Ce qui, dans les années qui viennent, risque de changer durablement la vie des Français est le pic de Hubbert1 du pétrole, prévu par les experts pour bientôt, et qui aura pour conséquence une forte augmentation du coût des énergies. En effet, ce pic (moment où la production mondiale de pétrole sera amenée à diminuer) est prévu pour les prochaines décennies. En tout cas, une chose est certaine, dans quelques années, la demande en produit pétrolier sera supérieure à l’offre. C’est la cause principale de l’inévitable augmentation du prix du baril. Seule une crise économique majeure, peut de façon momentanée inverser ce processus. Il ne s’agit pas, comme les fois précédentes, de causes conjoncturelles, mais de pénurie durable. Il ne faut pas espérer la découverte de nouveaux gisements pour résoudre ce problème, car depuis plus d’une dizaine d’années, les quantités découvertes sont inférieures aux quantités consommées. On comprend aisément que les réserves ne peuvent que diminuer.
L’augmentation de la température liée à l’effet de serre est maintenant mesurable. Cette augmentation est en moyenne située entre 0,6 et 1 degré et pourra au XXIème siècle augmenter de 2 à 62 degrés selon les régions du globe, en fonction du niveau de nos consommations. Il faut savoir que la fourchette haute de cette variation est du même ordre de grandeur que celle des plus grandes amplitudes que la terre ait connues depuis plus d’un million d’années. De plus ces variations furent lentes comparées à la brusque montée des températures observées depuis quelques années. Les espèces animales et surtout végétales avaient alors le temps d’élaborer une stratégie de survie afin de s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. Les spécialistes du climat et de la physique de l’atmosphère nous disent qu’une variation de 1 degré est équivalente à une remontée des latitudes de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres. Ce qui fait dire que si la température monte de 6 degrés durant le siècle à venir, le Sahara se retrouvera en Europe.
Dans les périodes glaciaires3 [qui se reproduisent tous les 100 000 ans], à nos latitudes, les terres étaient recouvertes de glace et les traces des glaciers qui se sont formés à ces époques sont encore visibles de nos jours. Depuis 10 000 ans la terre a connu une période d’une grande stabilité de température. On peut penser que cette stabilité a été un facteur important pour le développement des civilisations. Les spécialistes s’accordent pour attribuer la disparition des dinosaures4, qui a eu lieu il y a 65 millions d’années, aux conséquences de la percussion d’un astéroïde avec notre planète. Cet astéroïde aurait soulevé de grandes quantités d’aérosols qui ont obscurci le ciel. Les variations climatiques qui s’en suivirent furent brusques et plus des 2/3 des espèces vivantes disparurent. Les dinosaures furent les premières victimes de ce phénomène. À d’autres périodes, l’activité géologique de notre planète a entraîné de gigantesques éruptions volcaniques ; les changements climatiques qui en résultèrent peuvent également être à l’origine de la disparition des espèces vivant à cette époque ; ce n’est toutefois pas la seule possibilité. La variation déjà observée et celle que prévoient les spécialistes du climat sont extrêmement préoccupantes.
Dans les années 1950, les « vieux » de l’époque remarquaient déjà les changements climatiques, mais si leurs observations étaient souvent assez judicieuses, les causes supposées de ces prétendus changements étaient complètement fantaisistes : « c’est la faute de la bombe atomique ! » disait-ils avant de recharger leur poêle de charbon. Ils ne savaient pas qu’en rejetant du CO2 dans l’atmosphère, ils contribuaient au changement climatique dont la réalité et la cause ne font plus guère de doutes maintenant.
La consommation d’énergie mondiale est en augmentation de 2 à 3 % par an5 et devrait doubler en une trentaine d’années6. Soit, si nous consommons 100 aujourd’hui nous consommerons le double vers 2040 soit 200. Actuellement cette consommation se répartit de la façon suivante : 80 % d’énergie fossile et les 20 % restants se répartissent entre biomasse, nucléaire, hydraulique et, dans une moindre mesure, renouvelable de type solaire ou éolien. Les scientifiques spécialisés dans l’étude du climat nous proposent un scénario de réduction des émanations de CO2 de moitié en 30 ans afin de stabiliser l’augmentation de la température dans des limites raisonnables. Il nous faut donc diviser par 2 notre consommation d’énergie fossile (productrice de CO2). Nous en consommons aujourd’hui 80, il faudra en consommer seulement 40. Pour aller de 40 à 200 il faut faire passer les consommations de biomasse, d’hydraulique, de solaire et éolien et de nucléaire de 20 à (200 – 40), soit : 160. Autant dire qu’au niveau mondial, le défi sera difficile. L’hydraulique n’est pas extensible à l’infini et son développement est limité aux possibilités du lieu ; il en est de même, mais dans une moindre mesure, de la biomasse. Faire des biocarburants demanderait à la France et au monde plus de surface qu’elle n’en possède et ne résout pas le problème de l’effet de serre. Quant au nucléaire, le risque de prolifération des armes qui peuvent être réalisées à partir du combustible des réacteurs est tel qu’il est difficile actuellement d’envisager de généraliser cette production au niveau mondial.
