Nous publions cet article du journal Le Monde, daté du 19 avril 2008. La suppression annoncée de 11200 postes intervient dans une situation qui, dans certains établissements, est déjà très critique, comme en témoignent ces collégiens qui ont décidé d’alerter les pouvoirs publics. Non seulement les personnels encadrants manquent cruellement mais, qui plus est, l’administration ne les protège guère, non plus que les élèves, puisqu’elle ne donne pas toujours suite aux plaintes. Dans une telle situation, il ne faut pas s’étonner que les familles indignées cherchent, pour protéger leurs enfants, des solutions ailleurs que dans l’enseignement public. Au lieu de promouvoir l’enseignement confessionnel, le Président de la République serait bien inspiré de protéger les personnels éducatifs et de mettre tout en oeuvre pour soustraire l’école publique à la violence et aux incivilités.
La Rédaction
Réagissez vite s’il vous plaît Mr l’Inspecteur », « Moi personnellement je ne peux plus travailler dans ces conditions et je vous informe que j’ai un avenir devant moi, que j’ai un brevet, un bac et un métier à obtenir ». En haut à gauche de la feuille, Jenny (tous les prénoms ont été modifiés), 15 ans, élève de 3e au collège Jean-Moulin d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a écrit son nom et sa classe, comme s’il s’agissait d’une rédaction. L’écriture est ronde, appliquée. La lettre adressée à « Monsieur l’inspecteur ». « Bonjour, commence-t-elle, j’ai l’honneur de m’adresser à vous pour vous faire part des conditions dans lesquelles nous, tous les élèves de ce collège, travaillions. »
L’orthographe et la syntaxe sont hasardeuses mais c’est un appel au secours, celui d’une adolescente qui désespère de ne pas pouvoir travailler dans la sérénité. « Des élèves à l’intérieur et à l’extérieur du collège s’amusent à jetter des bouteilles remplies d’acide, des poubelles, des œufs, des tomates… sur les élèves », raconte la jeune fille, décrite comme une excellente élève par ses professeurs. « Et encore ce n’est pas tout !, poursuit-elle. Nous ne sommes pas en sécurité ! Il y a des agressions physique et verbale. Dans ce collège, des élèves s’amusent à interrompre les cours d’autres élèves (…). D’autres sèchent leurs cours et trainent dans les couloirs, se mèttent à crié comme des sauvages. D’autres saute la grille. »
« RÉAGISSEZ-VITE, MR L’INSPECTEUR »
Une soixantaine d’élèves de 4e et 3e du collège ont écrit à l’inspecteur d’académie de Seine-Saint-Denis pour l’alerter sur la situation de leur établissement. Des lettres souvent émouvantes – les plus longues font une page et demie, les plus courtes deux lignes. Des lettres qui traduisent leur désarroi et leur souffrance face à la violence ordinaire d’un collège « sensible » de la banlieue parisienne.
Des lettres d’adolescents traumatisés par les derniers débordements dont ils ont été témoins : mardi 8 avril, une dizaine de jeunes se sont présentés devant l’établissement. D’abord pour « faire un blocus » – sans doute pour copier les lycéens qui protestent contre la baisse des moyens et les réformes portées par le ministre de l’éducation nationale, Xavier Darcos.
Mais la situation dégénère. Avec des poubelles, ils tentent d’enfoncer le portail. Puis ils jettent dans la cour de récréation des bouteilles contenant de l’acide et de l’aluminium – un mélange explosif dont la recette circule sur Internet. « Deux bouteilles ont explosé. Ça a fait un bruit énorme et de la fumée blanche », raconte un enseignant. Profitant de la confusion, les assaillants montent à l’étage, jettent des œufs dans les salles de classe. En plein cours. Devant des collégiens médusés et effrayés.
« Ils portaient des capuches mais on en a reconnu une partie : la plupart étaient d’anciens élèves, exclus définitivement de l’établissement », témoigne une enseignante, Alexandra Bonvalot. Les professeurs choisissent de « débrayer » et de réunir les élèves dans la cour. Préviennent les parents. Un professeur de français, Emmanuel Tridant, 38 ans, propose de faire réagir les collégiens en leur demandant d’écrire à l’inspecteur d’académie.
Le lendemain matin, les adolescents livrent une parole brute, qui dépasse l’épisode violent de la veille. Fatima, une élève de 3e, dit avoir très peur. « Heuresement que l’année prochainne je ne serai plus la. Ma sœur si et sa m’inquiette car c’est pas la première fois que sa arrive. Il y a toujours des bagarres, du rackettage (…). » Nora, une 3e souvent absentéiste, décrit sa vision très sombre de l’établissement. « Des anciens élèves du collège rentre dans le collège en vélo pour faire le bordel, l’année dernière ils ont brûlés la segpa (la cage d’escalier de la section d’enseignement adapté avait été détruite). Les toilettes sont salle il y a même pas de papier toilette. Dans les salles les tables sont sales car il ya des écritures dessus, des cheewing-gum collé partout. »
Rima s’inquiète de l’effet de contamination des comportements violents : « Les élèves qui ne sont pas des perturbateurs on tendance à se fair influencer », raconte-t-elle. « Des gréves et des agressions perpetuel envahissent notre quotidien ». D’autres évoquent les bagarres collectives : « Certain élève se font cafouiller », écrit un élève de 4e, en précisant que cela signifie « tapé 1 éleve a plusieure ». « Les conditions de travaille sont désespérable », ajoutent deux élèves de 3e, néologisme involontaire à l’appui.
Charlotte, aussi en 3e, exprime son « ral bol » et son impatience. « Réagissez vite s’il vous plaît Mr l’Inspecteur pour trouver des solutions à tout ces problèmes. » Des idées, les élèves en ont presque tous. D’abord octroyer plus de moyens au collège – comme le demandent par ailleurs les enseignants à travers des grèves ou des manifestations, fréquentes depuis trois ans. « Il ne faut plus dissoudre de postes de professeur car sinnon l’éducation des elèves est très menacée », note, par exemple, Mike, en 3e. Beaucoup réclament plus de surveillants.
Mais c’est l’exigence de fermeté, voire de répression, qui apparaît la plus forte. Nayla, élève de 3e, suggère d’installer des caméras de vidéosurveillance « un peu partout dans le collège » afin de ne plus avoir peur dans les couloirs. « J’aimerais que il y a la police (à côté de l’entrée) « , explique un 4e. « Nous exigeons des grille fermé, des porte blindé et une tenue classe pour montrer une bonne image pour l’année prochaine dans le collège », écrivent Karim et Christophe.
Un 4e pense que « les éducateurs devrait être plus sévèr en vers les élèves ». Tous veulent des contrôles plus efficaces à l’entrée pour limiter les entrées intempestives d’adolescents extérieurs. Jenny a le dernier mot. Elle qui pense à son avenir, à son brevet, à son bac, sait ce qu’il faut. Deux mots en bas de sa feuille à gros carreaux, sans une rature, écrite d’un seul trait, d’un seul souffle : « Plus d’autorité ! »
Article paru dans l’édition du 19.04.08