Les Franchises sur les soins ne passent pas ; maintenant qu’elles sont en application leur injustice devient flagrante. Nous en demandons maintenant l’abrogation. Pour ceux qui veulent privatiser le système de remboursement des soins, il est indispensable de les faire accepter ; pour eux, la solidarité entre bien-portants et malades est un verrou qu’il faut faire sauter. Les deux articles argumentaires suivants sont sur deux fronts de refus différents. Le premier article de Pierre Volovitch, économiste, est paru dans la revue Pratiques. Le deuxième est un argumentaire des membres du conseil de la CPAM du Calvados, militants de l’Assurance Maladie tels qu’ils se présentent ; il est adressé à tous les directeurs des CPAM.
Pour diffusion massive !
Pendant sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait annoncé la mise en place de « franchises ». Après les élections, Martin Hirsch, nouveau secrétaire d’Etat aux solidarités, a critiqué cette idée et a produit une note prônant la mise en place d’un « bouclier sanitaire ». Le même Nicolas Sarkozy a annoncé au cours de l’été la mise en place de « franchises » destinées à financer des plans de lutte contre la maladie d’Alzheimer, et contre le cancer. Au moment où cet article est écrit, je ne connais pas la forme précise que prendra la politique de ce gouvernement, et mon hypothèse est qu’eux non plus ne la connaissent pas. L’Assurance maladie, dans le cadre de la Sécurité sociale, c’est, en principe, un financement basé sur le revenu des personnes protégées et des droits ouverts en fonction des besoins. La force de ce dispositif, c’est la séparation qu’il instaure entre le coût de « l’assurance » et les besoins de soins de l’individu . La mise en place de « franchises », comme l’éventuelle mise en place d’un « bouclier sanitaire » dénaturent profondément ce principe de financement.
Pourquoi les franchises seront inefficaces
Les « franchises » viendront s’ajouter aux « tickets modérateurs », « forfaits hospitaliers » et autres « restes à charge ». Dans tous les cas, c’est le malade qui paye, et qui paye d’autant plus qu’il est plus malade. On a réintroduit le lien entre besoins de soins et charge financière. Il s’agit donc d’une mesure injuste socialement. Pour défendre cette mesure, ses promoteurs prétendent qu’il s’agit d’un moyen d’agir sur l’évolution des dépenses de santé. Cette idée est fausse pour au moins trois raisons. Les pays qui maîtrisent le mieux leurs dépenses de santé sont les pays qui les « socialisent » le plus. Plus la part des dépenses publiques dans les dépenses de santé est forte et plus la dépense totale est faible. Au Danemark, en Suède, en Grande-Bretagne, là où la part des dépenses publiques dans les dépenses de santé est supérieure à 80 %, la part des dépenses totales de santé dans le PIB est proche de 8 %. Aux Etats-Unis où la part des dépenses publiques dans les dépenses de santé est à peine supérieure à 40 %, la part des dépenses totales de santé dans le PIB est proche de 15 %. Dis autrement, quand la part des dépenses qui reste à la charge des ménages est importante, les dépenses totales de santé peuvent être importantes. En matière de dépenses de santé, la meilleure façon de maîtriser les dépenses c’est d’être solidaires. La réalité, c’est que les procédures de ticket modérateur, de forfait hospitalier, de franchise… ne visent pas à maîtriser les dépenses de santé dans leur ensemble, mais de maîtriser les seules dépenses d’assurance maladie.
