La situation catastrophique de l’emploi générée par l’économie libérale de marché a incité les gouvernements successifs à en imputer les causes essentielles à l’enseignement. Certes, l’Education Nationale se doit maintenant de réduire totalement l’illettrisme, mais aussi d’assurer une formation professionnelle et citoyenne. Ce que les responsables politiques oublient de préciser, c’est que ces trois conditions réunies n’empêcheront pas le chômage; en effet, sur 4 millions de chômeurs, 300 000 offres d’emplois ne sont pas pourvues faute de gens qualifiés. Ces dernières peuvent être satisfaites si l’Education assure la formation correspondante et donc ne laisse pas sortir du système scolaire 150 000 élèves sans diplôme (parmi ceux-là, certains cumulent les handicaps, d’où leur révolte spontanée ou instrumentalisée qui met en danger nos institutions). Pour les trois millions 700000 chômeurs restants, l’Education Nationale n’en peut rien!!! Elle doit donc être considérée comme participant à la formation de l’individu. Pour cela, enseignements public et privé ont une contribution tout à fait différente, utile par sa pluralité; cette spécificité, le privé la garde contre vents et marées, mais les responsables politiques ont effacé celle du public.
SPECIFICITES DE L’ENSEIGNEMENT PRIVE SOUS CONTRAT (à 95% catholique)
Quelques spécificités :
Possibilité de choisir les familles- non obligation d’appliquer la loi sur le voile ni celle sur l’intégration des enfants handicapés- très faible implantation en zones difficile (ZEP)-financement propre en plus de celui -injuste(cf plus bas)- de l’Etat.
Spécificité principale :
C’est le fameux « caractère propre », lié à la liberté pédagogique, c’est-à-dire le prosélytisme, point commun aux 3 monothéismes.
En effet, l’enseignement catholique affirme (sur internet) : « L’Enseignement catholique ne peut pas ne pas proposer aux élèves, tout en respectant leur liberté de conscience, la richesse du message évangélique. Il est clair que proposer et exposer n’est pas imposer ».
Il propose donc la réponse catholique (l’existence d’un dieu et les valeurs associées) et même y prédispose les élèves. Comment ? De deux façons :
- en ne proposant pas sur le même mode d’autres réponses possibles
- en liant la pédagogie à cette vision : « Il est intéressant de voir comment un professeur (de mathématiques) respectueux de ses élèves, peut mettre à leur disposition, à l’intérieur de son enseignement, une ouverture vers le spirituel » (cf p.1 de « Grain de mathématiques », rubrique« Mathématiques » dans : www. enseignement-et-religion.org) ; la page 12 est encore beaucoup plus explicite: on y rappelle qu’en mathématiques, deux courants pédagogiques se sont succédés (avant et après 1970) : le 1er partant du général pour expliquer le particulier disait-on dans les programmes officiels, « recevant » les axiomes « comme une vérité transcendante qui s’impose et à partir de laquelle il est possible de réfléchir » traduisait-on dans le privé sous contrat; le 2ème partant du particulier pour aboutir à l’abstraction (programmes officiels), » à une abstraction reconstituée,…,à une autre approche du surnaturel » traduisait –on dans le privé sous contrat. Dans ce privé, les deux pédagogies sont non seulement maintenues, mais utilisées « comme va-et-vient… prédisposant » à cette approche du surnaturel, pour laquelle » le professeur de mathématiques ne sort pas de sa fonction s’il en informe son collègue catéchète ». Et celui-ci « peut tirer profit de cette information donnée par le professeur de mathématiques ».
Imagine-t-on un professeur du public mettant à profit son enseignement et celui de ses collègues pour « ouvrir » à sa propre conviction spirituelle, politique, etc? Ce serait à l’opposé de la laïcité de l’enseignement public.
Donc, l’enseignement privé confessionnel en général, catholique en particulier, contribue à la formation de l’individu, mais LA DIFFERENCE FONDAMENTALE AVEC LE PUBLIC, c’est que la formation y est orientée spirituellement ; elle ne développe donc pas l’autonomie réelle de l’élève et en particulier celle de son jugement.
Il n’y a rien à dire quant à l’exercice de ce prosélytisme : nous sommes en démocratie ; mais que celui-ci soit financé par l’Etat, (rappelez-vous que, surtout à partir les années 1959, ce financement public assure le fonctionnement, l’investissement de ces établissements, leurs intervenants, la formation, la rémunération et la retraite de leurs enseignants, tout ceci à égalité avec le public,….), et qui plus est par l’Etat laïque, NON! Pourquoi ? Cela crée une inégalité de fait dans le traitement entre la religion majoritaire (catholique) et les autres religions d’une part, entre les croyants et non-croyants d’autre part.
SPECIFICITES DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC :
Quelques spécificités :
L’enseignement public se doit d’accueillir tous les élèves, quelles que soient leurs différences. Il reçoit, outre la population « traditionnelle », les élèves non francophones, ceux en grande difficulté (CLIS), les élèves handicapés dans des structures adaptées et avec des personnels spécialisés. Cette spécificité a été malheureusement remise en question par la loi Montchamp qui, pour des raisons strictement comptables et sous couvert de bons sentiments, a supprimé ces structures. L’enseignement public est très majoritairement implanté dans les ZEP : sur tout le territoire, 5000 établissements publics pour 17 établissements catholiques.
Spécificité principale :
C’est la philosophie qui le sous-tend : la laïcité et sa concrétisation incontournable.
Elle est le grand héritage des Lumières. Or, celles-ci constituent (cf Todorov dans son livre : « L’esprit des Lumières »), « ce grand basculement qui plus que tout autre est responsable de notre identité présente ». Qu’on le veuille ou non !!!
