Dans un rapport remis au mois de juillet dernier, trois inspecteurs généraux dressent un bilan très sombre de la politique de restrictions budgétaire mise en œuvre par Luc Chatel et apportent involontairement un cruel démenti aux promesses et aux déclarations du Ministre de l’Éducation nationale.
Ce rapport se présente comme une synthèse très sérieuse de notes émanant de différentes académies relativement à la préparation de la rentrée 2010. La réalité sur laquelle il lève le voile contraste très nettement avec les propos lénifiants de Luc Chatel.
« Tout va très bien, Madame la Marquise »
« Malaise dans les services départementaux », « BOP1 académiques qui s’enfoncent dans le rouge » (p.20), administrations incapables de « payer certaines dépenses obligatoires », mécontentement qui s’accroît « chez les personnels et les créanciers de l’administration » (p. 10) : pendant que Luc Chatel entonnait en cette rentrée le traditionnel refrain de « tout va très bien, Madame la Marquise », les trois auteurs de ce rapport tiraient la sonnette d’alarme. Si la rentrée 2010 est « techniquement réussie » (p. 42), l’avenir est sombre et « les difficultés qui attendent le système éducatif sont nombreuses » (p. 5). Les services administratifs se retrouvent en effet confrontés à une situation impossible : veiller à l’application de trois réformes coûteuses (la réforme du lycée appliquée cette année au niveau de la seconde, la réforme du Lycée Professionnel avec le passage au baccalauréat professionnel en trois ans et la réforme dite de la masterisation des concours), dans un contexte de restrictions budgétaires et de suppressions de postes.
Les difficultés soulignées par le rapport sont de quatre ordres : manque de moyens d’enseignement, problème de la gestion des remplacements, impossibilité d’organiser une formation initiale et continue de qualité, mise sous tension des services administratifs.
Premier démenti aux promesses du ministre : un niveau d’encadrement des élèves en baisse
On se souvient de l’argument imparable de Xavier Darcos pour justifier les suppressions de postes : celles-ci s’avèreraient indolores puisque, dans un contexte de baisse démographique, le taux d’encadrement des élèves allait rester constant. Le rapport dément cet argument : « plus de 20 000 élèves supplémentaires sont attendus dans le second degré sans qu’aucune création d’emplois ne soit prévue » (p. 6). Les faits sont là et ils sont têtus : l’éducation nationale se trouve confrontée à une situation de pénurie en « moyens d’enseignement ». Cette pénurie est aggravée par deux nouveaux facteurs mis en évidence par les auteurs du rapport : la suppression des postes de stagiaires (conséquence de la suppression de l’année de stage) ainsi que les « difficultés à faire absorber les heures supplémentaires » (p. 17).
Le rapport nous apprend que l’administration n’a eu d’autres choix, pour gérer la misère, que de mettre en œuvre trois solutions de fortune : 1. Certaines académies ont dégradé le taux d’encadrement des collèges. 2. Des emplois ont été prélevés « dans les académies en faible hausse d’effectifs pour les attribuer à d’autres en forte hausse démographique », ce qui revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul. 3. D’autres académies, enfin, ont supprimé des postes de remplaçants.
Deuxième démenti aux promesses du ministre : l’impossibilité d’assurer les remplacements des professeurs absents
Luc Chatel sait bien que l’une des principales préoccupations des parents d’élèves porte sur la question des remplacements des professeurs absents. Cette année encore, le ministre s’est fortement engagé sur ce point. Mais à la lecture de ce rapport, on se demande par quel miracle les remplacements pourront être assurés. « Beaucoup d’académies font porter l’économie sur les remplaçants ». 127 postes de TZR2 supprimés à Versailles, 152 à Bordeaux, apprend-on en lisant le rapport. Des titulaires remplaçants sont insuffisants dans certaines disciplines (p. 16). La solution préconisée par le ministre et censée pourvoir aux difficultés de gestion des remplacements s’avère peu efficace. Ainsi, les appels du pied à l’adresse des étudiants en master 2 et des « néo retraités » ont donné des résultats pour le moins décevants. A Paris, « quelques réponses chez les étudiants, une seule chez les retraités ». Aucune réponse positive de la part des retraités récents dans l’Aisne ou l’Oise (p. 18), constatent, sur un ton un peu dépité, les auteurs du rapport.