Les énergies alternatives doivent également être développées. Toutefois il convient de bien s’assurer qu’elles n’entraînent pas plus d’inconvénients écologiques que d’avantages. La production électrique à partir des éoliennes et des cellules photovoltaïques est très intéressante, mais elle est intermittente soit par manque de vent et/ou de soleil soit au contraire dans les cas de vents trop importants. Elles ne fonctionnent en général que 20 à 30 % du temps ; il convient d’installer en complément une source de production électrique de puissance équivalente afin de compenser ces absences de production. Les producteurs d’électricité envisagent d’installer des centrales à gaz pour assurer ce complément. En effet les centrales nucléaires ont une inertie trop grande pour pallier les périodes sans vent et/ou sans soleil, seules certaines centrales hydrauliques ou certaines centrales thermiques ont la capacité de répondre aux demandes des pics énergétiques. Le choix du développement des éoliennes n’est donc pas sans conséquence sur l’effet de serre et doit être adapté à l’ensemble du reste de la production. Le développement des agro-carburants ne présente pas ce type d’inconvénients, mais il a été montré que ceux de première génération ne contribuent que très peu à réduire la production des gaz à effet de serre. De plus ces cultures viennent en compétition avec les cultures vivrières faisant ainsi augmenter de façon sensible le prix des céréales alimentaires, et créant dans certaines régions des pénuries voire des famines.
En France, le problème est différent de celui des pays en voie développement. Nous possédons la technologie et nous avons la capacité de développer notre potentiel nucléaire civil. Le débat entrepris sur l’opportunité de construire l’EPR (ce Réacteur à Eau Pressurisée est appelé Européen Pressure Réacteur) est maintenant achevé7. La situation des réserves énergétiques ne permet pas d’autres solutions que le développement du nucléaire en parallèle avec l’ensemble des autres sources ainsi qu’une utilisation plus rationnelle de cette production. Toutefois, la quantité d’uranium que l’on peut récupérer sur terre est, comme les énergies fossiles, limitée. Compte tenu de la consommation actuelle, la réserve d’uranium est d’environ 100 ans. Il faut donc imaginer la suite de cette filière. Le scénario prévu en France par EDF et le CEA est de construire dans un proche avenir les nouvelles centrales EPR. Ces réacteurs sont appelés à remplacer ceux qui ont été construits dans les années 70, en attendant le développement des réacteurs de 4ième génération. Ces derniers fonctionneront avec du plutonium qui n’est pas présent à l’état naturel, mais qui est produit en faible quantité dans les centrales fonctionnant actuellement. Le plutonium (carburant des réacteurs de 4ième génération), qui peut être considéré comme un déchet produit par les actuels réacteurs, deviendrait de ce fait un combustible. La production et l’utilisation du plutonium dans ces futurs réacteurs permettraient de multiplier les réserves de combustible nucléaire par un facteur de l’ordre de 70. Avec la consommation actuelle, c’est plus de 5000 ans de réserves énergétiques que l’humanité a devant elle. Même si l’augmentation de la consommation doit réduire cette période, elle est suffisamment grande pour permettre le développement de la fusion contrôlée.
La fusion contrôlée est le second projet mondial d’énergie nucléaire (ITER : International Thermonuclear Experimental Reactor)8. Les recherches sont développées à Cadarache en coopération internationale. Ces recherches seront longues et coûteuses, mais les sommes investies seront très inférieures à celles qui le sont encore actuellement pour les énergies fossiles. La possibilité de produire de l’énergie avec cette méthode n’est absolument pas prouvée, toutefois cette dernière filière est extrêmement prometteuse. Contrairement à la fission, elle ne produit pas de déchets de façon directe. Les réserves liées à cette filière vont de plusieurs dizaines de milliers à plusieurs millions d’années.
