Dans un entretien accordé le 12 juin au journal La Croix (Luc Ferry «La philosophie est très mal enseignée dans nos classes») Luc Ferry, ancien ministre de l’Education nationale, se livre à une démolition en règle de l’enseignement de la philosophie en classes terminales des Lycées – dans les règles d’une rhétorique qui pour être fausse n’en est pas moins vulgaire, c’est-à-dire répandue dans l’opinion.
Les poncifs habituels sont sans vergogne réutilisés avec un aplomb effarant, sans le moindre argument sérieux. « La philosophie est très mal enseignée. La preuve ? Demandez autour de vous, vingt ou trente ans après les gens n’en ont toujours pas la moindre idée » : il suffit de rétablir ici la concordance des temps pour voir le truc, mais plus c’est gros, mieux ça passe ! Poursuivons l’enfilage des perles : l’enseignement de la philo se réduit à un badigeonnage de généralités baptisées « esprit critique » qui aurait « fait hurler de rire Aristote, Spinoza, Kant ou Nietzsche ». Un peu plus loin, après avoir entendu rire les morts et les avoir vus « tomber de leur chaise » (sic), on a droit à une révélation sèche en direct : « La vérité, c’est que la philosophie n’a à peu près aucun rapport avec ce qu’on enseigne en terminale ». N’oublions pas la cerise démagogique sur le gâteau : les fameux écarts de notation au bac dont un rapport « non publié » ferait état ! La conclusion tombe : si l’enseignement de la philosophie se perpétue tel quel, s’il n’est pas accessible à l’idée que L. Ferry se fait de sa « réforme », alors il vaut mieux le remplacer par celui de l’histoire des idées, c’est « une évidence » ! En quelques lignes, Luc Ferry réussit à insulter toute une profession et à réclamer la programmation de sa disparition1 en assénant des « vérités » sorties de son chapeau.
DE QUI PARLE LUC FERRY ?
J’ai récemment rencontré Luc Ferry lors d’un stage académique de formation continue destiné aux mêmes professeurs sur lesquels il s’acharne dans cet entretien. J’ai suivi avec le plus grand intérêt et même avec un plaisir certain son intervention sur les rapports entre le christianisme et la philosophie, j’ai pu apprécier sa grande disponibilité dans la discussion. Répondant à ses collègues du secondaire avec aisance et sans prétention, il s’appliquait à rendre le débat vivant, constructif, instructif, et à traiter chacun sur un pied d’égalité… ce fut un moment très agréable pour tous.
Alors, lisant cet entretien insultant où il accuse les professeurs de dispenser des cours sans contenu, de surfer sur des généralités formelles d’où toute substance est bannie, de s’en tenir à une vague conception de la « réflexion » et de « l’esprit critique » qui n’est bien sûr pas spécifique à la philosophie, je me demande à qui il pense. Sans doute pas à ces professeurs qui, avides de savoir, désireux d’enrichir la matière de leurs leçons, avaient parcouru des distances appréciables pour venir suivre ce stage et l’y rencontrer, avec quelques autres intervenants (dont j’étais) issus de l’enseignement supérieur. Sans doute pas à moi non plus : je ne peux du reste que le remercier d’avoir fait récemment sur LCI un éloge appuyé et très informé de mon dernier livre qu’il a lu attentivement. Sans doute faisons-nous partie de ces « quelques professeurs de talent » dont il est question au début de l’entretien : ceux qui, faisant exception, tels les brillants amis juifs de tout antisémite, viennent confirmer la règle et en l’occurrence accuser la profonde nullité de tous les autres…
Nullité encouragée et même voulue par des programmes dont le défaut principal est qu’ils ne sont pas ceux que Luc Ferry préconisait naguère. Jugez plutôt du vide: ce ne sont que notions abstraites comme « le langage », « le temps », « l’art », « la perception », « la démonstration », « théorie et expérience », « l’Etat », « la justice », « la liberté », « le travail », « le bonheur ». Excusez du peu : on peut difficilement faire plus creux, plus inintéressant.
