Le gouvernement laisse entendre que des amendements sont envisagés en faveur des retraites des femmes. Quels que soient ces amendements, ils ne sauraient être suffisants pour rendre le projet acceptable pour les femmes, tant que la réforme continue de reposer sur les mêmes fondamentaux, à savoir le recul des bornes d’âge de 60 et 65 ans à 62 et 67 ans et l’allongement confirmé de la durée de cotisation. Ce sont en effet ces mesures qui font que le financement de la réforme repose quasi exclusivement sur les salarié-es, les catégories modestes, et plus particulièrement les femmes, sans toucher aux privilèges des riches et des acteurs de la finance.
Ce point étant rappelé, il est tout de même utile de commenter certaines propositions qui sont mises sur la place publique. Notamment la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) vient de faire connaître les propositions qu’elle souhaite voir examiner dans le cadre de la réforme en cours (http://www.halde.fr/Femmes-discriminees-dans-le,13814.html). Il faut saluer cette démarche qui attire l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de corriger les inégalités entre hommes et femmes à la fois dans l’emploi et dans la retraite. Mais les mesures proposées, même si elles représentent un petit pas en avant, ne sont pas à la hauteur de l’ampleur et de la persistance des inégalités à combattre, comme on va le voir.
Quant au gouvernement, on entend Eric Woerth répéter en boucle que la vraie question avec les retraites des femmes n’est pas « celle de la durée de cotisation ou de l’âge de départ mais celle de la différence de salaires ». C’est faux, les inégalités de salaire (plaisamment nommées « différences » par le ministre) ne sont qu’une des causes des inégalités de pension, les autres causes principales étant liées à l’emploi à temps partiel et aux carrières plus courtes des femmes, même si M. Woerth continue de mentir en le niant. Sans oublier le fait que les inégalités dans la retraite ne se manifestent pas simplement par des pensions plus faibles pour les femmes, mais aussi par un âge de départ plus tardif, puisque de nombreuses femmes sont obligées d’attendre leur retraite jusqu’à 65 ans pour ne pas subir la décote.
Dans ce qui suit, on examine les propositions ou amendements qui sont envisagés ou mises en discussion. On propose aussi quelques mesures, non exhaustives et à débattre, qui devraient figurer dans un projet alternatif et progressiste de réforme des retraites, pour combattre concrètement les inégalités entre femmes et hommes.
Sur la question de l’égalité salariale
On sait depuis longtemps que rien n’avancera tant qu’il n’y aura pas de pénalisation financière des entreprises qui ne mettent pas en oeuvre l’égalité professionnelle. Or il y a bien dans le projet de loi (article 31), comme également dans les préconisations de la Halde, une mesure prévoyant la pénalisation des entreprises, mais elle ne répond que très insuffisamment au besoin, puisqu’elle ne concerne que l’absence d’« accord relatif à l’égalité professionnelle » ou l’absence de « plan d’actions ». Après presque trente ans de lois qui n’ont eu aucun effet décisif sur l’égalité salariale, il serait temps de comprendre qu’il y a une différence majeure entre élaborer un plan pour l’égalité et le réaliser ! Il est donc urgent d’instaurer une pénalisation pour l’absence de résultats en la matière. En outre, on s’interroge sur ce que peut valoir une pénalité dont il est bien précisé dans le projet de loi que son montant est fixé au maximum à 1% des rémunérations de l’entreprise. C’est évidemment un plancher de pénalité qui doit être fixé pour être efficace, et il faut en outre une garantie de mise en œuvre.
Une proposition importante de la Halde est passée presque inaperçue, c’est celle d’un « dégagement annuel obligatoire d’enveloppes financières permettant d’assurer les rattrapages ». Cette mesure est une formulation modérée (politiquement correcte ?) d’une revendication avancée par Attac, le CNDF, Solidaires, etc., celle d’un indispensable rattrapage des salaires des femmes au titre de la réparation des inégalités subies. Il faudrait
simplement en préciser un peu mieux le contenu, et planifier le dégagement obligatoire de moyens financiers pour assurer le rattrapage des salaires des femmes dans un laps de temps déterminé, par exemple cinq ans.
