Il y a quelques semaines, un tribunal de grande instance de Lille accordait l’annulation d’un mariage à la demande d’un conjoint qui estime avoir été trompé sur la marchandise : il pensait avoir une femme vierge et elle ne l’était pas. La décision suscite un débat passionné, que nous allons tenter d’examiner avec un peu de sang-froid.
Dans un pays où il est relativement facile et simple de divorcer, la procédure visant à annuler un mariage est plutôt rare mais elle existe. Le ministère public l’utilise notamment pour annuler des mariages blancs ou des mariages forcés. Des conjoints peuvent également saisir l’article 180 du Code civil s’ils estiment avoir été trompés sur l’une des « qualités essentielles de leur conjoint ». Il arrive par exemple qu’un conjoint l’obtienne parce qu’il a découvert que son partenaire était homosexuel, anciennement prostitué ou impuissant.
En l’occurrence, le mari pensait avoir épousé une femme qui lui « a été présentée comme célibataire et chaste». Il est ingénieur, elle est étudiante, et tout se passait plutôt bien jusqu’à la nuit de noce. Vers 4h du matin, le mari est revenu furieux parmi les derniers convives en parce que le drap n’était pas tâché de sang ! Le père de la mariée s’est senti déshonoré et a donc ramèné la mariée, un peu comme retourne un produit avarié. On imagine ce qu’elle a pu ressentir.
Dès le lendemain, son époux a cherché à faire annuler le mariage. En principe, la difficulté consiste a prouvé qu’on a été induit en erreur sur l’une des qualités essentielles de son conjoint. Ici, la question ne s’est pas posée puisque devant le tribunal, la jeune femme a reconnu avoir eu des relations sexuelles avant le mariage. « La jeune mariée avait caché la vérité, convaincue que son fiancé ne l’aurait jamais épousée s’il avait connu la réalité», note le commentateur de la publication juridique relatant l’affaire.
Au vu du Code, les juges pouvaient difficilement faire autrement que d’accorder l’annulation dans la mesure où la mariée avait menti sur une « qualité essentielle » aux yeux de son mari. C’est d’ailleurs l’argument invoqué par le plaignant : « Je ne peux pas faire une union solide, basée sur un mensonge. » Les juges lui ont donné raison non pas parce que la mariée n’était pas vierge mais en raison de ce mensonge.
Il ne s’agit donc pas d’un accommodement raisonnable, comme on le pratique au Québec, c’est-à-dire une concession au communautariste religieux sous prétexte de tolérance ou du multiculturalisme. Cette affaire est moins troublante en raison du jugement qu’en raison de la nature de la plainte. Car elle révèle au grand public ce que tous les gynécologues et les militants du Planning familial savent : à savoir qu’en 2008, alors que les hommes se vantent volontiers d’être expérimentés, on continue à considérer une femme comme un produit dont la date de validation serait périmée dès lors qu’elle a eu une vie sexuelle et amoureuse avant le mariage. Certaines jeunes femmes vont même jusqu’à débourser 2700 euros pour se faire recoudre l’hymen en cachette. La technique est relativement nouvelle, mais pas la motivation. Cette tradition sexiste consistant à faire peser l’honneur d’une famille entre les cuisses des femmes a une histoire au moins aussi longue que le péché originel. Des grand-mères ayant connu la France des années 50, celle d’avant mai 68 et le mouvement féministe de 70, vous racontent qu’elles étaient surveillées comme le lait sur le feu pour arriver vierges jusqu’au mariage et se marier en blanc.
Aujourd’hui, encore, il existe des mouvements comme « l’Amour vrai attend » qui invite de jeunes chrétiens à rester vierges jusqu’au mariage et même à signer des certificats de virginité par lequel ils s’engagent, je cite, « à rester purs par la grâce de Dieu ». Mais au moins le devoir de chasteté s’applique aux hommes comme aux femmes et les familles ne vont pas frapper aux portes des gynécologues pour exiger des certificats de virginité. En revanche, il existe des catholiques qui demandent l’annulation de leur mariage plutôt que de divorcer lorsqu’ils apprennent que leur conjoint a été déjà marié.
En l’occurrence, ce jeune couple était musulman. Et ne soyons pas hypocrite, les familles qui se préoccupent encore de savoir si la mariée était vierge sont désormais plutôt musulmanes. Mais il ne s’agit pas forcément de familles intégristes. Ce qui est peut-être encore plus consternant. Les jeunes femmes que l’on soumet à ce test de la virginité ont grandi en France, ne porte généralement pas le voile. Elle ne se plie à cette coutume par peur de fâcher leur famille ou d’avoir mauvaise réputation. Cette obsession familiale tient moins à la religion qu’au fait d’avoir émigré après les années 70, de ne pas avoir connu Mai 68, le mouvement de libération des femmes et de vivre dans une image totalement figée des coutumes patriarcales de son pays d’origine. Ce qui est choquant, donc, c’est moins le jugement de Lille que la persistance épuisante de coutumes sexistes. Reste à savoir comment ce jugement sera perçu par toutes celles à qui l’on donne le sentiment que mentir sur sa virginité est une faute, même aux yeux des tribunaux de la République.
Chronique de France culture du 30/05/08 Voir l’enquête réalisée pour Envoyé Spécial (avec Fiammetta Venner et Valérie Lucas) et publiée dans le dernier numéro de la revue ProChoix.