La matinée est belle, l’ambiance est détendue. Madame le Proviseur accueille, en ce jour de pré-rentrée, les 175 professeurs d’un lycée de banlieue parisienne. Les politesses d’usage et les bons voeux passés, Madame le Proviseur annonce fièrement les résultats du baccalauréat, qui, dans cet établissement chic, flirtent avec les 100 %.
Madame le Proviseur exulte : elle inflige là la preuve incontestable que « la redoublance pédagogique est inefficace ». Madame le Proviseur est un bon soldat : elle met un point d’honneur à réduire drastiquement le nombre de redoublements en classe de seconde. Elle est bien vue du rectorat. Des parents d’élèves, aussi, avec qui elle fait front commun contre les mauvais coucheurs. Il faut dire qu’au moment des conseils de classe, Madame le Proviseur a souvent maille à partir avec ses professeurs : il existe encore, au sein de son établissement, des grincheux qui s’insurgent contre le passage en première d’élèves qui n’obtiennent la moyenne ni en français, ni en mathématiques. Il y a même de vieux chnoques qui s’indignent encore du passage automatique en classe de Terminale. Au diable les ringards qui veulent gaspiller l’argent public ! Triomphe de Madame le Proviseur : « Même le petit Durand l’a décroché, son bac ! ». Clin d’oeil à ma collègue de mathématiques : « Vous savez, celui dont vous disiez qu’il n’avait pas sa place en Terminale S et que vous vouliez faire redoubler ! ». Grognements dans la salle : « Comment voulez-vous que les élèves nous respectent si vous opposez ce discours comptable aux avis que nous formulons en conseil de classe ! ». Un collègue d’allemand prend la parole : « J’enseigne dans cet établissement depuis 1978. J’ai constaté l’évolution déplorable de ces dernières années : nous commençons à avoir du mal à obtenir le silence dans certaines classes, de plus en plus d’élèves affichent un mépris souverain envers l’effort et le travail ! ». L’assistance se divise : une belle âme évoque avec chaleur « la nécessité de travailler tous ensemble pour la réussite de notre mission éducative et pour le bien de nos élèves ». Un râleur laisse échapper, excédé : « Et puis c’est quoi cette novlangue ? « Redoublance pédagogique » ? On se croirait à l’IUFM ! ». Madame le Proviseur ne sourit plus. Elle demande le silence. On ne l’écoute plus. Moi qui, comme chaque année, m’attendais à assister à une grand-messe soporifique, j’exulte. Moi qui pensais mes collègues résignés, me voici réconciliée avec la « corporation enseignante ». Les professeurs qui corrigent le baccalauréat savent très bien que le nombre croissant de bacheliers nécessite, chaque année, de subtils arrangements dans la mise en place des barêmes et des conseils avisés dans la correction des copies. La chose est désormais suffisamment connue pour que plus personne ne se risque à en conclure que « le niveau monte ». Elle est devenue si habituelle qu’elle ne suscite guère plus, chez les collègues, que des soupirs et des haussements d’épaules. Ces passions tristes contrastaient avec la revigotante cacophonie qu’avait déclenchée, en ce beau jour de pré-rentrée, la « redoublance pédagogique ». « C’est bien, me suis-je dit en quittant la salle, le cave se rebiffe ».