Propositions :
– Pénalisation financière des employeurs pour absence de plans pour l’égalité professionnelle ou de résultats en matière d’égalité professionnelle.
– Instauration d’un minimum pour la pénalisation financière des entreprises à 1% des rémunérations.
– Planification du rattrapage intégral des salaires des femmes dans un délai de cinq ans.
Sur la question du temps partiel
Impact du temps partiel sur le montant de la pension
On sait que le temps partiel, qui concerne un tiers des femmes, est très pénalisant pour le montant de la pension, puisque celle-ci est calculée sur la base des salaires perçus, c’est à dire des salaires partiels. Le ministre du travail a beau occulter systématiquement cette question, elle est au cœur des inégalités. Une disposition avait été intégrée dans la loi de 2003 : la possibilité était ouverte aux personnes à temps partiel de cotiser sur la base d’un temps plein pour permettre une prise en compte du salaire complet dans le calcul de la pension. Mais bien sûr, cette possibilité est très peu utilisée, ce qui se comprend puisqu’elle représente un surcoût
important pour des salarié-es qui touchent déjà de faibles salaires (les emplois à temps partiels sont prépondérants dans les emplois rémunérés au SMIC). La Halde propose de faire participer l’employeur à cette sur cotisation sur la base d’un temps complet. Pour être efficace, cette mesure doit concerner la prise en charge totale de cette sur cotisation par l’employeur. Cela se justifie car le travail à temps partiel, très souvent imposé par les employeurs, leur est très bénéfique : il leur permet d’ajuster la présence de la main d’oeuvre aux fluctuations de l’activité (par exemple dans la grande distribution ou le commerce) ou aux besoins des donneurs d’ordre (par exemple dans le secteur du nettoyage en entreprise) et de ne pas la payer le reste du temps. De plus, la productivité horaire du travail à temps partiel est supérieure à celle du temps plein, ce qui est approprié en totalité par l’entreprise. Cette mesure permettrait donc d’annuler l’effet de pénalisation du temps partiel sur le montant des pensions.
Impact du temps partiel sur la durée validée
Dans le régime général, la validation (ou non) des trimestres travaillés à temps partiel dépend en réalité de la rémunération perçue : une rémunération égale à 200 heures payées au SMIC donne droit à un trimestre validé, ce qui correspond, en gros, à un temps partiel supérieur ou égal à 40% de temps plein (soit 15,3 heures par semaine). Cela signifie par exemple qu’une salariée au SMIC à mi-temps sur une année validera bien une année. Mais les salarié-es au SMIC avec un contrat de temps partiel inférieur à 15 heures par semaine n’auront pas de trimestre validé. Or il y a près de 5% de l’ensemble des femmes actives occupées qui sont concernées par ces emplois, ce qui correspond à 545 000 femmes, et dans leur quasi-totalité, elles souhaiteraient évidemment travailler plus : or elles cotisent sur leur faible salaire sans aucune contrepartie, ce qui est d’autant plus injuste et doit être corrigé. Cela pourrait se faire par exemple en abaissant la limite des 200 heures par trimestre à 156 heures (ce qui correspond à 12 heures par semaine) pour valider un trimestre, et en interdisant en parallèle
aux entreprises tout contrat de temps partiel inférieur à cette durée.
D’une manière générale, toutes les personnes salariées dans une entreprise devraient avoir la possibilité de passer à temps complet.
Propositions :
– Possibilité de passer à temps complet pour toute personne travaillant à temps partiel dans une entreprise.
– Abaissement de la limite de 200 heures au SMIC pour valider un trimestre à 156 heures. Interdiction aux entreprises de proposer des contrats à temps partiel inférieurs à 12 heures par semaine. Ou toute autre proposition agissant dans le même sens.
