Présentation générale du numéro
L’unité de ce numéro et la complémentarité des rubriques appellent une présentation générale. Nous conserverons, cependant, la distinction de nos rubriques, présentes dans le premier numéro.
Reconquérir les mots
Reconquérir, en permanence, le lexique laïque et républicain est une priorité de notre revue, comme le confirment la pertinence et la diversité des contributions de cette première partie. Grâce au dialogue constant entre les acteurs des associations laïques, les analyses de ces contributeurs se croisent et s’enrichissent mutuellement. Ainsi, la distinction opérée par Thierry Mesny entre liberté de conscience et liberté de culte nous aide, par avance, à mieux lire les contributions suivantes d’Eddy Khaldi ou de Charles Arambourou. De même, les pages de Karan Mersch consacrées au mouvement actuel de régression identitaire, et celles consacrées à l’expression « droit des minorités » nous convient à mieux comprendre l’unité des trois premières interventions de notre dossier consacré à l’ordre public. Les fanatiques, passés et actuels, ne prennent guère le temps de définir les termes qu’ils utilisent. C’est pourquoi ils demeurent dans l’incantation sans jamais parvenir à l’argumentation. Avec Philippe Danino, clarifiant l’idée de problème, cette incantation dogmatique et violente des fanatiques est confrontée aux exigences de la démarche critique et rationnelle. L’auteur nous invite à prendre du recul avec notre usage souvent approximatif du terme enjeu mis à toutes les sauces et trop souvent utilisé pour ne pas parler de ce dont on veut parler. Or sans mots précis, sans problèmes bien formulés, pas de controverse bien menées, comme le prône aussi l’intervention suivante de Samuël Tomei. Or problématiser nous aide à répondre non fanatiquement à tous les fanatismes.
Notre première partie se clôt par la contribution de Nicolas Chouin traitant des ambiguïtés de la notion d’État. En analysant finement la notion d’intérêt général cœur de la vertu républicaine, l’auteur engage un dialogue avec tous les contributeurs du dossier. Pas d’ordre public crédible sans une République exemplaire et des citoyens vertueux chérissant le Bien public.
Notre dossier sur l’ordre public
Là encore unité ! Les trois premières contributions sont d’ordre historique et philosophique. Avec Samuël Tomei, lecteur attentif de Castellion, l’adversaire de Calvin, puis avec le texte sur la lutte contre le fanatisme religieux durant le siècle des Lumières et enfin celui de Jean-Michel Muglioni sur l’ordre chez Alain, les mises en garde se multiplient : l’ordre est une notion qui ne va pas de soi. En effet, le maintien de l’ordre public peut ne pas être toujours au service de l’intérêt général et du peuple souverain. Sa promotion mal menée pourrait même engendrer des troubles. « Rétablir l’ordre public », soit, mais quel ordre ? Et au service de qui ? Telles sont les questions auxquelles se consacrent Charles Arambourou, André Bellon et Eddy Khaldi. Il s’agit de ne pas produire un nouveau désordre en voulant « maintenir » ou encore « rétablir » l’ordre public. Dès la première partie, Jean-Michel Muglioni, en fin lecteur du philosophe Alain nous avertissait déjà : attention à ne pas sacraliser l’ordre car cela pourrait en retour sacraliser le désordre, que l’on serait tenté d’opposer à un ordre public jugé trompeur. En effet précise Charles Arambourou, un ordre moral imposé au service des inégalités socioéconomiques a su manipuler la notion floue d’ordre public. Mais, notait déjà Tocqueville une société apparemment tranquille est-elle pour autant en paix si les injustices demeurent, comme le note aussi Sébastien Delarose ? Sachons obéir sans approuver, sans se conformer ou se soumettre. C’est toute une culture de la résistance et de la vigilance que prônent Sébastien Delarose, Pierre Outteryck et Hélène Franco dans leurs interventions respectives. Ces témoignages, fondés sur des pratiques associatives et institutionnelles, se retrouvent dans le texte des membres courageux du collectif Police, République et Citoyenneté. Dans tout notre dossier, un questionnement se fait jour : à quelles conditions l’ordre public pourrait-il être républicain ? Pour leur part, les militants laïques et républicains, notamment au sein de l’UFAL, répondent en apportant leur pierre à l’édifice et en se battant pour la justice sociale qui assure un lien entre l’ordre public et l’ordre républicain, notamment par la défense des services publics.
