La Maison des examens, service du ministère de l’Éducation nationale qui gère l’organisation du baccalauréat en Île-de-France, a envoyé une note aux proviseurs des lycées pour leur demander de « s’assurer de la présence effective » des élèves convoqués au rattrapage le 6 juillet, jour de l’Aïd-el-Fitr (fin du ramadan). « Ceux invoquant la fête de l’Aïd-el-Fitr devront être reconvoqués le lendemain. Vous voudrez bien indiquer le plus rapidement à mes services le nombre de candidats concernés ».
Il s’agit d’une directive (« devront ») parfaitement illégale. En effet :
- elle porte atteinte aux droits fondamentaux. En effet, la « liberté de pensée, de conscience, de religion »((Art. 9 de la Convention européenne des droits de l’homme)) comporte également, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), un « aspect négatif » : le droit de ne pas être obligé de déclarer sa religion((Cf. CEDH, 17 février 2011, Wasmuth c. Allemagne.)).
- elle impose aux proviseurs de discriminer les élèves en fonction de leur religion supposée (ou déclarée) —ordre auquel ils doivent refuser de déférer, car il est contraire à la loi (art. 225-1 à 225-4 du Code pénal).
- elle perturbe l’ordre public scolaire, et le bon fonctionnement du service public.
Le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale) a d’ailleurs soulevé les deux derniers points.
Quant à Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, il n’a pas hésité à déclarer au journal Le Parisien : « Il n’y a pas lieu pour la Maison des examens de proposer une éventuelle adaptation en amont, qui assigne les élèves à leurs pratiques religieuses. » (…) « L’administration n’a pas à anticiper les éventuelles demandes, pour la bonne raison que cette démarche revient à assigner les élèves à leurs pratiques religieuses. C’est contraire à l’approche laïque ». On saluera cette réaction ferme et rigoureuse, appuyée depuis par le Président de l’ODL, Jean-Louis Bianco.
L’UFAL, de son côté, a réagi de même dans une interview au Figaro-Étudiant :
« On anticipe une revendication qui n’a pas encore été formulée : l’administration fabrique elle-même le problème, on marche sur la tête ! », s’indigne Charles Arambourou, responsable laïcité de l’Union des familles laïques (Ufal). (…) « Sous couvert de respect des religions, on aboutit en réalité à ficher les élèves en fonction de la leur, ce qui est clairement discriminatoire ! », juge l’Ufal.
Faut-il que l’administration ignore la laïcité pour mettre d’accord l’UFAL et l’Observatoire de la laïcité !
Mais allons plus loin, puisque certains ont soutenu que la Maison des examens aurait appliqué « une loi » (!) ou « un texte voté par la droite ». Or le texte en question est… tenez-vous bien, la circulaire du 18 mai 2004 pour la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004 réglementant le port de signes religieux par les élèves des écoles publiques (votée par la droite et la gauche républicaines) ! Que dit-elle ?
« (…) L’institution scolaire et universitaire, de son côté, doit prendre les dispositions nécessaires pour qu’aucun examen ni aucune épreuve importante ne soient organisés le jour de ces grandes fêtes religieuses. »
Observons qu’il s’agit d’une circulaire d’application : elle n’a donc pas le pouvoir d’ajouter à la loi une obligation supplémentaire. Le verbe « doit » s’interprète donc de façon toute relative comme une simple directive interne à l’administration : il eût été préférable d’ajouter « dans la mesure du possible »1.
En effet, selon le directeur de la Maison des examens, « Comme la date de l’Aïd-el-Fitr n’est décidée que quelques jours avant, elle n’a pas pu être prise en compte dans le calendrier du bac établi des mois à l’avance ». Face à une telle impossibilité, la solution était donc de ne pas modifier ce calendrier, la perturbation en résultant pouvant porter atteinte aux droits et libertés de l’ensemble des autres élèves, et revêtant ainsi un « caractère disproportionné » — ce sont les termes de la jurisprudence de la CEDH. Ainsi, un avocat italien de confession israélite n’a pu exiger, au nom de sa pratique religieuse, le report d’une audience fixée le jour du Kippour((CEDH, 3 avril 2012, Francesco Sessa c. Italie.)).
Nous faisons nôtre sans hésitation l’affirmation suivante, émanant « d’une source proche de l’Observatoire de la Laïcité » : « Les convictions religieuses ne sauraient être opposées ni à l’obligation d’assiduité ni aux modalités d’un examen. »
Mais qu’il nous soit permis de penser (in cauda venenum) qu’à force de répéter que la France n’aurait pas de problème avec sa laïcité et que toute intervention législative ou réglementaire nouvelle en la matière serait forcément contre-productive, on a instillé, notamment dans l’administration, une culture du principe de précaution qui conduit à anticiper la moindre demande possible, même non formulée, dès qu’elle a un soupçon de caractère religieux !
- Comme le font les textes administratifs relatifs, notamment, à la prise en compte des demandes religieuses particulières des patients les hôpitaux publics (alimentation, consultation d’un médecin d’un sexe donné, etc.) [↩]