Quelles seraient les incidences, immédiates et prévisibles, de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), dite loi Pécresse ? Reprenons, sans entrer dans le détail, des dispositions essentielles.
I. Financement des universités :
Les universités disposeraient d’une plus grande liberté en matière financière et en matière de « gestion des ressources humaines ». Elles pourraient désormais largement accueillir des fonds privés provenant d’entreprises et de particuliers, par le biais de fondations. Les dons effectués par les individus ou les entreprises donneraient droit à une réduction d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés équivalant à 60 % des sommes versée : autrement dit, les individus ou les entreprises pourraient choisir d’affecter une partie de leur impôt à tel ou tel secteur de telle ou telle université, au lieu de s’en remettre à la répartition effectuée par l’État après recouvrement de l’impôt.
Or ces mécènes privés ne financeront pas n’importe quoi : ils décideront que les fonds versés seront consacrés à tel ou tel domaine de recherche, telle ou telle formation plutôt que tel autre. C’est évidemment une commodité pour les spécialités qui répondent aux besoins immédiats de l’industrie locale, notamment les sciences appliquées ou les technologies tertiaires.
Mais qu’en sera-t-il pour les disciplines et spécialités qui ne sont pas immédiatement rentables, les sciences fondamentales, les disciplines à valeur « culturelle », lettres, langues, sciences humaines ? Pour elles, sauf exception, ne restera que le financement d’État. Or rien dans la loi ne garantit un financement proportionnel aux financements privés. Au contraire, malgré les promesses verbales donnée par le président de la république et Mme Pécresse, on peut facilement prévoir que les vaches, déjà maigres, maigriront davantage puisque globalement les universités, du moins celles qui seront subventionnées par les mécènes, ne sembleront pas dépérir.
Dès lors, sauf quelques grands pôles qui pourront résister, les petites universités ou les universités de taille moyenne seront invitées à se consacrer à la formation de techniciens, d’ingénieurs et de gestionnaires.
Par le déséquilibre ainsi établi entre financement privé et financement public, on peut donc dire que la politique des universités sera orientée non par l’État d’après les principes du bien public et en fonction d’équilibres nécessaires dans l’aménagement du territoire, mais par les intérêts privés.
Des financements privés pourront même être accordés à tel ou tel projet de recherche (à tel ou tel projet de thèse, par exemple) : le secteur privé pourra donc peser assez précisément sur les contenu scientifique de la recherche, certaines orientations étant privilégiées et d’autres non.
II. « Gouvernance » des universités et statut des enseignants-chercheurs :
Le terme « gouvernance », employé par la loi, signifie clairement que l’université devrait être gérée comme une entreprise.
La nouvelle loi accroît les pouvoirs du président d’université. Il n’est plus nécessairement un enseignant-chercheur permanent en poste à l’université, mais doit simplement appartenir « à l’une des catégories de personnels qui a vocation à enseigner dans les établissements d’enseignement supérieur », ce qui permettra d’élire, par exemple, une personnalité d’entreprise ponctuellement invitée à dispenser des cours à l’université.
Dans le conseil d’administration, la part des personnalités extérieures (dont « au moins deux représentants des entreprises et du monde socio-économique ») croît, au détriment des enseignants-chercheurs, mais surtout des étudiants. Le conseil scientifique de l’université et le conseil des études et de la vie universitaires n’ont plus que voix consultative et ne participent plus à l’élection du président.
Ce dernier, tel un chef d’entreprise, dispose désormais d’un pouvoir considérable dans le recrutement des enseignants-chercheurs. Il peut exercer un droit de veto sur le choix exprimé par le comité de sélection chargé d’examiner les candidatures aux postes d’enseignantschercheurs. Ce comité de sélection, « créé » (selon des modalités non précisées) par les représentants des enseignants-chercheurs au conseil d’administration, remplace les anciennes commissions de spécialistes, dont les membres étaient élus, discipline par discipline, par leurs collègues. De plus, il est prévu que le président peut recruter en CDD ou CDI non seulement des agents techniques ou administratifs mais même des enseignants-chercheurs. Cette dernière disposition permet, à terme, de tarir le recrutement de d’enseignants-chercheurs fonctionnaires et de le remplacer par des recrutement par contrats de droit privé (dévoiement que les autres services publics connaissent bien, y compris l’enseignement secondaire). Pour de tels enseignants-chercheurs, c’est non seulement la précarité, mais la fin de l’indépendance scientifique et pédagogique vis-à-vis du président et des groupes de pression locaux. Par ailleurs, la création d’UFR, de départements et de centres de recherche au sein de l’université ne ferait plus l’objet d’un arrêté du ministre, mais d’une délibération du conseil d’administration. Leurs suppression ou leur regroupement pourrait s’opérer par avenant ajouté au contrat pluriannuel d’établissement. Autant dire que le conseil d’administration pourra plus facilement faire et défaire les UFR, c’est-à-dire ajouter ou retrancher telle ou telle discipline dans la configuration de l’université.