Les dépenses de santé sont très fortement concentrées sur un très petit nombre de patients. Une année donnée, la moitié de la population est à l’origine de 5 % des dépenses tandis que les 5 % des personnes qui consomment les plus sont à l’origine de la moitie des dépenses. Si l’on élargit aux 10 % des personnes qu consomment le plus, on arrive à plus des deux-tiers de la consommation de soins. Qu’est-ce que cela veut dire par rapport à la « franchise » ? La « franchise » limite la consommation des petits consommateurs de soins (c’est à quoi elle sert dans le domaine de l’assurance automobile où elle fonctionne actuellement). Elle ne peut en aucun cas agir sur la consommation des personnes gravement malades. Résultat, elle s’attaque donc aux dépenses de santé là où elles sont peu importantes. On vise totalement à coté de la cible. La question des dépenses de santé est une question d’organisation du système de soins, pas une question de « responsabilisation du patient ». En limitant l’accès aux soins primaires la franchise va renforcer les inégalités (ce qui nous importe au premier chef) et augmenter la dépense (ce qui est paraît-il l’inquiétude de ceux qui parlent de mettre en place une franchise). Si les personnes hésitent, ou renoncent, du fait de la franchise, à avoir recours aux soins primaires, il y a un risque que la pathologie dont elles souffrent s’aggrave. Elles auront recours aux soins plus tard. Il faudra avoir recours à des soins plus onéreux (la pathologie s’étant aggravée) et pour un résultat sanitaire moins bon. On connaît déjà ce phénomène. Les catégories modestes utilisent moins la médecine de ville (les dépenses de médecine ambulatoire des cadres sont supérieures de 16 % à celle des ouvriers). Ce moindre recours à la médecine ambulatoire conduit à un recours plus important à la médecine hospitalière (les dépenses de médecine hospitalière des ouvriers sont supérieures de 13 % à celle des cadres). Le résultat final étant (pathologies plus graves prises en charge plus tard) une dépense totale plus importante. Pour une consommation moyenne de 100, la consommation moyenne des cadres est de 91, celle des ouvriers non qualifiés de 118. En retardant l’accès aux soins on ne fait aucune économie, au contraire on augmente les dépenses, tout en dégradant encore les inégalités sociales face à la santé. Un « bouclier » pour aller vers une Assurance maladie sous conditions de ressources ? A peine nommé, le nouveau Secrétaire d’Etat aux solidarités actives s’est ému de la mise ne place de « franchises » qui allait rendre l’accès aux soins plus difficile pour les plus pauvres. Il a remis une note proposant que la franchise soit plafonnée en fonction du revenu des personnes. Dans la foulée, il a proposé que le système de prise en charge à 100 % des maladies de longue durée (ALD) soit supprimé. Si ce type de mesure était mis en place, on irait clairement vers une mise sous conditions de ressources de l’Assurance maladie. D’un système sous conditions de ressources à un système dual. Le bouclier sanitaire remet en cause le principe de l’Assurance maladie solidaire où les assurés à état de santé égal sont pris en charge de la même manière, la solidarité s’exprimant en amont au niveau des cotisations. Avec le système de « bouclier sanitaire », à revenu égal, les plus malades paieront plus de leur poche, puisque chaque année, la totalité du montant du « bouclier » restera à leur charge. Et comme les plus malades sont les plus vieux, on rentre dans un système où à revenu égal, les plus jeunes ne payent plus ou payent moins (car très peu malades) pour les plus vieux. Malheur aux vieux ! Avec le système de « bouclier sanitaire » ont met l’Assurance maladie sous condition de ressource. A état de santé égal, plus les assurés auront des revenus élevés, plus ils mettront de temps à atteindre le plafond du « bouclier » et donc à être pris en charge. Ceci pourrait sembler sur le papier plus juste, car permettant une couverture plus favorable aux plus pauvres (en notant toutefois que 2 ou 5 % d’un revenu faible est en réalité une charge plus lourde que 2 ou 5 % d’un revenu élevé). Mais dans les faits, les plus riches, pour continuer à être pris en charge tout de suite, se tourneront encore plus vers les systèmes d’assurances complémentaires et à terme, ils remettront en question leur participation au système public d’Assurance maladie. Bien sûr, l’importance des changements qu’introduiront ces mesures dépend du montant de la franchise. La question du niveau des franchises est donc centrale. Si elles sont faibles, les impacts négatifs seront limités, mais elles seront alors incapables de répondre à la