Le « recentrage » de l’école est-il mal parti ? Les nouveaux programmes de primaire et de maternelle, publiés le 20 février, sont aujourd’hui soumis à un feu nourri de critiques émanant des organisations syndicales et des cercles pédagogiques. Deux anciens ministres de l’éducation nationale, Jack Lang et Luc Ferry, y ont joint leur voix dans une tribune remarquée (Le Monde du 14 mars).
Ces programmes, dit-on, porteraient un « alourdissement des contenus », une « conception mécaniste des apprentissages » et un « affaiblissement de leur dimension culturelle ». En renonçant à la « transversalité des savoirs » au profit des seules « approches transmissives », ils sacrifieraient « l’envie d’apprendre » qui est « la condition première de la réussite ». Sous un affichage avantageux, on ne trouverait en fait qu’ »appauvrissement intellectuel » et « déni de la pédagogie », bref, « populisme scolaire » et réaction sur tous les plans.
Qu’y a-t-il de fondé dans ces critiques ? Soit dit sans parti pris, peu de chose. Certes, le texte présenté par le ministère de l’éducation nationale ne répond pas à une inspiration unique, et il comporte quelques concessions à des thèmes imposés. Néanmoins, dans ses parties principales, telles que celle qui concerne le français, il apparaît comparativement comme le plus solide et le moins idéologique qu’on ait connu depuis des décennies.
La raison en est simple : renonçant à délivrer, comme les programmes de 2002, toute une théorie des apprentissages, ce texte se borne, pour l’essentiel, à définir avec sobriété le contenu des enseignements, ainsi que les connaissances et compétences dont l’acquisition sera requise à chaque niveau et au terme de chaque cycle.
Mais apparemment c’est ce choix qui embarrasse. En premier lieu, objectent les détracteurs, ces programmes « clairs et concis » le seraient trop pour être honnêtes. Les « apprentissages fondamentaux » étant chose complexe et délicate, il conviendrait d’entrer dans les détails touchant la manière d’enseigner. C’est une erreur : un programme doit fixer des objets et des objectifs ; il n’a pas à dicter aux maîtres leurs méthodes, ni à entrer dans des attendus théoriques par définition sujets à caution.
Ensuite, il y a l’ »alourdissement », sensible en mathématiques et surtout en français. Qu’on s’interroge pourtant : l’effondrement des performances en compréhension des textes lus et en rédaction, constaté par tous à l’entrée au collège et encore souligné par les enquêtes les plus récentes (Le Monde du 29 mars), n’exige-t-il pas que la grammaire et le vocabulaire soient désormais enseignés de manière plus systématique ?
Enfin, nonobstant l’introduction de l’ »histoire des arts », ce programme renoncerait à la dimension culturelle au profit d’un morne « entraînement ». Qui ne voit pourtant que, dans toutes les matières fondamentales, c’est aujourd’hui chez les écoliers l’ »entraînement » qui manque le plus ? Et que bien loin d’exclure une pédagogie vivante, cet entraînement l’appelle et la nourrit ?
En arrière-fond de ces reproches, deux idées très peu défendables : pour les programmes scolaires et les méthodes pédagogiques, tout ou presque aurait été réglé, disons de 1989 à 2004 ; à l’école, donc, tout ou presque irait bien si seulement les moyens étaient au rendez-vous.
On sait bien – et l’on savait, à gauche comme à droite, dès avant la nomination de Xavier Darcos – que la réalité est tout autre. A l’école primaire et d’abord dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), la doctrine officielle a longtemps été que l’enfant avait à « construire son propre savoir » et le maître à l’assister dans cette activité.
C’était, qu’on l’ait voulu ou non, confiner la parole enseignante dans un rôle subsidiaire, la délier d’une obligation de culture et d’exactitude, et soumettre les apprentissages à des « rythmes » toujours plus étirés. Sur le plan théorique, cette doctrine est aujourd’hui exsangue. En pratique, elle est allée jusqu’au bout de ses effets, et les contre-performances désormais notoires de notre système d’enseignement obligent, dans l’intérêt de tous, à des révisions rapides.
Au principe « enseigner moins pour enseigner mieux », il s’agit donc de préférer cet autre : « enseigner mieux en enseignant plus » – « plus » ne voulant pas dire ici plus longtemps, mais « en transmettant davantage, à commencer par les bases ». Un tel principe est-il réactionnaire ? Nullement. Sera-t-il aisément reçu ? C’est autre chose. Entre crise budgétaire et défiance politique, avec une vie enseignante devenue bien rude et beaucoup d’appréhension de l’avenir, le fait est que cette révision s’impose au moment le plus malaisé.
Le problème, à la limite, n’est pas celui des nouveaux textes qui, une fois relus et adoptés, seront bien sûr jugés à leur application. Le problème est plutôt celui du contexte : les contenus redéfinis auront besoin, pour les porter, d’une nouvelle énergie, qu’une gestion trop restrictive sera de nature à décourager. De là une équation complexe, qui n’est pas simplement budgétaire et dont le ministre de l’éducation ne détient pas seul la solution.