On s’attendrait à ce que Luc Ferry apporte quelques éléments précis dans cet éreintage des notions. Qu’il explique comment pour travailler par exemple sur la connaissance expérimentale, les professeurs de philosophie s’arrangent sans doute pour la vider de son contenu et pour faire l’impasse sur l’éclosion de la science moderne, sur le passage du monde clos à l’univers infini, ou encore comment il s’arrangent pour éviter de donner des exemples issus de la mécanique classique. Qu’il explique comment, pour travailler sur « le beau »2 et laisser cette notion à son moment vague et imbécile, ils évitent d’exposer la rupture entre la conception objective des classiques et le passage à la notion d’esthétique et à l’anthropologisation du discours sur l’art via une théorie du jugement, ou encore comment on peut éviter d’expliquer la distinction entre « les beaux-arts » et « les arts du beau ». Qu’il dise comment, pour travailler sur la notion de droit et de loi juridique, on devrait s’interdire d’aborder les conceptions contractualistes des théories politiques classiques. En bref, qu’il dise comment il est possible de faire de la philosophie en la vidant de ses contenus et de son histoire. Comme si les professeurs de philosophie n’avaient jamais reçu de formation, comme s’ils n’avaient jamais suivi un enseignement universitaire de niveau bac+4 et pour la plupart bac+5, comme si nombre d’entre eux n’étaient pas, eux aussi, titulaires d’un doctorat !
Non, le seul élément précis apporté à cette critique du programme par notions (n’oublions pas que ce programme comporte aussi une partie explicitement consacrée à l’histoire de la philosophie sous forme d’étude suivie de textes) est hautement discutable. Prétendre qu’il est issu d’une tradition scolastique de mise sous tutelle de la pensée philosophique, c’est négliger le contenu même de cet enseignement, qui s’autorise entre autres d’une forte tradition cartésienne étayée sur l’ordre des raisons et relayée par une conception bachelardienne de l’erreur et de l’obstacle. C’est en outre proposer une très partielle vision de l’histoire de la philosophie qui a rencontré les « notions » sous d’autres formes que celles d’une scolastique sans contenu – car de quoi parlent les dialogues de Platon, sinon de « notions »? Et du reste c’est faire bon marché, à parler ainsi de « scolastique » sur un ton entendu et méprisant, d’une grande tradition qui aujourd’hui encore est susceptible de fournir quelque aliment de choix à la pensée.
De qui parle donc Luc Ferry ? De quel enseignement secondaire a-t-il lui-même une expérience directe et prolongée, autre que les rapports de seconde main (de préférence « non publiés » – ça impressionne davantage) ? Quelles classes a-t-il visitées pour tenir des propos aussi désinvoltes ? Quelle idée se fait-il lui-même de ce qu’on nomme improprement un « cours » de philosophie, idée autre que la pure et simple rumeur dont tout philosophe devrait se méfier par principe ?
Et qui suis-je pour m’indigner ainsi contre un ancien ministre, qui de plus est mon collègue, et pour lequel j’ai, je l’avoue, de l’estime et de la sympathie ? Ayant pratiqué 22 ans l’enseignement de la philosophie en Lycée avant de passer dans l’enseignement supérieur, ayant siégé durant toutes ces années aux jurys de bac, ayant présidé fort souvent les commissions d’harmonisation que Luc Ferry balaie d’un revers de main3, ayant exercé la fonction de conseiller pédagogique, ayant enseigné ensuite la préparation des concours, ayant siégé au jury du CAPES, étant constamment restée en contact avec la réalité des classes du secondaire après l’avoir quitté, je me sens largement aussi légitime que Luc Ferry pour parler de ces choses et remettre quelques pendules à l’heure.
QU’EST-CE QU’UNE LEÇON DE PHILOSOPHIE ? COURS OU LEÇON ?
Il semble bien que, fort de la profonde méconnaissance du réel des classes de philosophie, méconnaissance qui s’étale outrageusement dans cet entretien expéditif, Luc Ferry s’ingénie ici à confondre deux notions que pourtant il connaît parfaitement. En effet, si les professeurs de philosophie peuvent légitimement être accusés de ne pas faire de cours à proprement parler, c’est qu’ils s’efforcent de faire des leçons4.
