Présenté le 15 octobre 2014 en Conseil des Ministres, le projet de loi Touraine sur la santé a engendré une mobilisation de grande ampleur de la part des médecins généralistes. Un mouvement de fermeture des cabinets a ainsi été lancé fin décembre 2014, auquel a succédé en janvier une grève des télétransmissions. Parmi les griefs invoqués, le refus du tiers payant généralisé qui faisait partie des promesses de campagne de François Hollande.
L’UFAL défend de longue date l’idée d’un tiers payant généralisé qui mettrait fin au principe très discutable d’avance de frais. Le tiers payant concourt en effet à faciliter l’accès aux soins du plus grand nombre et en particulier des patients les plus fragiles pour lesquels une avance de frais est souvent un obstacle à la consultation d’un médecin libéral et qui sont souvent contraints de se reporter vers les services d’urgences à l’hôpital. L’UFAL rappelle que près de plus de 35 % de la population renonce fréquemment aux soins pour raisons financières. Ce taux dépasse les 50 % pour les bénéficiaires de la CMU. L’avance de frais n’est pas seule en cause. L’augmentation considérable du reste à charge (franchises, participation forfaitaire…) mises en œuvre par les différents gouvernements depuis 10 ans, mais également la pratique des dépassements d’honoraires appliqués par les médecins de secteur 2 constituent des situations insupportables que l’UFAL n’a eu de cesse de dénoncer.
Or, le projet de loi Touraine n’envisage nullement de revenir sur les mesures de déremboursement prises par les gouvernements Raffarin et Fillon. Dans ce contexte, le tiers payant généralisé prévu dans la loi Touraine fait peser sur les médecins généralistes de nouvelles contraintes de gestion et des risques de non-paiement en cas d’absence de couverture sociale du patient. Nous pouvons comprendre dans une certaine mesure la crainte des médecins généralistes qui sont souvent en première ligne des difficultés sanitaires et sociales des patients et à qui l’on impose des contraintes administratives de plus en plus fortes au détriment de leur temps de consultation. Dans ce contexte, la loi Touraine fait peser sur les médecins généralistes des difficultés qui pourraient nuire à la qualité des soins à destination des patients.
Dans un souci d’apaisement, le gouvernement, à la demande du Président de la République, a tenté de transiger : l’idée d’un guichet unique de paiement fait son chemin comme la solution pour régler les risques en termes de délai de paiement. Le problème est-il finalement résolu ? On peut en douter comme le fait remarquer le syndicat de Médecins SMG qui a récemment initié une pétition que nous relayons. Le syndicat met en avant que ce guichet unique, géré par les complémentaires santé, ne fera que renforcer la mainmise du secteur des assurances complémentaires de santé sur le système de soins, et ce, au détriment de l’assurance maladie de la Sécurité sociale et du droit à la santé pour tous. Et le SMG de proclamer ce qui suit :
Ne laissons pas le flou autour du tiers payant généralisé profiter aux appétits des complémentaires santé privées !
Notre tiers payant n’est pas celui de Marisol Touraine. Ne risquons pas de donner à ces complémentaires santé l’occasion de proposer un remède pire que le mal sous la forme d’un guichet unique de paiement en leur sein ou sous la forme de contractualisations individuelles séduisantes pour garantir le paiement de soignants, excédés par des tracasseries administratives. »
Extrait de la pétition du SMG (Syndicat de la Médecine Générale)
Pour le SMG, si la Sécurité sociale garantit (aux médecins) le paiement du tiers payant sur l’intégralité « assurance maladie obligatoire et complémentaires » (sous forme d’avance aux complémentaires pour la partie complémentaire), alors cela pourrait se faire (étape suivante) par la suppression des « tickets modérateurs » jusqu’aux tarifs conventionnés Sécurité sociale. En tout état de cause, à court terme, l’idée d’un guichet unique garanti par la Sécurité sociale impliquerait que la Sécurité sociale se rembourse auprès des complémentaires santé de l’avance faite. Ce serait un moindre mal par rapport à un tiers payant assuré, côté complémentaire, par un « guichet unique de paiement » (géré par les complémentaires…) et côté obligatoire par l’Assurance maladie ; le SMG préférerait que le tiers payant soit entièrement garanti par la Sécurité sociale, ce qui serait plus simple et plus efficace pour les assurés et probablement les médecins (il n’y aurait pas deux guichets et deux circuits de remboursements…).
Le mot d’ordre final du SMG « Oui à un Tiers Payant Généralisé à guichet unique de l’Assurance maladie évoluant vers la suppression du ticket modérateur et la prise en charge à 100 % des actes de soin par l’Assurance maladie, en attendant d’autres modes de paiement des professionnels de santé » suscite évidemment auprès de l’UFAL une réelle adhésion de principe, qui plus est venant d’un syndicat de médecins.
Certes le moyen invoqué, à savoir, l’instauration d’un guichet unique géré par l’assurance maladie doit être examiné de près, car cela pourrait amener la Sécurité sociale à assumer des avances de trésorerie massives aux complémentaires santé, situation que nous ne jugeons pas acceptable. Cependant, l’enjeu mis en avant par le SMG et que nous partageons sans réserve, est évidemment de sortir d’une politique mortifère qui a consisté à réduire la place de la Sécurité sociale dans le système de soins et, au contraire, de revendiquer l’instauration d’un système de prise en charge intégrale des soins financée par la Sécurité sociale.
Aussi, nous estimons qu’il convient d’assortir cet objectif — déjà ambitieux en soi — d’une vision de plus long terme autour de la pratique médicale en France. Nous estimons que la pratique de la médecine libérale doit être repensée globalement. Le dévoiement des conventions médicales avec la massification du secteur 2 à honoraires libres chez les spécialistes, la désertification médicale dans les zones rurales ou périurbaines, de même que les récents scandales sanitaires doivent nous amener à repenser les conditions d’exercice de la médecine en France qui ne remplit plus son rôle sanitaire et social. De plus, les pressions qu’exercent les pouvoirs publics sur la limitation des actes et prescriptions, amènent à placer les médecins libéraux dans un cadre de plus en plus conflictuel avec l’Assurance maladie, elle-même placée sous une tutelle de plus en plus écrasante de l’État et des Agences Régionales de Santé au nom de la limitation des dépenses de santé.
Pour l’UFAL, le tiers payant ne doit être qu’une étape, certes nécessaire, mais il est temps d’envisager une réforme globale de la santé qui passerait par le développement d’une médecine salariée de haut niveau exercée dans des structures pluridisciplinaires à haut plateau technique. Le système des centres de santé, que nous défendons, constitue à nos yeux la seule voie souhaitable et est d’ailleurs plébiscité par de nombreux jeunes médecins qui ne veulent plus assumer les conditions de vie ascétiques et l’isolement liés à la pratique libérale de la médecine. Plus encore, nous estimons que la prise en charge intégrale des soins nécessaires et ce, pour l’intégralité des patients est la condition indispensable au rétablissement d’un droit à la santé pour tous. Pour cela, il conviendrait de revenir de toute urgence sur les franchises médicales et autres catégories de reste à charge imposés par 30 ans de réformes comptables de la Sécurité sociale.
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