Les déchets du nucléaire9 sont la plaie de la fission. Bien sûr, entre les déchets (nucléaire) et les rejets (CO2 fossile) nous devons faire le bon choix. Plusieurs réacteurs naturels ont fonctionné il y a 2000 millions d’années à Oklo au Gabon10. À cette époque, le taux d’uranium 235 était suffisant pour qu’avec une forte concentration d’uranium en l’absence d’éléments absorbants, la réaction puisse être entretenue pendant plusieurs milliers d’années. Comme dans nos actuels réacteurs, ces derniers ont produit des déchets. On a ainsi un exemple d’enfouissement de déchets radioactifs qui n’ont pas ou peu migré. On doit être capable de faire, en choisissant soigneusement le site, aussi bien que la nature a fait par hasard. Une autre solution est la transmutation des éléments les plus dangereux. Cette piste doit être prise au sérieux. Enfin rappelons qu’une centrale fonctionnant au charbon comme celles qui fonctionnent actuellement en Chine, aux USA ou encore plus près de chez nous en Allemagne en Angleterre ou au Danemark, produit beaucoup plus de rejets radioactifs dans l’atmosphère (radon) qu’une centrale nucléaire.
La loi Bataille11 (loi sur les déchets nucléaires) présente trois volets :
- Le développement de la recherche sur la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à longue vie.
- L’étude des possibilités de stockage dans des formations géologiques profondes.
- L’étude des procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée afin d’éviter toute dispersion.
Cette loi doit permettre de résoudre de façon relativement satisfaisante le problème des 500 tonnes de déchets nucléaires produits en France par an dans nos centrales. Problème plus facile à résoudre que celui des centaines de millions de tonnes de produits chimiques issues de notre consommation.
En conclusion, pour l’avenir, on peut dénombrer au moins trois choix énergétiques qui ont des conséquences différentes.
- Le premier est de continuer à consommer les énergies fossiles, c’est le choix de croissance, mais un choix non-durable à cause la limite des réserves et de l’incidence sur le climat. Les réserves sont d’environ 40 ans pour le pétrole, 70 ans pour le gaz, mais encore 200 ans pour le charbon. Les pénuries de gaz et de pétrole sont pour bientôt et l’effet de serre et ses incidences sur le changement climatique nous imposent de diminuer notre consommation de charbon.
- La seconde consiste à n’utiliser que les énergies renouvelables, c’est le choix de non-croissance qui risque d’être durable.
- La troisième, la plus raisonnable, consiste à ne rien négliger ni le durable, ni les économies d’énergie, ni le nucléaire. Ce dernier choix, appelé parfois un choix de croissance durable, ne le sera peut-être pas autant qu’espéré. Même ainsi, une crise énergétique est devant nous et elle sera décuplée avec un choix différent. En plus du développement des énergies durables et nucléaires, il nous faut maîtriser notre consommation pour que l’absence d’une croissance suffisante soit supportable. C’est la seule voie possible.
- Voir par exemple Jean-Luc Wingert « La vie après le pétrole », Éditions Autrement, Paris 2005 [↩]
- http://www.effet-de-serre.gouv.fr/la_synthese_des_rapports_du__giec [↩]
- « La physique : du laboratoire au quotidien. » Sous la direction de Gérard PIERRE, Éditions Universitaires de Dijon, collection Sciences, Dijon 2006 [↩]
- Vincent Courtillot. « Evolutionnary catastrophes : The science of mass extinction », Ed. Cambridge University Press, Cambridge -1999- [↩]
- Voir par exemple le site de l’association « Sauvons Le Climat » : http://www.sauvonsleclimat.org/ [↩]
- Jean-Marc Jancovici, Alain Grandjean. « Le plein s’il vous plait » Édition du Seuil -2006- [↩]
- Pierre Bacher, « L’énergie en 21 questions ». Ed ;. Odile Jacob, 2007 Paris. [↩]
- « La fusion nucléaire », Académie des Sciences, sous la direction de Guy Laval. Ed. EDP Sciences, Les Ulis 2007. [↩]
- http://science-citoyen.u-strasbg.fr/dossiers/dechets/index.html [↩]
- http://utv.u-strasbg.fr/series.asp?idSerie=31&idMedia=63&idtypeMedia=1 [↩]
- http://www.industrie.gouv.fr/energie/nucleair/debat-2006/projet-loi-dechets.htm [↩]
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