Pour assurer la liberté et l’égalité, valeurs consubstantielles à la laïcité, l’enseignement public doit :
1) être indépendant de toute option politique, spirituelle, économique
2) affirmer les droits fondamentaux des personnes et les valeurs de notre République
3) les enseigner
4) les pratiquer :
- a) comment ? Par la transmission objective de la connaissance, par le plaisir d’y accéder au cours de la scolarité mais aussi plus tard, par le développement du jugement : exercice de la raison et de l’esprit critique.
- b) pourquoi ? Parce que la LIBERTE DE CONSCIENCE IMPLIQUE LA LIBERTE DE CHOIX, MAIS AUSSI LES MOYENS POUR EXERCER CE CHOIX, c’est-à-dire le développement de l’AUTONOMIE du futur adulte -cf a) -. Là est toute la différence avec l’enseignement confessionnel.
Ainsi, le futur citoyen pourra comprendre la société dans laquelle il vit et élaborer tout au long de sa vie, ses propres réponses. Le sens que le futur citoyen donnera entre autres à sa vie spirituelle n’est donc pas l’apanage des religions comme on veut nous le faire croire, car celles-ci proposent uniquement leur réponse et le chemin pour en être convaincu, comme on l’a vu plus haut (p. 12 de « Grain de mathématique »). Pour le futur adulte, il est à la fois exaltant et parfois angoissant d’exercer ce travail de liberté, de construire ses choix, plutôt que d’en suivre certains auxquels il aura été prédisposé et (ou) sur lesquels il n’aura pas exercé son jugement. C’est le prix à payer pour exercer cette liberté.
Malheureusement, ce gouvernement surtout, a désagrégé l’enseignement public, favorisé l’enseignement confessionnel et vidé le premier de son essence même : la laïcité. Comment ?
1) En orientant les programmes :
- les Lumières sont absentes en tant que telles dans la culture humaniste du socle commun (cf BO de juillet 2006), alors que la Bible et le Coran y sont envisagés par l’étude de certains de leurs textes
- l’enseignement du fait religieux y est inscrit, alors que le fait athée ne l’est pas; en effet: s’il y a un enseignement du fait religieux, il doit être dispensé du point de vue historique, donc essentiellement politique puisque dans notre pays (comme ailleurs), les pouvoirs politiques et religieux ont été liés.
- si ce fait religieux est abordé dans son contenu (c’est le cas avec l’étude de certains textes de la Bible et du Coran), la question doit être envisagée sous l’angle de l’ensemble des réponses données aux questions fondamentales: d’où venons-nous et où allons-nous?, réponses qui se classent en 3 catégories: celles des croyants, celles des athées et celles des agnostiques. Ce fait religieux doit donc être relativisé et dispensé comme étant une conviction propre, celle d’un groupe, d’une société, et non vérifiable comme l’ensemble des convictions personnelles. Ainsi, il ne doit lui être accordé pas plus d’importance qu’à l’athéisme ou aux postulats philosophiques enseignés à égalité avec le premier.
- surtout celui de la laïcité ne prime pas sur les précédents alors qu’elle permet pourtant la compréhension de l’universalité des valeurs de liberté, d’égalité en dignité et en droits, donc de fraternité et de citoyenneté, et qu’elle englobe les particularismes des enseignements précédents.
2) En maintenant le privilège, l’anachronisme et le financement public des aumôneries dans et hors des établissements publics pour leurs élèves volontaires
3) SURTOUT en y multipliant les obligations, et donc les problèmes liés à celles-ci, sans octroyer les moyens correspondants.
Les enseignants oeuvrant au plus pressé sont contraints de rester « le nez sur le guidon ». Travailler dans l’urgence ou à court terme n’est pas, à long terme, synonyme de vie ; il est synonyme de mort. La laïcité n’est plus qu’une notion lointaine pour eux. Ceci est d’autant plus accentué que ce gouvernement ne l’utilise plus que médiatiquement, et comme bouclier, non comme idéal à atteindre ; d’où LE LENT ET INEXORABLE DECLIN de celle-ci.
Pendant ce temps, le privé, bénéficiant de la concurrence déloyale orchestrée politiquement, continue à exercer son caractère propre, c’est-à-dire le prosélytisme.
Depuis quelques années, LE DESEQUILIBRE EST AMORCE et s’accélère ; les élus et responsables politiques actuels et les futurs citoyens n’ont plus et n’auront pas les bases nécessaires pour résister aux pressions religieuses ni redresser la situation.
CONCLUSION :
Nous qui savons que le vivre ensemble en paix commence par la réalisation de la laïcité dans l’enseignement public d’abord, mais aussi dans la société civile, nous devons exiger des gouvernements qu’ils aient le courage d’une part d’en affirmer la grandeur et la justice, d’autre part de la défendre en redonnant d’abord aux enseignants du public leur véritable mission, ensuite en repensant l’attribution des finances publiques pour assurer concrètement la séparation des ordres (État-Églises, sphère publique-sphère privée).
Ceci est une nécessité pour notre société en mutation, pour nos jeunes, pour l’Europe qui a mis en place une certaine liberté et la démocratie, mais qui n’est toujours pas prête à admettre l’égalité en droits entre les différentes options spirituelles, c’est-à-dire l’égalité sur ce qui touche à l’essentiel de l’être, pour les femmes et les hommes enfin qui n’en bénéficient aucunement dans leur propre pays et qui puisent la force de leur combat dans l’immense espoir que suscite notre idéal laïque.