À l’heure où tant de forces rétrogrades veulent opposer les Français entre eux en cultivant des imaginaires qui poussent à leur division ou au conflit permanent, le Panthéon rassemble des figures du passé dont les actions exemplaires et pensées méritantes contribuent à renforcer notre unité. Apprendre et méditer les vies des « panthéonisés », c’est assurément partager des matières qui participent à notre présent commun. Lancé à l’initiative de l’association Unité Laïque et de la ville de Valence, le Comité de soutien pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon s’appuie sur un plaidoyer auquel l’UFAL adhère :
Missak, dit Michel Manouchian, est mort pour la France, fusillé à trente-sept ans le 21 février 1944 au Mont-Valérien.
Plaidoyer pour le transfert de des cendres de Missak Manouchian au Panthéon
Arménien, rescapé du génocide ottoman de 1915 à l’âge de neuf ans, immigré en France en 1925 à l’âge de dix-neuf ans, artisan puis ouvrier devenu poète et résistant, militant communiste, internationaliste et antifasciste, il s’engage au lendemain du 6 février 1934, tant dans la lutte contre le nazisme que dans la solidarité franco- arménienne.
Entré dans la Résistance en 1941, il devient en août 1943 le chef militaire des FTP-MOI de la région parisienne que les Allemands voudront frapper d’infamie, en les réunissant sur cette « Affiche rouge » qui les rendra immortels. C’est « en soldat régulier de l’Armée française de la Libération » qu’il meurt avec ses camarades « étrangers et nos frères pourtant ».
Missak Manouchian et ses compagnons, hommes et femmes membres de la Résistance intérieure émergent, près de quatre-vingts ans plus tard, comme des figures emblématiques de l’unité et de l’universalité de la République.
Missak Manouchian a, dès avant la guerre et tout au long de son combat, manifesté son amour de la France républicaine et laïque et sa reconnaissance pour ce pays qui fut, tout autant que les Etats-Unis, en proportion de sa population, la terre d’accueil et le phare de tant d’hommes et de femmes persécutés.
Missak Manouchian incarne l’engagement des étrangers dans la résistance contre le nazisme. Il illustre leur dévouement, Français par le sang versé, amoureux de la liberté et des Lumières, nourris de la mémoire de la grande Révolution, qui ont combattu l’ennemi nazi sur le sol de la France sous le joug.
Missak Manouchian, venu en France, son « pays de préférence », fait partie de ces Arméniens industrieux qui épousé la République pour le plus grand bénéfice du peuple français dont ils sont devenus une composante indispensable. Il était parfaitement conscient de l’originalité de son combat, de sa position, lui qui disait et écrivait quelques jours avant sa mort : «Vous avez hérité la nationalité française, nous l’avons méritée». À sa femme tant aimée Mélinée, le jour de son exécution, il écrivait : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement ». Émancipé grâce à la République française, aux rivages de laquelle il aborda avec espoir et qui lui donna la liberté, l’égalité et la fraternité, il sut sans peur, sans retenue, se battre pour elle, en son nom, jusqu’au sacrifice. Il ne demanda « ni la gloire ni les larmes, ni l’orgue ni la prière aux agonisants. » Il est l’une des silhouettes les plus nettes du « long cortège d’ombres » célébré par André Malraux.
Nous sommes dans un moment de l’Histoire où vont progressivement s’épuiser, faute de combattants, les hommages nationaux aux héros de la seconde Guerre mondiale.
L’entrée de la dépouille d’Hubert Germain dans la crypte du Mont-Valérien est le symbole de cette trajectoire. Il ne faut pas que soit oublié l’un des résistants les plus emblématiques et les plus unanimement respectés, qui symbolise l’engagement des Français de cœur dans le combat contre le nazisme et pour la République au nom de
l’écho de la France dans le monde. La France n’est pas simplement un territoire et une population, c’est un pays « plus grand que lui-même » qui a toujours représenté un symbole et un espoir de bonheur. Il y a encore quelques mois les insurgés de la place Maïdan en Ukraine chantaient la Marseillaise comme avant eux tous les peuples qui se sont soulevés contre l’arbitraire et la misère depuis 1792.
Oui, la place de Missak, Français d’âme, Français par le sang versé, est au Panthéon. Il y représentera ses compagnons de l’Affiche rouge, le peuple de ces étrangers qui firent la France et dont la France fit des Français, le vaste peuple des ouvriers, typographes, cheminots, poètes et communistes. Tous illustrent l’idéal d’une République où compte avant tout l’amour de la patrie et l’adhésion aux principes qui la régissent. À tous, elle offre alors ses fruits, la liberté, l’égalité, la fraternité. Avec Joséphine Baker, ils formeront ce couple inespéré, emblème de tous les hommes et les femmes qui aujourd’hui encore, en Afrique, en Asie, en Europe, en Amérique latine, chantent la Marseillaise lorsqu’ils veulent faire entendre leur cri de liberté.
Aline Girard et Jean-Pierre Sakoun, pour Unité Laïque