Restent le recours massif aux contractuels et aux vacataires. Mais de ce côté-là non plus, les perspectives ne sont pas réjouissantes. Si « de septembre à fin mars, la consommation en contractuels a augmenté de 3800 ETP3 (2900 l’an dernier) » (p. 11) -il en va de même de la « consommation » des enseignants vacataires qui a fait un bond de 31%- le rapport déplore le manque de préparation de ces personnels souvent confrontés à des classes difficiles, ce qui explique en partie le taux élevé de renouvellement des non-titulaires (p. 18). Le rapport dénonce, par ailleurs, l’hypocrisie qui consiste à recourir massivement à des contractuels et des vacataires pour compenser la baisse des moyens de remplacement : il y a en effet fort à craindre que les académies recruteront des vacataires au-delà de l’autorisation budgétaire « en creusant un peu plus le déficit de la masse salariale ». « Quelque chose n’est pas cohérent dans ce schéma d’ensemble », conclut le rapport, qui parle de choix « partiellement insincère et coûteux » (p. 11).
Troisième démenti aux promesses du ministre : des dispositifs de formation initiale impossibles à financer
Tandis que Luc Chatel cherchait à rassurer les professeurs-stagiaires en leur assurant qu’ « il ne les lâcherait pas », les trois auteurs du rapport soulignaient les difficultés à mettre en œuvre la formation initiale. Non seulement les recteurs sont contraints de gérer la pénurie (« les crédits nécessaires alloués à la formation sont en nette diminution »), mais on ne sait pas bien qui des universités ou des IUFM financera les plans de formation initiale. Ces plans sont d’autant plus coûteux qu’ils impliquent des charges nouvelles, en particulier celles liées à « une sensible augmentation des déplacements tant des stagiaires que des tuteurs » (p.24). Et le rapport de conclure que « quel qu’en soit le budget, cet écart entre conditions de mise en œuvre du nouveau régime de formation et les financements est perçu par tous comme relevant d’une sorte d’injonction contradictoire » (p. 24).
Il est intéressant de constater, en outre, que les trois auteurs du rapport expriment à propos de la diversité des situations des stagiaires et des dispositifs de formation (désormais pilotés localement) les mêmes inquiétudes que celles que nous avons exprimées dans un récent communiqué de presse [lien]. Il y a fort à craindre en effet, dit le rapport, que cette diversité « confine à la disparité » (p. 23). Pire : la disparition d’un cadre national organisant la formation initiale et définissant le statut du professeur-stagiaire peut « être source de recours pour rupture d’égalité de la part des candidats non titularisés et qui auraient bénéficié de conditions « moins favorables » » (p. 23). On ne saurait reconnaître plus clairement que la situation des stagiaires déroge au principe républicain d’égalité. Leurs services sont en effet très hétérogènes. Ainsi apprend-on que seul un tiers des académies a mis en place un allègement des services de deux à trois heures hebdomadaires au bénéfice des stagiaires (p. 23).
Malaise dans les services administratifs
Ce n’est pas le moindre des intérêts de ce rapport que de mettre en évidence une conséquence plus méconnue des suppressions de postes, à savoir la mise sous pression des personnels administratifs. Alliées à la politique de déconcentration et de décentralisation de la gestion (dont le rapport souligne le caractère « irréversible » (p. 26)), les mesures de suppressions de postes dans l’administration produisent des effets alarmants. Personnels « en difficulté psychologique, voire en souffrance » (p.15), augmentation du nombre de mutations, les académies déplorent « une surcharge de travail », une « fragilisation croissante des personnels » ainsi qu’une « fuite des cadres vers les universités et les collectivités locales ».
On ne s’étonnera donc pas que Luc Chatel ait cherché à minimiser l’importance de ce rapport dont l’usage aurait dû rester strictement interne. Ce n’est pas tous les jours que des gens aussi sérieux que les inspecteurs académiques confirment les analyses qui ont pu être faites par des syndicalistes échevelés et forcément aveuglés par leur anti-sarkozysme primaire. Reste que le bilan dressé par le rapport est sans équivoque : il prouve à ceux qui, comme Saint Thomas, voulaient toucher les plaies, que les suppressions de postes ne peuvent qu’avoir des effets désastreux sur la qualité de l’enseignement proposé par l’école publique. C’est, du reste, ce que l’UFAL déplorait dans la pétition qu’elle avait lancée en 2008. Si l’état actuel de l’école républicaine ne s’explique pas par la seule question des moyens, force est de constater qu’en diminuant drastiquement les moyens financiers et humains alloués à l’Éducation Nationale, on précipite la catastrophe.
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