Tout a officiellement commencé le 14 avril lorsque des élèves et des parents de l’établissement scolaire catholique Gerson, situé dans le 16e arrondissement de Paris non loin de la Tour Eiffel, ont dénoncé sur l’antenne d’Europe 1 les dérives sectaires de leur établissement. Sont alors révélées les interventions d’Alliance Vita, association anti-avortement liée à la « Manif pour tous » contre le droit au mariage homosexuel. Les élèves racontent notamment comment les cours de catéchèse sont l’occasion pour Alliance Vita de déclarer qu’une fille prenant la pilule du lendemain serait une « semi meurtrière » tandis que celle qui avorte commettrait « un homicide volontaire ». Parents et élèves font état du traumatisme de plusieurs élèves ayant subi la violence moralisatrice de ces prétendus éducateurs.
De son côté, la Direction du Diocèse a admis que des propos « mal adaptés » ayant « choqué » ont été tenus lors de cours de catéchèse.
Aussi effarantes soient-elles, ces révélations ne sont que la partie visible d’une offensive intégriste cohérente dans ce gros établissement scolaire sous contrat avec l’État qui comporte une école maternelle et primaire, un collège et un lycée. Dans la foulée de ces premières déclarations, des membres du personnel, soutenus par la CFDT de l’enseignement privé, ont révélé l’implantation récente de l’Opus Dei parmi les enseignants et même au sein des responsables de Gerson. Ils décrivent l’atmosphère d’intimidation qui s’en est suivie. « Il y a une ambiance de flics, a témoigné un enseignant à l’AFP. On est surveillés dans la salle des profs, pendant les intercours et ceux qui remettent en question ce qui se passe sont des ‘rouges’ ».
Et, comme tout se tient, on découvre aussi le projet d’ensemble, aux frais du contribuable, de la nouvelle direction de l’établissement: faire évoluer Gerson, ordinairement moins homogène que les autres lycées privés du 16e arrondissement de Paris, dans un sens intégriste. On ne veut plus « ni d’enfants issus de familles recomposées, ni de parents séparés ou de familles monoparentales, ni de Juifs », a expliqué la FEP-CFDT à l’AFP. Et il serait désormais réclamé aux familles des certificats de baptême afin de sélectionner selon des critères religieux, commodément et sans risque d’erreur.
Peut-on accepter qu’un établissement scolaire demeure hors la loi ? La loi Debré de 1959 prévoit que l’établissement scolaire sous contrat avec l’État doit garantir « le respect total de la liberté de conscience (et que) tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances, y ont accès. » Au vu de ce qui semble se passer à l’école Gerson, on est loin du compte.
Le scandale est tel que Benoît Hamon a diligenté une mission d’inspection générale pour faire la lumière sur cette affaire. Espérons que les Français connaîtront bientôt les conclusions de cette enquête et les décisions que prendra le ministère. En aucun cas, les établissements scolaires ne devraient ressembler à des centres d’endoctrinement entre les mains de prosélytes. Ils ne doivent pas davantage devenir pour leurs salariés des lieux où le droit du travail est bafoué. Les syndicats continueront à soutenir les personnels victimes de pressions et de harcèlement pour les faire taire ou partir, au mépris de leurs droits et de leur santé.
Mais jusqu’où le ministère peut-il aller pour empêcher le prosélytisme dans les établissements scolaires privés, légalement reconnus dans leur « caractère propre » ? Seuls les établissement publics sont aujourd’hui concernés par la nouvelle charte de la laïcité à l’école. Il est à craindre que cette affaire confirme que la loi Debré protège médiocrement des dérives intégristes et que les laïques ont raison de contester le financement public des établissements scolaires à caractère confessionnel.
Il serait surtout illusoire de croire que la tentation obscurantiste sera durablement minoritaire à l’école privée. L’affaire de l’école Gerson s’inscrit dans un contexte de crise sociale et morale et de montée de l’extrême droite. Elle fait suite aux manifestations massives de l’an dernier contre le droit au mariage homosexuel organisées par la droite et la hiérarchie de l’Église catholique. Lors de cette mobilisation réactionnaire de la « Manif pour tous », la direction de l’enseignement catholique a voulu impliquer directement les établissements scolaires privés, sur le modèle des manifestations de 1984 pour l’école privée. Elle trahissait en cela le projet global d’une prise en mains des écoles privées à un moment où les églises se vident tandis que les écoles catholiques refusent des élèves parce qu’elles sont trop pleines.
Les organisateurs du mouvement réactionnaire contre le mariage homosexuel ont heureusement échoué. Ils n’ont pu établir un rapport de force suffisant pour faire plier la gauche, à l’inverse de ce qui s’était produit en 1984. Le rôle des chrétiens laïques dans cet échec salutaire est encore aujourd’hui sous-estimé. Il en est de même de la résistance qu’au sein de l’école catholique, des enseignants et des familles ont opposée à l’enrôlement politico-religieux des écoles privées et de ses élèves dans la « Manif pour tous».
Ainsi, retrouvons-nous dans la crise qui secoue aujourd’hui au grand jour l’école Gerson les protagonistes qui se sont opposés lors des «Manifs pour tous » et la même volonté des secteurs les plus rétrogrades de l’Église catholique de s’atteler à la « nouvelle évangélisation » des écoles privées.
Mais ne nous y trompons pas. Aujourd’hui, la dénonciation de l’école privée tourne souvent à vide, au point de servir parfois de prétexte pour cacher les dévoiements de l’école publique.
Un management des personnels par la caporalisation, le mépris et le stress, une logique concurrentielle effrénée et un formatage des élèves par l’inculcation des « compétences » s’étendent dangereusement dans les établissements scolaires publics. Cette trahison de l’école républicaine ne peut que conforter l’autoritarisme et l’obscurantisme, qu’on voudrait d’un autre âge, qui cherchent à s’imposer dans les écoles privées.
Il en est de même de l’affaiblissement de la laïcité à l’école publique qui ferait directement le jeu des intégristes à l’école privée. Ainsi, on aurait pu s’attendre à ce que la Ligue de l’enseignement contribue à l’appropriation par les élèves, les personnels et les familles de la nouvelle charte de la laïcité à l’école publique. Au lieu de cela, elle a fait porter sur son blog Mediapart une pétition réclamant l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 qui préserve l’école publique du prosélytisme religieux !
Une école publique qui valorise sans réserve les exigences émancipatrices de la connaissance rationnelle, encourage sans honte au travail scolaire et développe en chaque élève le goût du raisonnement critique est aujourd’hui la meilleure garantie contre les pressions intégristes à l’école privée.