En mars dernier, l’UFAL est entrée dans le collectif « Printemps 2010 » qui regroupe une dizaine d’organisations associatives et syndicales (Attac, Fac verte, FERC Sup-CGT, Fondation sciences citoyennes, Sauvons La Recherche, Sauvons l’université, SNCS-FSU, SNESUP-FSU, SNTRS-CGT, Les Sud éducation, recherche et étudiant, UFAL, UNEF). Ce collectif entend combattre la stratégie de Lisbonne déjà fortement engagée dans la plupart des pays européens, stratégie qui renforce la mainmise du marché sur l’enseignement supérieur et sur la recherche. Il est à l’initiative d’un Appel à l’organisation d’un contre-sommet qui aura lieu en mars 2010.
Le collectif « Printemps 2010 » organisait samedi dernier une journée sur le thème « Une autre Europe du savoir » (voir ci-après l’appel du collectif).
Quel est le constat que l’on peut dresser aujourd’hui en matière de recherche et d’enseignement supérieur ? En entendant les analyses et les témoignages des différents intervenants (en particulier des enseignants venus de différentes universités d’Europe), on ne peut qu’être frappé par la puissance et la cohérence du programme qui est appliqué, depuis quelques années, dans les différents Etats européens. Ce programme a été édicté lors du sommet de Seattle en 1998 sous la forme de cinq « recommandations » : favoriser la liberté de circulation des étudiants, abandonner les diplômes nationaux, harmoniser les cursus, mettre en place un système de contrôle et d’évaluation de l’enseignement supérieur, diminuer la part des financements publics. La partition a donc été écrite par la gouvernance mondiale. Elle a été mise en musique par les traités européens. Elle est aujourd’hui orchestrée par les Etats-membres, au mépris de la souveraineté des peuples. Peu de citoyens connaissent la partition, qui, il faut bien le dire, est écrite pour être intelligible aux seuls experts. En revanche, on connaît la musique : les traités européens ont pris soin de lui donner des accents mélodieux, propres à séduire les oreilles des habitants du vieux continent. Du programme « Socrate » à « Erasmus », en passant par « Léonard de Vinci », la tonalité est des plus humanistes. La chanson douce a pourtant des accents féroces : mise en place du système LMD, loi LRU sur l’autonomie des universités, remise en question du statut des enseignants-chercheurs, privatisation de la recherche, fétichisation de l’évaluation, passage d’un mode de gouvernement collégial à un mode de gouvernement « managerial » des universités, autant de « réformes » qui préparent la constitution d’un marché de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Bien sûr, il ne s’agit pas de privatiser immédiatement ces deux secteurs. Les néo-libéraux ne sont pas des têtes brûlées : ils ne tiennent pas à ce que les citoyens descendent dans la rue. Plus habilement, il s’agit de préparer les esprits à l’idée que le chercheur est un entrepreneur (dont la première « recherche » est celle d’un financement), que la recherche doit être « innovante » (c’est-à-dire déboucher sur des brevets), que la formation consiste à produire du « capital humain » (c’est-à-dire des agents économiques qui ne seront jamais instruits de rien mais qui pourront se recycler tout au long de leur vie professionnelle, pour maintenir leur niveau d’employabilité), que l’étudiant est un client (qui achète sur le marché un diplôme dont la valeur dépend du prestige de l’université qui le délivre, prestige qui est lui-même fonction du montant des frais d’inscription), et, surtout, que le savoir est un bien économique.
Comme le montre Christian Laval, l’université est aujourd’hui le théâtre d’une révolution qui transforme radicalement la conception du savoir, ses règles de production et de vérification, mais également sa place dans la vie sociale et dans la culture. Cette révolution est si profonde qu’il convient de parler d’un « nouvel ordre » dans l’enseignement supérieur et la recherche. Il s’agit d’une révolution silencieuse, qui a été préparée dès les années 1990 dans le cadre des instances économiques et financières internationales (OMC, OCDE, etc.) au nom de la nouvelle gouvernance mondiale, et qui a été ensuite relayée par les institutions européennes, dans le cadre, notamment, des traités de Bologne et de Lisbonne. Cette révolution vise à créer une « économie de la connaissance ». Elle implique par conséquent un changement de paradigme. Le savoir n’est plus un bien en soi, mais un bien économique. A l’instar de la santé, il est désormais sommé d’entrer dans ce que Marx appelait la « forme-marchandise ». L’un des principaux effets de ce changement de paradigme a été de déplacer l’instance de légitimation en matière de savoir : les lieux académiques ont été progressivement dépossédés de leur légitimité au profit des institutions financières qui, au niveau mondial, décident désormais des politiques qu’il faut mettre en oeuvre au niveau national.
Tout se passe comme si un véritable rouleau-compresseur était non seulement en train d’uniformiser les politiques des Etats-membres en matière de recherche et d’enseignement supérieur, mais aussi d’éradiquer le modèle qui s’était imposé bon an mal an en Europe sous l’impulsion de l’humanisme puis des Lumières. On assiste par conséquent à une bien curieuse régression : alors que les philosophes du XVIIe siècle n’ont eu de cesse de libérer le savoir des dogmes qui étaient susceptibles de l’aliéner et des tutelles qui étaient susceptibles de l’asservir, les néo-libéraux n’ont aujourd’hui de cesse de l’inféoder à un nouveau dogme, celui du marché et de la compétitivité.
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