Le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) vient de rendre un avis à propos de « la formation initiale et du recrutement des professeurs des premiers et seconds degrés ».
Mandatée par le ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse et des sports, cette étude a voulu répondre à l’impératif de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire en plein contexte de crise des vocations et de souffrance des personnels.
Le CSP constate à juste titre que les « importants besoins de recrutement s’accompagnent d’une faible attractivité du métier d’enseignant qui se manifeste par une baisse tendancielle des inscriptions aux concours (…) ». Cette baisse « ne permet plus de garantir la qualité de tous les lauréats (…) » même si « tous les postes ouverts ne sont pas pourvus ». En effet, les jurys, et c’est heureux, excluent les candidats trop faibles, quitte à ne pas pourvoir tous les postes. D’autre part, cette crise des vocations touche également les professeurs en fonction puisque le CSP prend acte que « l’augmentation du nombre de reconversions au titre d’une deuxième carrière » ne cesse d’augmenter.
Pour endiguer cette inquiétante baisse du nombre de professeurs, le CSP apporte une solution dès l’introduction de son rapport : « des efforts importants au titre de la formation initiale et continue de ces types de personnels ». Autrement dit, la seule raison de la désaffection du métier serait le manque de formation. Mais quid des salaires ?
Il y a 40 ans, un professeur gagnait 2,4 SMIC contre 1,1 aujourd’hui. Or, le CSP ne mentionne à aucun moment la question pourtant primordiale de la reconnaissance, en particulier par le biais des salaires. Sachant que les mesures à venir s’appuieront sur ce rapport, ne peut-on pas d’emblée conclure à une fâcheuse omission qui laisse présager de futures réformes qui, comme toutes les autres, ne serviront à rien sinon à empirer la situation ?
Dans la suite de son rapport, le CSP mène deux études. L’une concerne les professeurs des écoles, l’autre les professeurs du secondaire. Chacune d’elles développe sept scénarios de recrutement qui ont tous un point commun : professeur, c’est bac+6. La 6e année, dite « de pratique » (titularisation), étant rémunérée. Autre point commun, l’articulation entre formation universitaire (Licence-Master) et concours relègue parfois ce dernier au second plan. Elle fait alors prévaloir le « parcours de formation » avec un concours réduit à un dossier et un oral de recrutement censés évaluer les « motivations du candidat ». La CSP s’inscrit ainsi dans la logique professionnalisante des « Masters MEEF1 » soi-disant plus adaptés pour l’enseignement que les Masters dits « recherche », appelés plus simplement « Maîtrise ». Et si l’objectif était de faire un entretien d’embauche « comme en entreprise », c’est manqué ! Le privé ne recrute pas comme ça ni ne paye aussi mal ses cadres… D’ailleurs, quitte à s’aligner sur les pratiques du privé, alors pourquoi ne pas aligner également les salaires avec ceux du privé((Cf. le graphisme à cette adresse : https://seenthis.net/messages/816524. Et quitte à poursuivre le raisonnement, et toutes choses égales par ailleurs, comparons aussi le temps de travail. En première approximation, 230 jours pour le privé, contre 200 pour un professeur qui gagne en milieu de carrière (net avant impôt) 35 k€, contre 45 k€ (sans la part variable !) dans le privé. Soit 10 k€ de différence. Plutôt chères les vacances de 30 jours de différence ! Poursuivons et payons 10 k€ chaque enseignant en France. Soit environ 1000 € net/mois, soit 20 k€ par an en brut avec les cotisations sociales. Donc 20 k€*1million d’enseignants (avec le supérieur) = 20 milliards. C’est-à-dire un demi CICE. D’un côté 1 million d’emplois pour 20 milliards, de l’autre 300 000 pour plus de 40… Qui ose encore dire que la France n’a pas les moyens ?)) ?
