Le Conseil d’Etat vient de rejeter le projet de décret visant à permettre un assouplissement des taux d’encadrement des activités périscolaires
Le but affiché de la réforme des rythmes scolaires mise en œuvre par notre gouvernement socialiste est d’écourter la journée de classe des élèves. De mauvais esprits eurent tôt fait de remarquer que si, dans le cadre de cette réforme, la journée de classe diminuait, la journée à l’école, elle, restait aussi longue, voire plus longue : des enfants qui, jusqu’à présent, pouvaient vaquer à la maison le mercredi, ne le pourront plus. Mais passons…
Dès la rentrée prochaine, dans quelques communes courageuses, des élèves termineront donc la classe plus tôt et, s’ils ne rentrent pas chez eux, pourront rester à l’école et, grâce aux TAP (temps d’activités périscolaires), profiter d’activités à visée sportive et/ou culturelle. Les mêmes mauvais esprits osent encore appeler cela une garderie tous azimuts : comme si un gouvernement socialiste qui a souci des enfants et de leur « fatigabilité », un gouvernement qui, de par son héritage politique sait combien l’école est importante pour le salut de la République, comme si un tel gouvernement acceptait que des enfants s’épuisent de quatre heures de l’après-midi jusqu’à sept heures du soir dans le bruit et l’agitation d’une garderie sans fin, au lieu de s’instruire et de s’enrichir par la pratique d’un sport, d’un instrument de musique ou la découverte de lieux culturels ? Pourtant, ce qui n’avait pas laissé d’étonner certains, c’est que la réforme des rythmes scolaires s’accompagnait d’une volonté d’abaisser le taux d’encadrement des enfants dans les centres postscolaires ; on sentait là comme une navrante contradiction : déplorer la longueur des journées scolaires des élèves, vouloir leur proposer des activités postscolaires de qualité et, en même temps, faire en sorte qu’il y ait moins d’adultes pour s’occuper des enfants !
Heureusement, le Conseil d’État vient de refuser l’assouplissement des normes d’encadrement dans le cadre d’un projet éducatif territorial (ou PEdT). Cette baisse du taux d’encadrement annoncée comme allant de soi par la circulaire du 20 mars 2013 relative au PEdT n’avait, avouons-le, qu’une raison financière : elle permettait aux municipalités de contrebalancer les dépenses liées à l’explosion du temps postscolaire par la baisse du coût humain, moins d’animateurs étant nécessaires pour surveiller une jeunesse déscolarisée de force. L’une des raisons de ce rejet est ainsi motivée : « on ne peut expérimenter une réforme en réduisant une règle qui induirait une baisse de sécurité des mineurs ». Comment ne pas se réjouir que le Conseil d’Etat ait rejeté cette insidieuse volonté d’assouplir les taux de l’encadrement périscolaire ? Et même, comment ne pas se prendre à espérer beaucoup plus de ce refus du Conseil d’Etat ? Si en effet l’on ne saurait expérimenter lorsqu’il s’agit de la protection des mineurs, à plus forte raison doit-on se l’interdire lorsqu’il y va de l’instruction de ces mêmes mineurs. Autrement dit, le Conseil d’Etat, dont le premier rôle est de conseiller le gouvernement, devrait continuer sur sa lancée et pointer le danger du projet de loi sur la refondation de l’école (dont la réforme des rythmes scolaires est un avatar), lequel projet pense qu’avec moins d’heures de classe les élèves pourront mieux apprendre (le gouvernement ne revient pas à 26 heures ou plus de classe hebdomadaires).
Rappelons que la vertu de l’école républicaine est émancipatrice : l’école, qui par la discipline propre à l’étude donne l’habitude de rendre raison de ce qui s’y enseigne et ainsi de faire la différence entre le vrai et le faux pour n’accueillir en son esprit que ce qui est indubitable, une telle école instruisant véritablement l’élève laisse advenir en lui un futur citoyen vigilant et peu enclin à se laisser abuser par les rhéteurs politiques. Que le Conseil d’Etat adresse à notre gouvernement un avis de la même teneur que ce qu’écrivait Condorcet dans son Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique 1792 : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à la raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. »
Il n’est pas interdit d’espérer des membres du Conseil d’Etat un tel salutaire rappel du lien de principe entre Ecole et République…