Une leçon, c’est un mini-itinéraire intellectuel éclairé par les meilleures sources – que chacun choisit en fonction de sa propre capacité à les utiliser et du degré d’avancement des élèves – itinéraire à l’issue duquel on sort instruit (et non pas seulement plus informé), en état de porter un jugement sur une série de questions. L’instruction vaut pour le maître comme pour l’élève: on ne peut pas parcourir le chemin sans se ré-instruire soi-même, car il n’y a pas de leçon sans un moment d’égarement et d’opacité. Il faut ressusciter les obstacles et repasser par le faux, par le moment d’opinion, pour que le moment d’éclairage soit aussi celui d’une réforme intellectuelle. Car on ne peut rien comprendre à quoi que ce soit si on n’a pas compris pourquoi on n’avait pas compris, et donc il faut commencer par se tromper, par penser de travers : c’est vrai de toute discipline, et la philosophie ne fait pas exception, elle est même éminemment concernée par ce parcours dialectique qu’elle a pour tâche non seulement d’appliquer, mais de rendre explicite.
Toute leçon est polémique et si on n’est pas capable de réeffectuer la polémique en soi-même, de redevenir soi-même, le temps d’une leçon, l’homme du préjugé et de l’erreur qui s’oppose à lui-même en s’instruisant, la leçon devient un cours, un exposé, un article de dictionnaire, une galerie qu’on visite de l’extérieur. Exposer des concepts philosophiques en se contentant de les définir tranquillement, de les raconter et de les situer dans leur histoire, c’est faire défiler devant quelqu’un des outils dont il n’a même pas l’idée de l’usage qu’on peut en faire.
MAIS PRENONS UN EXEMPLE, DE PRÉFÉRENCE DIFFICILE.
Pourquoi Kant a-t-il inventé les concepts de « jugement synthétique a priori » et de « physique pure »? A quoi ça sert ? C’est une question technique, qu’un dictionnaire spécialisé pourra définir. Mais tant qu’on n’aura pas réeffectué, à partir de questions ordinaires, le parcours qui rend intelligible et nécessaire cette technicité, tant qu’on n’aura pas compris en l’effectuant soi-même la question que ce concept tente de résoudre, on n’aura pas fait de philosophie : on n’aura fait que de l’histoire extérieure des concepts philosophiques, on sera dans la situation d’un promeneur à qui l’on présente les outils les plus sophisitiqués de l’alpiniste et qui ne soupçonnera même pas comment on les met en oeuvre.
Alors il faut transformer le promeneur en alpiniste et lui faire faire un petit bout d’escalade ; il faut transformer le penseur ordinaire qui se dit « le jugement synthétique a priori et la physique pure sont des acrobaties techniques dont je n’ai que faire, c’est juste bon à faire une fiche pour passer l’examen » en l’amenant au comble de la pensée, qui lui fera voir que, oui, il est concerné par cette affaire, tous les jours. Alors il faut passer par les affres de la pensée, monter « le chemin rude et escarpé » dont parle Socrate dans La République. En l’occurrence expliquer par exemple que, si je ne trouve pas mes clés et que je dis qu’elles ont disparu, je suis pourtant sûre qu’elles ne peuvent pas avoir totalement disparu, qu’elles n’ont pas été annihilées. Je dis qu’elles ont disparu, mais je ne le pense pas. Je pense qu’il s’est nécessairement produit quelque chose qui a fait qu’elles étaient tout à l’heure sur la table et qu’elles sont maintenant ailleurs ; que cette relation entre tout à l’heure et maintenant, on peut l’appeler causalité, et que cette relation, je la tiens pour certaine en elle-même, je la tiens pour certaine a priori : elle pourrait bien structurer mon expérience et rendre toutes les autres expériences possibles. A présent, une grande partie de l’ascension est faite ; nous commençons à voir à quoi sert l’outillage technique : c’est de ce genre de certitude que Kant essaie de rendre compte en inventant ce monstre logique qu’est un « jugement synthétique a priori » et cette oxymorique « physique pure », et en supposant qu’il existe une forme de l’expérience qui n’est pas strictement empirique. Mais a-t-il raison d’inventer ces monstres ? Il a eu raison de montrer qu’il y avait là une montagne à soulever, ou à gravir : d’autres l’ont vu avant lui, mais pas de façon aussi précise, et il a eu le mérite de trouver une voie que personne n’avait décelée.
Voilà un exemple d’une des manières par lesquelles ce mot creux, très général et abstrait que l’on nomme « expérience » peut s’éclairer : douloureusement, polémiquement, somptueusement… et de façon critique, ce qui est aux antipodes d’un vague « esprit critique » qui ne réclame aucun effort et qui conséquemment ne donne aucune satisfaction. Voilà comment l’histoire de la pensée (« Kant lecteur de Hume ») elle-même s’anime parce qu’on peut, en un sens, la revivre de manière fictive et concentrée dans une leçon.
