Yves Careil, L’expérience des collégiens, Ségrégations, médiations, tensions, « Le sens social »
Presses universitaires de Rennes, octobre 2007,
412 pages, 22 €.
Certains livres-essais études sont des articles de journaux rallongés, ils peuvent être intéressants mais leur lecture dure le temps d’une soirée. Ici, il s’agit de tout autre chose.
L’auteur nous présente une étude sociologique complète, dense, effectuée sur deux collèges quelque peu différents de l’agglomération de Nantes.
L’un est localisé au « centre ville » et touche essentiellement une population relativement aisée, bien lotie en diplômes, et l’autre se situe dans la ZEP à « recrutement mixte » à Saint Herblain.
Après nous avoir présenté le contexte économique, social et politique, l’auteur nous entraîne dans les deux collèges assez contrastés afin d’y rencontrer des collégiens. Dans l’établissement situé en ZEP, le Principal en exercice parle à juste titre de « communautarisme des bien pensants » qui passe à la fois par une pression élitiste et par un entre soi des collégiens-enfants fréquentant leurs pareils. Il vise par là même les bons élèves des zones pavillonnaires formés par la JOC et l’ACO, porteurs de l’idéologie deuxième gauche, grands promoteurs de la laïcité « ouverte », se voulant « généreux », plaidant pour un meilleur « vivre ensemble », mais qui savent aussi très bien faire valoir leurs intérêts bien compris en « colonisant » l’établissement à leur profit (et en s’inscrivant ainsi, bon gré mal gré, dans les nouveaux processus ségrégatifs à l’oeuvre dans la ville et à l’école).
Le Collège doit rester ou devenir un établissement homogène, ce qui suppose une mobilisation de parents :
« Nous sommes renvoyés plus généralement à ces associations qui en France également se multiplient dans les quartiers socialement favorisés afin de combattre les implantations chez elles de logements sociaux, de foyers de handicapés, de SDF ou de toxicomanes. » Le chef d’établissement devient de plus en plus un chef d’entreprise à la recherche de marchés- c’est à dire d’élèves, mais pas n’importe quels élèves : des « bons ».
Le Principal de P. Verlaine, interrogé, explique la logique du système libéral implacable, il faut créer et faire vivre des options recherchées : « Si on offre pas quelque chose, on tombe !
Ça c’est clair ! Nous, supposez qu’on n’ait plus les classes aménagées et les classes sportives, eh bien ça fait 8 classes en moins !… Ah ouais, il faut… Il faut offrir quelque chose aux familles. Sans ça !… »
Le communautarisme est présent, celui des bien installés et bien pensants dans le Collège du centre ville et celui religieux dans le collège de ZEP. On apprend ainsi que les Jeunes Musulmans de France qui sont implantés dans ce quartier de Bellevue exercent des pressions sur les collégiennes pour qu’elles ne parlent pas aux non musulmans et aux garçons et aux filles pour qu’ils contestent le contenu de certains cours. Comment réagir ou faire face? Une professeur d’histoire de culture arabo-musulmane donne des réponses concrètes: « Concernant cette contre influence, elle privilégie désormais un discours à forte tonalité féministe, le “seul qui marche vraiment “ ? face à des jeunes filles qui s’emploient parfois en sens inverse à la convertir, mais qui savent bien en même temps ce que signifie pour elles le surnom de “Jeunesses Matrimoniales de France“ ? attribué localement aux JMF. »(JMF Jeunes musulmans de France.)
Cette professeur déplore que des enseignants « puissent s’enfermer dans une casuistique en faveur de tel ou tel groupe, » « ou bien se réfugier dans la posture du “eux c’est eux, et nous c’est nous“ ?, posture non-interventionniste qui conclut “à laisser libre cours à tous les grignotages et à toutes les provocations“ ? ».
L’auteur nous fait rencontrer de nombreux adolescents, certains ont beaucoup de mal à négocier leur identité d’adolescent en panne d’avenir et leur identité de collégien(s), d’autres vivent dans « l’enfer de la réussite » que leur font vivre leurs parents. Le séparatisme social et scolaire, ici et ailleurs porte les germes du désespoir, de révoltes sans perspectives ou de toutes les « dérives totalitaires. »
Voilà une réflexion soutenue sur la difficulté de ces adolescents, subissant la ségrégation sociale, l’élitisme et l’évolution encore résistible de l’école qui, républicaine encore hier devient de plus en plus libérale.