La bibliothèque du républicain
Ce numéro se complète par des extraits d’œuvres et par deux documents importants. Des extraits de Castellion, Voltaire ou encore Alain prolongent certaines contributions de notre dossier. Les deux documents conclusifs aimantent tout ce numéro de Cause républicaine au point que le lecteur… pourrait commencer par eux. En effet, dès le 15 mars 1944, les patriotes républicains au sein du Conseil national de la Résistance mirent en avant une priorité absolue : « Instaurer un ordre social plus juste. » Judicieusement, Hélène Franco dans son intervention actualise cette intention quand elle écrit : « le désordre naît de l’injustice » et de nous appeler à « travailler au rétablissement de l’ordre par la justice. » Pour la justice, par la justice, la leçon est claire et nous concerne. Ainsi, la défense de l’ordre public passe par la réaffirmation de la liberté de penser (Thierry Mesny), du principe de laïcité notamment à l’école (Eddy Khaldi), par le respect de la dignité des personnes et de l’égalité de tous devant la loi (Charles Arambourou, Sébastien Delarose). Un fil rouge dans toute cette argumentation : respecter la souveraineté du peuple (André Bellon). C’est dire aussi toute l’importance du dernier document de cette troisième partie rendant compte de l’initiative des États généraux de la Renaissance française qui se sont tenus, symboliquement, du 10 au 14 juillet 1945. C’est suggérer que la définition et la réalisation d’un ordre public, soucieuses d’être elles-mêmes républicaines, se doivent d’associer tous les citoyens dans un processus continu d’émancipation éclairée qui, sur le plan historique, porte le nom de la Libération. Qui ne sent toute l’actualité de cette ferveur républicaine nous encourageant dans nos démarches, notamment associatives, pour que vive la Cause républicaine, laïque et sociale et donc aussi humaniste, universaliste et fraternelle ?
Les auteurs
- Charles Arambourou, militant laïque, professeur puis haut-fonctionnaire, membre du Bureau national de l’UFAL.
- André Bellon, ancien président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, président de l’Association pour une Constituante.
- Nicolas Chouin, œuvre au sein de l’encadrement supérieur de la fonction publique. Il est également chargé de cours à l’Université Paris 1 Sorbonne.
- Charles Coutel, professeur des Universités, membre du Conseil d’administration de l’UFAL.
- Philippe Danino, agrégé, docteur en philosophie, membre associé du Centre d’Histoire des Philosophies Modernes de la Sorbonne (Université de Paris 1) ; ses travaux portent en particulier sur Spinoza, auteur auquel il a consacré un ouvrage : Le meilleur ou le vrai. Spinoza et l’idée de philosophie (publications de la Sorbonne, 2014), ainsi que sur l’idée de problème, avec la publication de Philosophie du problème (CNRS, 2021).
- Sébastien Delarose, juriste, spécialiste des questions de sécurité et des libertés publiques.
- Hélène Franco, magistrate.
- Eddy Khaldi, président de la Fédération nationale des DDEN (Délégués départementaux de l’Éducation nationale).
- Karan Mersch, professeur de philosophie. Ses travaux portent sur les thématiques de l’universalisme, de la laïcité et du féminisme.
- Thierry Mesny, docteur en sémiologie littéraire et de l’image de l’EHESS, a été le directeur du département Culture générale et communication du pôle universitaire Léonard de Vinci.
- Jean-Michel Muglioni, professeur de philosophie à la retraite après avoir enseigné en Khâgne.
- Pierre Outteryck, professeur agrégé d’histoire et de géographie, créateur avec d’autres amis de Geai Bleu Éditions. Ses travaux portent sur l’histoire du mouvement ouvrier.
- Samuël Tomei, docteur en histoire, fonctionnaire parlementaire, spécialiste de Clemenceau, de Ferdinand Buisson et de la Troisième République. Il est l’auteur d’ouvrages sur les personnalités marquantes de cette époque.