C’est au terme de nombreuses luttes laïques et féministes menées depuis 1989 par des collectifs de personnels de l’Éducation nationale, des mouvements et des associations que fut construit un rapport de force permettant d’obtenir le vote de la loi du 15 mars 2004. Cette loi interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette loi est devenue l’article L141-5-1 dans le Code de l’Éducation (C. E.) ; elle s’applique « dans les écoles, les collèges et les lycées publics ».
Son extension à l’Université fut discutée en 2003 dans la Commission Stasi qui préparait la loi ; Henri Peña-Ruiz y fut placé en minorité sur ce point comme il l’a révélé lors de sa conférence « L’école laïque, l’école de la liberté » organisée par la MAIF à Lille, le 30 novembre 2006. Finalement, la pression favorable à l’extension de la loi à l’Université étant insuffisante, le gouvernement d’alors et son ministre de l’Éducation nationale, François Fillon, n’inclurent pas l’Université dans le champ d’application de la loi ; mais ils signalèrent que chaque Conseil d’Administration d’Université avait toutefois la possibilité de voter cette loi dans son règlement intérieur. C’est pourquoi, ici et là, des CA de structures universitaires saisirent cette opportunité pour faire voter l’article L141-5-1 du Code de l’Éducation dans leur règlement intérieur. En somme, si la laïcité est peu appliquée dans les universités publiques de la République laïque française, c’est par méconnaissance de cette possibilité ou parce qu’un rapport de force favorable n’y a pas encore été construit pour voter l’article L141-5-1 qui permet d’enseigner et d’étudier dans la situation apaisée qu’apporte la laïcité, et non sous la pression agressive des intégristes religieux.
Quelle est la situation à l’Université ?
L’observation des pratiques dans les bâtiments des universités publiques montre une prolifération du « port de signes ou tenues par lesquels les étudiants manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Tant dans les salles de cours, les amphithéâtres, les bibliothèques que dans les espaces de circulation intérieurs ou extérieurs. Des salles de prière sont parfois obtenues. Sous couvert d’activités culturelles, c’est le cultuel qui avance masqué.
Si chaque mouvement confessionnel a sa tactique, force est de constater que l’intégrisme islamiste est très actif, ne serait-ce que par la visibilité matérielle de la symbolique sexiste islamiste de l’infériorisation des femmes, comme l’atteste la prolifération des voiles islamistes, des tenues à l’iranienne (hijab) que le film Persépolis de Marjane Satrapi dénonce comme violence faite aux femmes iraniennes. Cette occupation symbolique de l’espace universitaire public peut s’accompagner d’une contestation religieuse du contenu des cours, laissant l’enseignant seul et sans protection.
Faut-il y voir une stratégie consistant à habituer les étudiants et les personnels universitaires à la conception musulmane de la non séparation entre le religieux et le politique, entre le religieux et les sciences ? A l’instauration en douceur du religieux dans le service public d’enseignement supérieur et ses structures de recherche ? Le tout sous couvert de liberté individuelle ? On en arrive paradoxalement à observer que des universités font des colloques sur les violences faites aux femmes, tout en acceptant en leur sein la symbolique islamiste de la soumission des femmes (voile, hijab et à quand le niqab qui ne laisse voir que les yeux de la femme ?). Pourquoi serait-ce une oppression des femmes en Iran et une liberté de conscience individuelle dans les universités françaises ?
Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures : l’enfermement voilé, « hijabisé », voire « niqabisé » de femmes étudiantes à l’université est aussi une manifestation de violence faite aux femmes et, dans ce cas, organisée par des intégristes religieux. Cet apartheid religieusosexiste est contradictoire avec l’égalité des droits et des devoirs entre les femmes et les hommes de la République laïque en France. Accepter cela à l’Université, c’est implicitement l’accepter comme principe matriciel potentiel pour la société globale. C’est ce qu’ont bien compris les intégristes islamistes. Et c’est ce qui commence à inquiéter des universitaires, comme l’attestent les demandes d’information sur la laïcité à l’Université.
Que dit la loi ?
Les universités sont laïques et réalisent l’égalité entre les hommes et les femmes. Elles font partie du « service public de l’enseignement supérieur » (C. E., article L123-2) et constitue le cinquième « niveau » du « service public national » de l’éducation (C. E., article L211-1). « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. Ils contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation. (C. E., article L121-1.) Et le service public de l’enseignement supérieur « contribue. à la réduction des inégalités sociales ou culturelles et à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche » (C. E., article L123-2).
Pour établir la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, c’est à dire le contraire de la stigmatisation vestimentaire des femmes par les islamistes annonçant la séparation à venir entre les sexes, la loi du 15 mars 2004 fut nécessaire dans les quatre premiers niveaux du service public national de l’éducation (de l’école maternelle au lycée). Il faut étendre cette loi au cinquième niveau, l’enseignement supérieur (universités, établissements publics d’enseignement supérieur). D’autant que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique » (C.E., article L141-6).
Le clivage mineurs / majeurs : un faux débat :
S’opposer à l’extension de la loi du 15 mars 2004 à l’Enseignement supérieur public parce que les étudiants sont majeurs et qu’ils ont la liberté de conscience, n’est pas un argument recevable. En effet, avant 1974, la majorité légale était à 21 ans, donc les étudiants de 18 à 21 ans n’étaient pas majeurs. En 2006-2007, 21,3 % des élèves des Terminales avaient entre 19 et 21 ans1 : malgré leur majorité légale ils furent tenus de respecter la loi du 15 mars 2004 et les jeunes filles ne furent pas discriminées vestimentairement par la pression sexiste religieuse. Qu’adviendrait-il si la majorité légale était abaissée à 16 ans comme le demandent les Verts et la majorité pénale à 16 ans comme l’envisage le Président Sarkozy ?
En vertu du critère de la liberté de conscience liée à la majorité légale, la loi du 15 mars 2004 ne pourrait plus être appliquée dans les classes de première et de terminale. Par ailleurs 1,5 % des élèves de Terminale avaient 16 ans en 2006-2007 et sont devenus des étudiants mineurs dépourvus de la liberté de conscience. La coupure entre « les écoles, les collèges et les lycées publics » et le Supérieur n’est vraiment pas fondée pour l’application de cette loi, d’autant que la loi s’applique aux étudiants majeurs des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles dans des lycées. Le clivage mineurs / majeurs est un faux débat et un prétexte pour soustraire le Supérieur du champ d’application de la loi laïque et anti-sexiste du 15 mars 2004.
En somme, rien ne s’oppose à l’application de la loi du 15 mars 2004 à l’Enseignement supérieur. Toutes les conditions sont requises pour harmoniser les cinq niveaux du « service public national de l’Éducation ». Il convient de construire et de faire monter cette exigence républicaine, laïque et féministe pour que le gouvernement étende le champ d’application de cette loi.
- « Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche », édition 2007, p 103 ou sur le site www.education.gouv.fr (cliquer sur « Outils de documentation, d’information », « Évaluations statistiques », « Repères et références statistiques », etc.). [↩]