Sur le calcul du montant de la pension
Depuis la loi de 1993, le montant de la pension dans le régime général est calculé sur la base des 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures années précédemment. Cette disposition a fortement pénalisé les femmes, puisque leurs carrières sont plus courtes et que l’élargissement de la période prise en compte oblige à intégrer dans le calcul une part supérieure de « mauvaises années ». La proposition doit être, avant tout, de revenir au calcul sur les 10 meilleures années. Mais il faut en plus, et quel que soit le nombre des meilleures années retenues (25 actuellement ou retour à 10) adapter ce nombre d’années au pro rata du nombre
d’années d’activité réalisée.
Exemple : prenons le cas actuel avec un calcul fait sur les 25 meilleures années, et l’hypothèse d’une durée exigée de cotisation de 40 ans : alors pour une personne n’ayant que 20 annuités validées, soit la moitié de la carrière complète, le calcul du montant de la pension devrait ne prendre en compte que la moitié de 25, soit les 12 meilleures années.
La Halde a une proposition différente : prendre en compte les 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années. Ce qui va dans le bon sens, mais ne corrige que très partiellement l’injustice du calcul.
Proposition
Proratisation du nombre des meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension, en fonction du nombre d’annuités de la carrière réalisée par rapport au nombre d’annuités de la carrière complète (cf. l’exemple ci-dessus)
Sur les âges de départ
Le recul de 65 à 67 ans de l’âge du taux plein toucherait plus fortement les femmes, c’est un fait maintenant largement connu. Certaines propositions suggèrent de maintenir à 65 ans cet âge pour les mères de trois enfants (proposition d’élues UMP), ou bien pour les personnes ayant pris un congé parental ou s’étant interrompues pour soigner un parent dépendant (proposition de la Halde).
La première proposition n’est pas acceptable, car il n’y a aucune raison de distinguer les mères de trois enfants des autres femmes : les carrières trop courtes des femmes sont le résultat de l’idéologie patriarcale, et elles les pénalisent quel que soit le nombre d’enfants.
La seconde est plus pertinente, car elle fait le lien avec les interruptions de carrière des femmes comme des hommes, mais elle élimine les personnes ayant des carrières trop courtes pas forcément en raison d’interruptions liées aux enfants, mais simplement en raison du chômage et de la précarité. De ce point de vue, la mesure la plus juste consiste à supprimer la décote : la pension est déjà amputée en cas de carrière incomplète, puisque calculée au prorata de la carrière. La décote est une double pénalisation sur la pension, puisqu’elle y superpose un nouvel abaissement (5% par annuité manquante, plafonnée à 5 ans). D’ailleurs la France est
un des rares pays à avoir un tel système de décote.
Propositions :
– suppression du système de décote, doublement pénalisant pour les carrières courtes.
Sur les dispositifs familiaux
Actuellement, les bonifications accordées parents pour avoir élevé 3 enfants ou plus rapportent deux fois plus aux hommes qu’aux femmes, alors que ce sont les femmes qui sont en grande majorité pénalisées par l’éducation des enfants. Cela vient du fait que ces bonifications sont calculées en proportion du salaire (10%).
Propositions :
– Répartition plus juste des bonifications pour enfants : par exemple, au forfait.
– Remplacement des mesures du type de l’allocation parentale d’éducation par une mesure égalitaire de congé parental, c’est à dire destiné à être pris par les deux parents ou ne bénéficiant à aucun.
Sur l’emploi des femmes
Simplement pour mémoire, il ne faut pas oublier tout ce qui concerne l’amélioration de l’emploi des femmes, propositions développées par ailleurs1.
En conclusion
Malgré le refus majoritaire des Français et des Françaises, le gouvernement persiste dans son projet de réforme, en répétant qu’il est nécessaire et conforme à l’intérêt général, ce qui ne convainc plus grand monde. L’énormité des injustices subies par les femmes est telle que cette question a maintenant sa place dans les médias, suffisamment en tout cas pour obliger le gouvernement à annoncer quelques mesures sur la question. Mais les femmes ne se laisseront jamais berner par quelques amendements épinglés sur un fond de mensonges, d’hypocrisie et d’injustice. Ce sont les fondamentaux du projet qui le définissent, et aucune mesure à la marge n’achètera le soutien des femmes.
le 24 septembre 2010
- voir http://www.france.attac.org/spip.php?article11174 [↩]