question posée, celle du financement. Aux dernières nouvelles, le déficit de l’Assurance maladie est de 6 milliards. Compte tenu que les non-consommateurs et les très faibles consommateurs ne financeront rien (ils n’auront pas de franchise à supporter, ou des très faibles franchises), il faudrait des franchises – qui s’ajouteraient au ticket modérateur, au forfait hospitalier… autour de 250 € par personnes. Si vous exonérez les plus pauvres, ça fait monter à 300 ou 350 € pour les autres (tout dépend du niveau où vous faites passer la pauvreté…). Les systèmes sous conditions de ressources produisent de la dualité. Quid des complémentaires ? Dans sa note sur le « bouclier », Martin Hirsch explique sans rire qu’une franchise proportionnelle au revenu, cela veut dire qu’elles devront moduler leur tarif en fonction des revenus – faire payer plus les plus riches. On peut lui signaler que les complémentaires ne sont pas idiotes et qu’elles vont faire payer plus ceux qui auront les plus grosses franchises non pas potentiellement (les plus riches), mais réellement (les plus malades) et que donc la prise en charge des franchises par les complémentaires seront un puissant incitatif à augmenter les tarifs pour ceux qui risquent le plus d’être malades, à savoir les vieux. Ça se fait déjà, ça devrait se faire encore plus. Ca commence où la pauvreté ? Le raisonnement sur le « bouclier » parle de plafonnement des franchises en fonction du revenu des personnes. C’est joli en théorie, mais en pratique ? Pour le moment les caisses françaises n’ont pas les moyens de réaliser ce plafonnement en fonction du revenu. Tant qu’on ne me dira pas comment on réalise cette opération, avec quelle modification de la chaîne informatique des caisses, et à quel coût il manquera un élément au raisonnement. Si, comme je le pense, on ne peut mettre en place un système qui prenne en compte les revenus de toute la population, on a toujours la solution, sur le modèle CMU, de définir un revenu en dessous duquel il y aura plafonnement, et au-dessus duquel on n’aura pas ce plafonnement. C’est plus facile à gérer par les caisses qu’une proportionnalité en continue sur l’ensemble des revenus. Mais si on met en place ce plafonnement au-dessous d’un seuil qui n’existe plus, au-dessus du seuil on recrée les mêmes problèmes qu’avec la CMU. Injustice pour ceux qui sont juste au-dessus du seuil, création d’une « population » stigmatisable pour ceux qui sont en dessous du seuil Petit détail qui n’en est pas un. Dans cette nouvelle société dans laquelle les heures sup sont exonérées d’impôts et de cotisations sociales, le revenu sur lequel est calculé le « bouclier social », c’est le revenu réellement perçu par le ménage ou le revenu sans heures sup ? Et bonjour la gestion de ce genre d’usine à gaz…. – on calcule le « bouclier » sur le revenu de l’année dernière ? Et si la situation a changé depuis l’année dernière, chômage par exemple…
Faire payer les malades pour financer la maladie
Nos gouvernants savent-il où ils vont ? Devant l’émotion soulevée par le projet de « franchises », Nicolas Sarkozy a annoncé qu’elles serviraient à financer le plan contre la lutte de la maladie d’Alzheimer et à financer le plan cancer. Et là, ça devient formidable. Ce sont les plus malades, et donc en gros les plus vieux, qui sont appelés, en voyant diminuer la prise en charge sociale de leurs soins, à financer d’autres soins. Avec un peu de chance, un malade d’Alzheimer peut avoir une autre maladie. C’est la diminution de la prise en charge de ses problèmes respiratoires ou urinaires qui va financer la prise en charge de son Alzheimer ! Tout le monde connaît l’histoire. Un type recherche sa montre sous un réverbère. Un autre type lui pose la question : « C’est là que vous l’avez perdue ? ». Et le premier répond : « Non, mais ici il y a de la lumière ». Si elle est bien racontée cette histoire peut faire rire. Nous avons un problème de progression des dépenses de soin. Tous les diagnostics sérieux expliquent que l’enjeu est celui d’une autre organisation du système de soins. Peut-être même d’une vraie prise en charge de la santé, et non d’une prise en charge des seuls soins. Ce qui suppose de s’intéresser aux conditions de la santé : travail, logement, alimentation… Mais penser une autre organisation du système de soins, c’est un peu obscur pour ceux qui nous dirigent. Alors que faire payer plus, ils savent le faire (ou croient le savoir). Alors ils vont sous le réverbère (mise en place de franchises), là où ils croient avoir de la lumière, plutôt que d’aller vers ce qu’ils connaissent moins.
Paru dans le numéro 39 de Pratiques
Site Internet Pratiques.fr