QUESTION DE COURS OU DISSERTATION ?
Mais ce verbiage creux (par exemple et entre autres : « l’expérience », « le désir », « le droit », etc.) que Luc Ferry dénonce dans le libellé du programme de philosophie, n’est-ce pas, mutatis mutandis, celui qu’affrontait Socrate jadis sur l’agora, n’est-ce pas celui qu’abordent les dîners en ville ? Contrairement à ce qu’affirme Luc Ferry, ce verbiage notionnel n’est pas « analysé » en classe comme s’il était argent comptant ! Il est une matière à partir de laquelle et souvent contre laquelle il est urgent de produire de la pensée, en dehors de laquelle la pensée n’est qu’un exercice d’école séparé de ce à quoi elle se frotte. Inversement, une pure et simple histoire des idées avec questions de cours sur les « grandes visions du monde » se présente comme argent comptant offert à l’analyse directe, la pensée y étant abordée sous la forme d’une succession de données et de faits ! Pour l’animer, il faut encore qu’elle soit effectuée et questionnée philosophiquement.
En effet, à quoi bon des questions formatées où l’on reconnaît immédiatement les cours du professeur ? La différence entre une question de cours et une dissertation philosophique tient notamment à cela : le sujet de dissertation, présenté sous le régime de l’opinion, sous celui de l’agora ou du dîner en ville, réclame qu’on le reconvertisse, par une démarche expresse et raisonnée, en quelque question saisissable par le concept.
A quoi bon demander à un étudiant ou à un élève de se borner à donner la définition du jugement synthétique a priori en le situant dans un temps forcément révolu ? Il sera plus difficile, mais plus judicieux de lui demander « Sur quoi nous fondons-nous pour penser que la nature obéit à des lois ? ». A quoi bon interroger un élève sur « les conceptions de l’erreur » ? Il sera plus difficile, mais infiniment plus enrichissant pour sa propre pensée de lui soumettre le dicton « L’erreur est humaine ». A quoi bon l’interroger sur « la théorie classique de la liberté » s’il n’est pas en état de faire face à une question du genre: « Peut-on obéir sans cesser d’être libre » ?
Si, dans une situation réelle, complexe, livrée à la fluctuation de l’opinion et au poids des idées toutes faites, on n’est pas capable de reconnaître une question classique, d’utiliser à cet effet l’enseignement qu’on a reçu, cet enseignement reste extérieur et livresque. C’est comme si, ayant appris la multiplication, on était incapable de discerner dans quels cas il faut y recourir. La dissertation est à l’exercice des concepts ce que le problème d’arithmétique est à l’exercice des opérations : tous deux sont, à des degrés divers et sur des sujets différents, des exercices du jugement. Un élève qui a suivi le cours le plus savant sur les théories de la propriété et qui se trouve démuni pour décortiquer et pressurer la fameuse expression « Ceci est à moi », qui se contentera de dire « Rousseau a écrit cela dans un de ses Discours en 1755, et d’ailleurs la propriété c’est la source de bien des maux », a peut-être été informé : il n’a pas été instruit et mis en état de juger. Il ne s’interrogera pas sur le rapport reliant le « ceci » et le « moi » dans l’acte d’appropriation, il n’apercevra pas la différence entre possession et propriété, il ne verra pas en quoi le rapport de propriété entre un « ceci » et un « moi » suppose un type de rapport entre les « moi » ; il ne comprendra pas pourquoi la propriété est génératrice de droit, il ne comprendra pas en quoi le moment marchand est à la fois une dégradation et une élévation (où l’on retrouve Rousseau).
Voilà ce que s’efforcent de faire les professeurs de philosophie dans leurs classes, voilà à quoi ils tentent d’exercer leurs élèves. C’est vrai, ils ne leur « parlent pas de » Rousseau : ils ont l’outrecuidance de penser que de jeunes adultes sont capables de réeffectuer pour eux-mêmes, partiellement mais sérieusement, quelques segments de son itinéraire intellectuel et que c’est à ce prix qu’ils sauront tracer le leur.
