organisation pharaonique du baccalauréat. Il a droit à la visite des arrière-cuisines mais il ne saura jamais rien de ce qui se passe dans les commissions. Quel journaliste enquêterait sur les « pressions à la hausse », insidieuses la plupart du temps, dont sont victimes les correcteurs dont la médiane est en deçà de la médiane nationale ? Quel journaliste s’intéresserait aux dissensions qui s’expriment immanquablement lors des réunions de jurys lorsqu’il s’agit, par exemple, de savoir si on relèvera tel candidat qui se présente à l’examen pour la deuxième fois, et dont le livret scolaire atteste qu’il n’a pas travaillé sérieusement pendant l’année ? Quel journaliste mettrait son nez dans la fabrique des barèmes qui confine, trop souvent, à l’art de donner des points automatiquement ? Ou dans le système d’options qui multiplie miraculeusement les points ? On aurait tort d’expliquer le silence assourdissant qui règne autour des vraies arrière-cuisines du baccalauréat – silence qui constraste avec le tapage médiatique annuel – par la seule omerta des correcteurs, même si elle existe. Si tous ces faits sont si peu médiatisés, c’est bien parce que les médias s’en désintéressent : pas besoin d’être dans le secret des dieux pour s’informer des multiples stratagèmes qui sont, chaque année, mis en oeuvre pour que plus de 80% d’une classe d’âge décroche son bac.
- Les sujets de philosophie : cet autre marronnier bien connu consiste à interroger des « personnalités » qui, avec des airs inspirés, et sur le mode de l’évidence, débitent le plus souvent les lieux communs que le candidat est, précisément, invité à problématiser et à dépasser. Pour le téléspectateur nostalgique, c’est le moment de se souvenir du sujet de dissertation sibyllin sur lequel il a planché pendant quatre heures. On omet de préciser, ce faisant, que la philosophie est la dernière discipline à avoir résisté à la disparition programmée de la dissertation. On omet de parler des différentes réformes qui, dans différentes disciplines (le français, les mathématiques, etc.) ont réduit certaines épreuves à l’application servile de « recettes ».
Nous avons décidé d’intituler le dossier qui va suivre « les impostures du baccalauréat ». De quelles impostures s’agit-il ? De l’extension du marché du bac, de la baisse des exigences, de la valeur réelle du baccalauréat. Il est une question à laquelle nous n’avons pas répondu, et que nous vous invitons à méditer : qui est l’imposteur ? Le baccalauréat ressemble aujourd’hui à une gigantesque machine qui opère à partir de sa logique folle : il s’agit moins de sanctionner un niveau que de fabriquer le plus de bacheliers possible. Lorsque la machine a été productive, tout le monde se félicite. Il est rare que la machine déraille. Gageons que le baccalauréat 2007 sera un bon cru. La puissance de cette machine est telle que ceux qui, hier, exprimaient leurs doutes, cessent de douter dès qu’ils en deviennent les régisseurs. Ainsi Xavier Darcos écrivait-il hier : « Le sommet du sophisme, on s’en souvient, reste l’insurpassable « Le niveau monte », déjà évoqué, savante ânerie, contredite, on l’a vu, par toutes les études objectives, y compris d’ailleurs par l’institution. Le Conseil national des programmes, présidé par Luc Ferry, dans un rapport de juillet 1995 avoue : « La comparaison entre les élèves passant le certificat d’études dans les années 1920 et ceux d’aujourd’hui, confirme sur les deux registres, lire/écrire et calcul, ce qu’il faut bien appeler une baisse de niveau. »1; ainsi le ministre de l’éducation nationale déclare-t-il aujourd’hui : « Je ne participe pas à ce discours sur le bac dévalué. Le bac est un véritable examen qui n’est pas bradé » a-t-il déclaré. Certes les lycéens font davantage de fautes dans leur dictée. Mais finalement ils savent des choses que les générations précédentes ignoraient. Ainsi se définit l’équilibre entre la tradition et la modernité… » Magie du baccalauréat : les grincheux d’hier deviennent les chantres de demain !
- Citations plus complètes de son livre, qu’il contredit effrontément maintenant, à l’adresse http://r-lecole.freesurf.fr/gene/d36.htm [↩]