« Nous sommes tous des Tunisiens » pourrait-on dire… sauf, apparemment, nos « élites » dont aucun de nos dirigeants n’a eu un mot de cette compassion ostentatoire souvent affichée par ailleurs, pour les morts de la foule tunisienne descendue dans la rue.
Nous sommes tous des Tunisiens, oui, mais seulement de ces Tunisiens qui, depuis une quarantaine d’années de colonialisme interne, sont descendus dans la rue, pas de ceux qui cherchent à désorganiser la possible succession pacifique à cette période de dictature, mais de celles et de ceux qui, majoritairement bien éduqués – merci BOURGUIBA !!! – animent cette Révolution de Jasmin qui a chassé notre « ami » Ben Ali.
Nous sommes tous des Tunisiens, tous ou presque tous, puisque le modèle tunisien séduisait tant de nos compatriotes et de nos dirigeants que, du refus d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays ami, aux promesses d’aide policière de notre Ministre des Affaires étrangères à la police de Ben Ali, la France officielle a gardé un silence pudique, une réserve honteuse, devant ces mouvements populaires, n’allant pas, malgré tout, jusqu’à proposer d’accueillir le fuyard, en remerciements d’éventuels bienfaits passés.
Mais pourquoi BOURGUIBA, disparu depuis longtemps ? Parce que, contrairement à la plupart des pays décolonisés, il a consacré à l’éducation, à l’instruction publique, les crédits que les autres consacraient à l’armement. En plus d’une laïcisation de l’Etat et d’une refonte du statut de la femme, la Tunisie s’est alors trouvée dotée d’un système éducatif sur modèle français inspiré de Condorcet qui écrivait en 1792 :
« Une éducation générale est préparée pour TOUS les CITOYENS ; ils y apprennent tout ce qu’il leur importe de savoir pour jouir de la plénitude de leurs droits, pour conserver dans leurs actions privées, une volonté indépendante de la raison d’autrui, et remplir TOUTES les fonctions communes de la SOCIÉTÉ. L’instruction suit l’homme dans tous les âges de la vie, et la société ne voue à l’ignorance que celui qui préfère volontairement y rester. »
Et venant de vivre la période révolutionnaire, liée à une situation politique économique et sociale, il écrivait plus loin :
« Gilles1, dans l’histoire de l’ancienne Grèce, a prouvé que l’ambition des riches qui voulaient éloigner du gouvernement les CITOYENS pauvres, et les traiter comme leurs sujets, a été la véritable cause de la perte de la liberté, que les guerres intestines qui divisèrent les villes grecques ne furent presque jamais qu’un combat entre des riches adroits qui voulaient devenir ou rester les maîtres et une multitude ignorante qui voulait être libre et n’en connaissait pas les moyens.»
Les Tunisiens descendus dans la rue doivent, au moins beaucoup d’entre eux, connaître ces moyens, eux qui, répondant aux journalistes qui les questionnaient sur la situation, faisaient tous allusion à la Révolution française de 1789. N’a-t-on pas trop oublié cette histoire qui fait rêver aux lendemains qui chantent ? N’avons-nous pas besoin, nous aussi, de ce rêve ? Merci aux Tunisiens et aux Algériens. Espérons qu’ils sauront conduire leurs révolutions aux odeurs de jasmin !
Hubert Hervet
- Historien et philologue anglais 1747-1837 [↩]