L’alimentation est au cœur de nombreux débats qui questionnent notre société : l’agriculture, la santé, l’environnement et les ressources, le patrimoine rural et sa protection, la mondialisation.
Les États Généraux de l’alimentation (20 juillet – 21 décembre 2017) en ont laissé plus d’un sur leur faim. La chaise vide de Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire, lors de la séance de clôture, en disait long sur l’échec de cette tentative d’aborder la question de l’alimentation dans sa globalité. La seule concrétisation de cet événement sera sans doute le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », présenté le 31 janvier par Stéphane Travert, Ministre de l’Agriculture et de l’alimentation. La montagne aura donc une fois encore accouché d’une souris. Pour le reste, une série de projets doivent être lancés « durant le quinquennat » afin de parvenir à une alimentation « saine, sûre, durable et accessible à tous ». Les annonces concernent l’agriculture bio, la lutte contre les pesticides, la lutte contre le gaspillage alimentaire et la rédaction d’un plan national nutrition-santé.
Car il s’agit bien de politique, comme l’a fort justement montré Paul Ariès en 2016 dans son livre Une histoire politique de l’alimentation, du paléolithique à nos jours. Interviewé par la revue Les Zindigné(e)s, il souligne que « nous nous imaginons, contre tout ce que nous apprend l’histoire de l’humanité, que la table serait une affaire individuelle dont nous n’aurions pas à rendre compte ni anthropologiquement, ni socialement ou culturellement, ni, bien sûr, politiquement ».
Or, la politique alimentaire se résume aujourd’hui à une recette visant à sauvegarder un secteur primaire réglé sur le productivisme, en régulant ses relations avec les industries de la transformation et la distribution, puissants lobbys qu’il ne faut pas contrarier, le tout saupoudré de messages de prévention en matière de santé.
Comme tout objet politique, le sujet de l’alimentation devrait faire l’objet d’un débat éclairé pour exposer les différentes options permettant de parvenir à satisfaire les besoins dans l’intérêt général. Mais il n’en est rien.
Comme toujours dans ce cas de figure, les alternatives sont portées par une poignée de militants. Certaines voient le jour, elles sont alors au mieux moquées, au pire torpillées. Quelques-unes arrivent pourtant à émerger et à se développer, mais elles restent cantonnées à des contre-modèles qui n’ont pas la capacité de devenir de véritables modèles alternatifs. L’histoire a montré que ces initiatives pouvaient cependant servir d’embryon ou de catalyseurs à des remises en cause de grande envergure. Elles méritent donc qu’on s’y intéresse de près.
En revanche, l’illusion du consom’acteur a déjà vécu. Ce consommateur engagé, éthique et responsable qui, par ses choix, influencerait la politique alimentaire a été intégré comme une nouvelle variable d’une société de consommation tournée vers le profit d’une agro-industrie sans considération sociale ni environnementale.
La PAC (Politique Agricole Commune européenne) vient d’être discrètement réformée, officiellement pour venir à bout de la crise agricole, en ouvrant la voie à une titrisation de la crise agricole via les fonds mutuels économiques, c’est-à-dire pour rendre attractive la crise agricole aux yeux des intérêts financiers.
Là encore, nos chers technocrates préparent donc consciencieusement les crises de demain sans pour autant apporter de solutions à celles d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons souhaité vous proposer un dossier spécial qui replace l’alimentation dans sa dimension politique en dépassant les cadres habituels. Bon appétit !
Christian Gaudray,
Président de l’UFAL