III. Orientation, professionnalisation et sélection :
Aux missions traditionnelles assignées aux universités la loi Pécresse ajoute « l’orientation et l’insertion professionnelle ». Le but affiché est louable en soi. Il reste à savoir comment il serait mis en oeuvre.
Pour ce qui est de la « professionnalisation » (terme diffamatoire, qui insinue que ceux qui ne travaillent pas dans le monde de l’entreprise ou sur le modèle de l’entreprise ne sont que des amateurs, fussent-ils les plus grands savants), il s’agirait de savoir, par exemple, si l’essentiel des activités d’enseignement et de recherche serait organisé dans le but de fournir de la main d’oeuvre aux entreprises, et de préférence aux entreprises locales. Alors l’université formera plus volontiers des techniciens ou des gestionnaires que des sociologues ou des historiens de l’antiquité, et même que des astrophysiciens. Voilà qui réduira sans doute le choix des études offertes dans une région donnée. Et il n’est pas sûr que les techniciens ou des gestionnaires ainsi formés soient embauchés.
On peut s’interroger également sur ce que sera l’orientation. L’expérience de l’enseignement secondaire, où l’on a cultivé le mythe du « projet personnel de l’élève » montre que l’orientation peut être simplement une procédure qui permet de faire accepter à l’élève ou à l’étudiant son propre échec, en l’amenant à ne concevoir que les ambitions les plus modestes, les plus restreintes aux besoins du marché. C’est une étrange façon pour le service public d’oeuvrer à l’épanouissement des individus.
De fait, la procédure de préinscription, instituée par la loi Pécresse, permet diverses pressions : tout candidat à l’inscription dans un établissement universitaire devra « avoir préalablement sollicité une préinscription de façon qu’il puisse bénéficier du dispositif d’information et d’orientation dudit établissement ». Cette formule vague laisse les universités libres d’organiser un filtre, avec questionnaires, voire lettres de motivations ou entretiens. Contrairement à ce qui est affirmé parfois ici ou là, il n’est pas vrai que les universités soient désormais libres de fixer leurs droits d’inscriptions, mais là encore, malgré les assurances verbales de Mme Pécresse rien ne garantit qu’ils continueront longtemps d’être fixés par le ministère.
Conclusion et commentaire :
Bien évidemment, la loi lésera les étudiants et les personnels. Elle porte atteinte de façon considérable à la démocratie dans le fonctionnement des universités. Mais elle va également à l’opposé du souci du bien public. On l’a vu, les entreprises acquerront dans le choix des orientations universitaires un poids incompatible avec la laïcité d’un service public. Alors qu’il n’y a pas de recherche sans que le chercheur dispose de temps et d’indépendance, des pressions pourront s’exercer sur lui. L’enseignement même pourra être contrôlé dans ses contenus.
Tout cela au nom d’une rentabilité économique vraisemblablement limitée aux préoccupations à court terme, et dont la science fondamentale et les lettres et sciences humaines feront les frais, sauf en quelques rares endroits. Or il faut songer que
- la recherche en sciences fondamentales est indispensable au développement de la recherche en sciences appliquées, donc à l’efficacité industrielle à long terme, et non pas seulement d’une région ; de la même façon, la recherche et la diffusion de l’enseignement en lettres et sciences humaines est nécessaire à la formation de professionnels de l’entreprise réellement performants (un gestionnaire cultivé est plus efficace qu’un gestionnaire inculte).
Il est vraisemblable que seul l’État est à même de ne pas s’aveugler sur la seule utilité à court terme. - surtout, la recherche et la diffusion de l’enseignement en lettres et sciences humaines, comme d’ailleurs dans les sciences fondamentales, est indispensable à la formation des esprits, en dehors de leur vie professionnelle, en particulier pour leur vie de citoyens. Or les concentrer dans quelques pôles privilégiés, c’est priver les moyennes et petites villes du rayonnement qu’elles peuvent apporter ; autrement dit, c’est réduire le maillage de la culture et d’un savoir à vocation généralisante et critique sur le territoire national. Ce n’est pas autre chose, dans ce domaine, que la disparition des services publics en Creuse ou en Lozère.
La loi Pécresse prétend remédier à des maux bien connus : le chômage des jeunes, l’échec massif des étudiants à l’université. Mais l’université a bon dos. Elle n’est tout de même pas responsable du chômage général qui touche la population. Quant à l’échec des étudiants, si l’enseignement secondaire n’avait pas été détruit par des réformes soigneusement concertées, si les bacheliers arrivaient à l’université avec une réelle formation intellectuelle, des connaissances à la fois diversifiées, organisées et d’une consistance digne de ce qu’on pourrait espérer à dix-huit ans, si le lycée public leur avait donné l’habitude de l’étude et de la rigueur au lieu d’imposer à ses enseignants une pédagogie qui compose avec la consommation paresseuse et le zapping sécrétés par la société marchande, ils échoueraient sans doute beaucoup moins à des examens qui ne sont certainement pas plus difficiles que ceux d’autrefois.