L’Appel du 8 novembre, réuni en assemblée le samedi 17 janvier 2009, constate que les ministères concernés, dans leur communiqué du 15 janvier 2009, ont choisi de ne pas entendre les raisons du mouvement massif de refus qu’a suscité leur projet de réforme de la formation des enseignants et des concours de recrutement. En effet, loin de revenir sur la logique de leur politique, les deux ministres ont choisi explicitement de répondre – d’ailleurs très partiellement – aux seules demandes qui leur avaient été présentées par la CPU et par les organisations d’étudiants. Il est à espérer que ces deux destinataires manifestes du message ministériel ne se laisseront pas abuser par cet exercice de communication et de division de la communauté universitaire.
Les effets avérés ou prévisibles de la « réforme » en cours sont connus et demeurent les mêmes : développement de la précarisation des enseignants avec les suppressions massives d’emplois ; affaiblissement des masters recherche du fait de la concurrence des filières enseignement ; dangereuse mise en concurrence d’un diplôme avec un concours ; appauvrissement des contenus disciplinaires et pédagogiques de la formation ; diminution du nombre des épreuves au concours et dénaturation de celles-ci ; suppression de l’année de stage rémunérée suivant la réussite au concours.
Une fois de plus transparaît dans ce communiqué l’idée que les deux ministres se font de la « concertation choisie » : laisser dire à la plupart de leurs interlocuteurs ce qu’ils ont à dire mais surtout ne pas en tenir compte. Peu importe pour eux que la précipitation dans laquelle a été préparé ce projet rende le calendrier imposé aux universités ubuesque et fasse peser des doutes sur la possibilité même de sa mise en place. Peu importe aussi que ce projet ait été rejeté sans la moindre ambiguïté par de nombreuses universités, des dizaines de département, de formations, d’IUFM ou d’UFR, la plupart des sociétés savantes des sciences humaines et sociales, des milliers de citoyens et de membres des communautés universitaires signataires de l’appel du 8 novembre. Peu importe encore que de nombreux syndicats de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur (toute la FSU notamment), plus de soixante-dix conseils centraux d’université ou la très représentative Société mathématique de France (SMF) demandent avec insistance le maintien des concours de recrutement en l’état en 2010.
QUE NOUS ANNONCENT DONC LES DEUX MINISTRES ?
Des mesures transitoires pour les étudiants déjà engagés dans la préparation des concours. C’était quand même le moins que l’on pouvait faire et, de toute façon, de nombreuses universités avaient déjà mises en place de telles mesures ! En revanche, rien n’est dit des étudiants qui, à l’avenir, échoueront au concours tout en ayant réussi le master et qui souhaiteraient repasser les concours (et pourtant, ils représentent un nombre très important des lauréats au terme de cette deuxième année de préparation).
Une série de bourses dont les montants mensuels (250 € à 300 €) et dont la logique (attribution au mérite plus que sur critères sociaux) ne sont pas susceptibles de garantir la diversité sociale des candidats aux concours de recrutement.
Des milliers de postes réservés d’assistants d’éducation alors que l’on sait fort bien que ces postes pour permettre de vivre décemment supposent un horaire de 35 heures par semaine, bien peu compatible avec la préparation sérieuse d’un concours de recrutement.
Des milliers de stages promis et, pour certains rémunérés, afin de tenter grossièrement d’« acheter » la paix sociale dans les universités, mais sans que soit précisé clairement ni qui assurera le suivi de ces stages, ni comment ces formateurs seraient quant à eux rémunérés, ni qui y participera. S’ils sont réservés aux seuls admissibles, quel est le temps laissé à la correction de l’écrit des concours ? Si tout le monde y a droit, alors il n’y en aura pas assez ! En effet, 40 000 stages, cela correspond au nombre des étudiants aujourd’hui inscrits en première année d’IUFM mais pas à celui des candidats aux concours, qui est de l’ordre de 160 000. Par ailleurs, la solution adoptée affaiblira la formation disciplinaire sans pour autant permettre une formation pédagogique satisfaisante car les étudiants non lauréats au concours ne sauraient être en responsabilité. Sans compter enfin que l’usage récurrent du verbe « pouvoir » au futur laisse planer de grandes incertitudes sur ces engagements mêmes…
Pour les 3000 euros de « gratification » (terme choquant s’il en est, et non dénué de mépris), promis pour quelques mois de stage en alternance, ils n’ont rien à voir avec la situation antérieure, à savoir un salaire mensuel pour des fonctionnaires-stagiaires pendant une année de formation en alternance.
Quant à la commission nationale d’évaluation de la formation des maîtres dont on peut imaginer qu’elle répond à la demande de la CPU d’un dispositif d’évaluation et de suivi national de la réforme en cours, elle est composée de 20 membres tous nommés (Décret n° 2007-643 du 30 avril 2007 relatif à la Commission nationale d’évaluation de la formation des maîtres), sans aucun représentant des syndicats de personnels ou d’organismes consultatifs. Elle est chargée d’évaluer les plans de formation des établissements dans le cadre de la politique contractuelle. Ses objectifs, sa composition n’ont donc rien à voir avec des organismes consultatifs ou les comités de suivi Licence ou Master.
Les ministères, avec ces annonces, ont clairement dévoilé le double dessein qui anime cette « réforme » depuis sa conception : faire des économies budgétaires en supprimant les salaires versés aux fonctionnaires stagiaires et créer un volant d’enseignants précaires reçus aux masters et collés aux concours – ce qui, à terme, remettra en cause l’existence du concours comme forme républicaine de recrutement, voire le maintien d’un statut de fonctionnaire pour les enseignants.
Il doit être clair pour tous que ces deux petites pages communiquées par les ministres ne répondent en rien aux attentes de la communauté universitaire ni à celles des étudiants ou des enseignants en poste dans les écoles, collèges ou lycées. Il est d’autant plus urgent d’en appeler à un débat national sur la formation et le recrutement des enseignants. L’importance scientifique et sociale de cette question n’est pas à démontrer et elle ne peut être réglée sans la participation active et l’adhésion de celles et ceux qui devront porter la formation de nos futurs collègues du premier et du second degré : en premier lieu, les enseignants des universités, mais aussi les conseillers pédagogiques dans le second degré et les maîtres-formateurs dans le premier degré.
L’Appel du 8 novembre est donc au regret de constater que le gouvernement a choisi de passer en force sur ce projet de « réforme ».
Nous ne souhaitions pas le conflit ouvert qui se dessine. Il est d’autant plus important de ne pas se laisser abuser par une stratégie de pure communication et de continuer sans relâche à refuser la transmission de la moindre maquette de nouveau master d’enseignement.