Certains scénarios suppriment les concours disciplinaires avec les traditionnels écrits (admissibilité) et oraux (admission). S’il est juste que l’essoufflement du vivier de candidats aux concours handicape leur qualité, les propositions du rapport sont tout à fait étonnantes : pourquoi les étudiants en master seraient-ils meilleurs sans passer les concours ? Au contraire, c’est grâce au concours disciplinaire que le candidat est contraint de faire le bilan de ses études : une synthèse des connaissances dispensées par l’Université en amont. Ce corpus suffisamment large de connaissances devient alors un savoir : le savoir de l’enseignant, essentiel à la transmission. Est-ce à dire que le CSP conseille de sacrifier la qualité pour pallier la désaffection du métier ? D’autant que l’accent est parfois mis sur la « bivalence », soit la dispense de plusieurs matières pour un même enseignant. Si cela ne choque pas pour les classes de primaire, en collège et en lycée, c’est très différent. On peine à comprendre pour quelle raison l’obligation de maîtriser plusieurs disciplines susciterait des vocations ou serait gage de qualité de recrutement. D’autant que d’après la commission, les candidats rencontreraient déjà des difficultés à n’en maîtriser qu’une… Le concours est la reconnaissance d’un gros travail de maîtrise d’une discipline. Le lauréat, alors reconnu par ses pairs, devient légitime sur le plan théorique à professer une matière. Autrement dit, les supprimer, c’est détruire la dernière reconnaissance, le dernier prestige aux professeurs. Prestige qui en motivait d’ailleurs beaucoup… Si les concours dysfonctionnent faute de vivier, il suffit d’attirer des candidats de qualité vers l’école plutôt que de les laisser partir vers le privé. Pour cela, la réponse est toute trouvée : se référer à la courbe((En l’occurrence et pour exemple, le manque de professeurs dans l’académie de Créteil est plus fort qu’ailleurs.)). Le CSP justifie ses scénarios par le sempiternel exemple des autres pays. Rendons-nous compte ! Nous serions une exception : les seuls à procéder par concours disciplinaires ! Oui, et alors ?
Tout aussi graves, certaines propositions envisagent un recrutement à l’échelle locale. Que faut-il comprendre ? Qu’à l’instar des professeurs des écoles recrutés régionalement, les enseignants du secondaire ne le seraient plus au niveau national ? Serait-ce une régionalisation du recrutement ou une possibilité pour chaque établissement de recruter sur dossier ses propres enseignants ? Mais dans ce cas, ce serait substituer un concours anonyme basé sur les savoirs par un oral d’entretien basé sur l’attitude. La sélection serait donc toujours présente, mais à quel prix pour l’avenir de la Nation ? Un savoir évalué nationalement et anonymement par un jury ou un « savoir-être » adapté au contexte local évalué par une seule personne ? On doute que cela suscite des vocations, surtout si le service public et le statut de fonctionnaire en ressortent menacés ou affaiblis.
En effet, confier exclusivement au local la partie théorique et le recrutement des professeurs du secondaire rajoute à l’hétérogénéité déjà trop grande du recrutement des professeurs des écoles, le risque d’une inégalité entre les territoires. Or, le service public d’État doit garantir l’égalité du service public : qu’aucune distinction ne soit fondée sur le lieu de résidence. Comment peut-on assurer ce principe fondateur de la mission de service public tout en donnant un monopole aux régions déjà atteintes de grandes disparités2 ? En quoi un recrutement local permettra-t-il de pallier ce que le National peine à faire malgré les mutations dans les régions déficitaires ? En rendant les professeurs et les territoires bien trop dépendants du local, la mission de service public et le statut de fonctionnaire d’État en ressortent largement affaiblis. On doute que l’État puisse mieux assurer l’égalité sur tout le territoire avec un tel recrutement local. Par ailleurs, au sein d’une même région, les différences entre les établissements n’en seront-elles pas d’autant plus exacerbées, et avec elles, l’égalité républicaine ?
Certes, si le CSP se prononce pour le maintien du statut de fonctionnaire, on peut tout à fait craindre que le Gouvernement ne l’entende pas du tout de la même façon. Car, comme le rappelle la commission : « la contribution [du CSP]consiste à se mettre au service des acteurs et des décideurs en leur proposant des pistes de réflexion (…) pour améliorer la situation actuelle. » On peine à trouver un quelconque progrès pour l’école publique. En revanche, son délitement ne fera qu’augmenter les effectifs de l’école privée, majoritairement confessionnelle, entretenant une mixité sociale plus que douteuse((Extrait du Rapport 2022 du Collectif Laïque National :
« Le ministère de l’Éducation nationale a été contraint par une décision de justice à rendre publics les “indices de position sociale” (IPS) qu’il élabore pour les collèges et les écoles primaires. Le Collectif demande que soient également publiés les IPS des lycées publics et privés.