UN SAVOIR SANS REMÈDE
A lire ce calamiteux entretien, ce serait tellement mieux si, au lieu de s’emparer de la pensée en s’éclairant de son histoire pour l’appliquer à des situations difficiles parce qu’elles sont réelles, ici et maintenant, on en faisait défiler la fresque sous les yeux des lycéens, si on se contentait de leur dire « les uns ont pensé ci, les autres ont pensé ça.. , les Anciens croyaient que la Terre est au centre du monde, mais ça a bien changé depuis et ça changera encore… « . Comme le fait remarquer Alain dans un de ses Propos sur l’éducation, « ce genre de savoir est sans remède ».
Ce serait tellement mieux si on regardait Platon, Aristote, Descartes, Rousseau, Kant, Hegel, Marx, Nietzsche, Freud, Bachelard, Husserl, Sartre, Arendt, Foucault et quelques autres5 comme des curiosités défilant dans la vitrine de l’histoire des idées, comme s’ils étaient au zoo du côté des bêtes. Ainsi chaque lycéen, fort de sa visite dans l’exotique et tellement fun « monde de Sophie », pourra ensuite en revenir, car n’est-ce pas on en revient, comme on revient d’un jeu vidéo. Plus exactement, il en reviendra comme le badaud revient d’un sommet où l’aura hissé un téléphérique panoramique. Ebahi, mais nullement transformé ni aguerri par l’ascension, il aura même peut-être le culot de considérer le pauvre alpiniste comme un demeuré : à quoi bon transpirer pour faire cela soi-même ? Installé dans l’idée que tout cela est historique et révolu, il n’y verra qu’un objet de contemplation, un album de souvenirs que l’on peut reléguer dans un coin. Bien sûr, la pensée en acte ne sera pas vraiment bannie (on n’est pas aussi brutal..), mais elle sera mise en scène et assignée à une place anecdotique : une bulle sommitale dans laquelle il est bon de faire quelque incursion lorsqu’on est jeune, sous la houlette d’un guide qui prendra soin d’en signaler l’extériorité en vous épargnant les aspérités – attention, restez sur le bord, ne vous mouillez pas, il suffit d’en faire le tour.
J’accorde que ce sera sans doute commode pour briller dans les dîners en ville, où les grandes fresques brossées par une prétendue expertise revenue de tout et habituée aux tours de passe-passe sont fort prisées : cela ne demande aucun effort de retour sur soi. Il est vrai que se prendre de passion pour la pensée exposée aux aléas de la place publique, il est vrai que croire qu’on peut l’exercer dans les lieux où en principe elle est suspecte, c’est se rendre toujours un peu ridicule. Mais on peut préférer le ridicule à un savoir sans remède et, comme le Cripure de Louis Guilloux6, devant des propos globalement insultants, se soulager avec une « gifle globale ».
© Catherine Kintzler, 2008
- Luc Ferry a remis le couvert sur LCI le 27 juin, en servant un plat moins assaisonné d’insultes puisqu’il ne s’en est pris qu’aux seuls programmes. Je parle ici de disparition, car les professeurs de philosophie ne sont pas plus aptes que d’autres (historiens, littéraires, sociologues…) à enseigner l’histoire des idées : on ne voit pas pourquoi un tel enseignement leur serait réservé. [↩]
- Notion citée par L. Ferry, mais qui n’est pas explicitement au programme. Mais ce dernier n’empêche aucun professeur, en étudiant « l’art », d’aborder la question du beau. [↩]
- Précisons que les correcteurs du bac en philosophie sont astreints à deux séances d’harmonisation des notes, l’une (dite « d’entente ») en début de prise en charge des copies, l’autre juste avant l’attribution des notes pour communication aux jurys. [↩]
- On relira à ce sujet le texte de Jacques Muglioni « La leçon de philosophie », accessible en ligne sur le site de l’Académie de Versailles www.philosophie.ac-versailles.fr/bibliotheque/pub.lec.phi.BL1.pdf (repris dans Jacques Muglioni L’Ecole ou le loisir de penser, Paris : CNDP, 1993). [↩]
- Auteurs tirés de la liste du programme officiel consultable sur le site du Ministère de l’ENwww.education.gouv.fr/bo/2003/25/MENE0301199A.htm On remarquera que, contrairement à ce que prétend la rumeur selon laquelle l’histoire de la philosophie dans l’enseignement secondaire s’arrêterait à Hegel, les auteurs de la fin du XIXe et du XXe siècle y figurent en assez grand nombre. [↩]
- Louis Guilloux, Le Sang noir, Paris : Gallimard, 1re éd. 1935. [↩]