L’Inspecteur d’Académie du Calvados a décidé d’utiliser la vieille méthode de la carotte et du bâton : désormais, les établissements ayant un fort taux de redoublement seront sanctionnés au profit des établissements vertueux qui ne font pas — ou peu — redoubler les élèves. On supprimera des heures de cours dans les premiers pour en faire cadeau aux seconds. Non seulement cette mesure est inepte (puisqu’elle revient à retirer des heures de cours aux élèves qui, précisément, en ont le plus besoin), mais elle porte atteinte au modèle républicain sur lequel l’école publique s’est construite en France. Elle revient en effet à attribuer les heures de cours non en fonction de critères définis dans le cadre de programmes nationaux, mais d’« objectifs » déterminés de façon locale. S’inspirant de la loi NCLB (« No Child Left Behind ») votée par le Congrès américain en 2001, cette mesure rompt le principe d’égalité républicaine et lui substitue celui de la mise en concurrence des établissements. Elle repose, enfin, sur une évidence partagée à la fois par les réformateurs de gauche et de droite, pour des raisons idéologiques ou bassement comptables : le redoublement est un mal.
Posons le principe suivant : de même qu’une construction architecturale croulera si les bases en sont mal assurées, de même un élève ne saurait progresser sereinement s’il lui manque des éléments sur lesquels fonder de nouveaux savoirs. Conséquence : si l’on veut réellement instruire un élève, c’est- à-dire lui permettre de construire son propre édifice du savoir, il faut faire en sorte que, à chaque moment-clé de sa scolarité, cet élève ait compris ce qu’il est censé devoir déjà comprendre pour envisager de comprendre d’autres choses. Et si tel n’est pas le cas, l’élève aux connaissances branlantes doit être aidé pour maîtriser ce qui lui est nécessaire pour poursuivre dans ses études, que cette aide prenne la forme du redoublement ou toute autre forme pédagogique réellement efficace, sans souci de ce que cette aide puisse coûter aux finances publiques : l’instruction est une obligation de l’État inscrite dans la Constitution.
M. Huchet, inspecteur de l’Académie de Caen, semble avoir une vision de l’architecture et de l’obligation d’État d’instruction incompatible avec le principe que nous venons de poser. Comme on peut le lire dans l’Humanité datée du 24 février : « Les collèges du Calvados avec trop forts taux de redoublement verront leurs moyens baisser ». Ainsi, dès « la rentrée prochaine, les moyens de fonctionnement en nombre d’heures de cours et de soutien scolaire se verront amputés pour des établissements qui font redoubler “trop” d’élèves. » Le « trop » ici correspondant à un taux de redoublement supérieur à 2,5 %. La justification donnée par M. Huchet est la suivante, justification bien éloignée de toute considération pédagogique : « Un collégien coûte environ 8 500 euros chaque année à l’État. Rapportée aux 1 050 redoublants annuels (sur 27 000 collégiens dans le Calvados), cette somme s’élève à 8,5 millions d’euros soit environ 170 postes ».
Il ne s’agit donc pas pour M. Huchet de convaincre par des raisons les professeurs de l’inanité pédagogique du redoublement, mais bien plutôt d’organiser des conditions d’enseignement impropres à l’obligation d’État d’instruction publique : à des élèves en difficulté, l’État, par l’entremise d’un de ses fonctionnaires, donnera moins de professeurs. Le remède est tout de même scandaleux ! En sanctionnant les professeurs, ce sont, n’en doutons pas, les élèves qui sont sanctionnés au premier chef, les bons comme les mauvais élèves, du reste. Ainsi, comme on peut le lire dans l’article de l’Humanité, le collège Létot de Bayeux perdra « dès l’année prochaine trois postes en maths, anglais, histoire-géo à cause des redoublements ».
Mais n’en voulons pas au boutiquier M. Huchet qui n’est qu’une courroie de transmission d’un gouvernement ladre qui sciemment organise la destruction du savoir. Car ne soyons pas dupes, la question pécuniaire n’est ici qu’un prétexte : si l’on juge qu’il revient trop cher d’instruire les élèves c’est que l’on a déjà refusé de les instruire, c’est que l’on veut qu’ils restent des esclaves à qui il ne faut sous aucun prétexte donner les conditions morales de leur affranchissement.