Ces IPS, calculés en interne, sont utilisés pour attribuer certains moyens aux écoles et établissements, publics ou privés sous contrat. Leur publication n’a fait que confirmer le dualisme scolaire. Les établissements privés sous contrat concentrent les catégories les plus favorisées de la population, tandis que l’école publique regroupe les élèves issus des milieux populaires. Ainsi :
– à la rentrée 2021, les établissements privés sous contrat accueillaient 40 % d’élèves issus de catégories favorisées contre 19,5 % pour le public, quand ce dernier comprenait 42 % d’élèves issus de milieux défavorisés (19 % pour le privé ;
– parmi les 10 % de collèges à l’IPS le plus “faible”, on trouve seulement 3,3 % d’établissements privés. A contrario, 81 des 100 collèges à l’IPS le plus “élevé” sont privés.
Les établissements d’enseignement privés participent donc puissamment à la mécanique de ségrégation scolaire. À la différence des établissements publics, qui rappelons-le, accueillent les élèves “tels qu’ils sont”, le privé est payant et peut se permettre de choisir ses élèves. Il en découle une faible représentation des catégories populaires.)).
En conclusion, pourquoi des étudiants choisiraient-ils de faire un master enseignement et une 6e année de titularisation pour finalement ne gagner que 1600 (et même pour 2000 euros) par mois en début de carrière pour arriver glorieusement à 2100 euros mensuels au bout de quinze ans3 ? D’autant qu’ils ne le font déjà pas avec moins de contraintes, des INSPE — dont la réputation n’est plus à faire — bien moins présentes, et avec un statut garanti ? En quoi supprimer les concours et exiger plusieurs disciplines permettront de recruter les meilleurs candidats ? Il est évident qu’avec une telle rémunération pour un tel niveau de qualification, les étudiants seront d’autant plus encouragés à partir dans le privé, bien plus reconnaissant. C’est d’ailleurs ce qu’ils font déjà !
On ne peut croire à de pareils paradoxes sauf si… l’ambition à peine cachée du Gouvernement est idéologique : tout néolibéraliser. Que l’État transforme tout en marché, supprime les fonctionnaires et réduise le savoir à des « compétences » ou à des « savoir-être ». Ces vues utilitaristes, entérinées dernièrement par la réforme du baccalauréat, sont le contraire d’une école instituant des citoyens : êtres libres et libérés par les disciplines. Pire : le CSP n’aborde même pas la question des programmes comme vecteur d’attractivité du métier d’enseignant ! Finalement, le CSP parachève le rapport McKinsey de janvier 2022 sur la question de l’attractivité : zéro augmentation. Nonobstant des dispositifs « schtroumpfs » de « revalorisation » pour mieux préparer la disparition du statut de fonctionnaire.
- Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation [↩]
- En l’occurrence et pour exemple, le manque de professeurs dans l’académie de Créteil est plus fort qu’ailleurs. [↩]
- si du moins on en croit la future « augmentation » du Ministre. Rappelons que cette dernière devait avoir lieu en septembre 2022 après 15 ans du gel du point d’indice, et être de 10 %, et cela dans un contexte inflationniste de +11 % en un an. Soit, 1 % de moins que l’inflation. Bref, passons. Finalement, elle n’a pas eu lieu en septembre : reportée en janvier 2023. Mais elle n’eut pas lieu non plus. Reportée en septembre 2023… sous certaines conditions. Elle sera notamment conditionnée à l’acceptation de certaines missions comme remplacer des professeurs absents. Belle trouvaille ! Cela existe depuis des années et ça ne fonctionne… pas ! Ne serait-ce que pour des questions de contraintes d’emploi du temps. Rappelons que les enseignants sont en moyenne moins absents que les travailleurs du privé. [↩]